Méthodes
Cette étude rétrospective, mono-centrique a été réalisée à l’Hôpital d’instruction des armées (HIA) Laveran de Marseille. L’HIA Laveran est l’hôpital de secteur des urgences des 13ème et 14ème arrondissements, situé dans les quartiers Nord affectés par la recrudescence des violences urbaines.
Entre 2007 et 2016, 186 plaies du tronc dont 74 plaies de l’abdomen ont été prises en charge à l’HIA Laveran. Sur ces 74 plaies, 28 étaient non pénétrantes, le diagnostic d’absence d’effraction péritonéale étant posé soit par une exploration des orifices d’entrée parfois sous anesthésie locale, soit par un scanner abdominal. Les 46 plaies de l’abdomen pénétrantes étaient soit isolées (n=39) soit thoraco-abdominales (n=7). Les blessés pris en charge par un traitement non opératoire ou un abord chirurgical uniquement thoracique ont été exclus de l’étude (Figure 1).
Définitions
Un traumatisme a été défini comme pénétrant lorsqu’une effraction du péritoine était retrouvée, initialement, après imagerie complémentaire ou après la chirurgie.
L’instabilité hémodynamique initiale était définie par une tension artérielle systolique inférieure à 90mmHg et/ou par une tachycardie supérieure à 120 battements par minutes.
Méthodologie
L’analyse des dossiers a été faite avec au moins un an de recul par rapport à la laparotomie pour plaie.
Celle-ci a été réalisée avec le logiciel informatique Amadeus©, utilisé à l’HIA Laveran, en utilisant les mots-clés « plaie abdominale », « plaie des lombes », « traumatisme abdominal », « plaie des organes intra-abdominaux ». Les dossiers ont été relus, notamment les compte-rendus opératoires, d’imagerie et d’hospitalisation.
Les données suivantes ont été collectées : caractéristiques démographiques, mécanisme lésionnel, gravité des lésions selon les scores Abbreviated Injury Scale (AIS) (5), Injury Severity Score (ISS) (6) et Revised Trauma Score (RTS) (7), analyse des lésions visibles sur le scanner, résultats de l’exploration chirurgicale, gestes chirurgicaux réalisés, morbidité, mortalité.
Les médecins traitants ont été contactés par téléphone pour compléter les données des dossiers si celles-ci étaient insuffisantes. Les patients ont été contactés par téléphone pour compléter et calculer le score de qualité de vie SF12(8) (annexe 1), réparti en deux catégories : physique d’une part, mentale et sociale sur l’autre versant. En raison du caractère rétrospectif de l’étude, l’approbation par le comité d’éthique locale n’était pas indispensable.
Les différents types de laparotomie pour plaie de l’abdomen ont été définis comme suit : la laparotomie thérapeutique (TTL) a été définie comme une laparotomie identifiant des lésions imposant des gestes chirurgicaux thérapeutiques.
La laparotomie négative (NegTL) est définie comme une laparotomie qui ne retrouve pas de lésion viscérale en dehors de l’effraction péritonéale (9). Une laparotomie non thérapeutique (NonTL) est une laparotomie qui retrouve des lésions viscérales minimes qui ne requiert pas de geste chirurgical thérapeutique (10).
Une complication a été définie comme un évènement de morbidité ou de mortalité survenue pendant ou après la laparotomie pour plaie avec une durée de suivi d’au moins 1 an. Les complications ont été classées selon la classification des complications chirurgicales de Clavien-Dindo (11) (annexe 2). Les complications précoces ont été définies comme des évènements survenant entre la chirurgie et les 30 jours post-opératoires. Les complications tardives ont été définies comme des évènements survenant au-delà des 30 jours post-opératoires et jusqu’à au minimum 1 an post-opératoire. Les reprises chirurgicales précoces et tardives ont également été analysées.
Résultats
De 2007 à 2016, 46 patients présentant une plaie de l’abdomen pénétrante ont été pris en charge par les équipes de notre hôpital. Sur ces 46 patients, 7 blessés présentaient une plaie thoraco-abdominale ; parmi ceux-ci 4 ont eu un traitement par thoracoscopie exclusive, et ont donc été exclus de notre étude. Sur les 39 blessés présentant une plaie de l’abdomen isolée, un a eu une coelioscopie et 7 ont eu un traitement non opératoire, ils étaient donc exclus de l’étude (Figure 1). Seuls les 34 blessés traités par laparotomie ont été inclus.
Données démographiques
La grande majorité de ces patients étaient des hommes (31 – 91,2%). L’âge médian était de 39 ans (min-max 19-85). La blessure était principalement due à une arme blanche (27 – 79,4%). Le nombre de blessé présentant des lésions associées en plus de la lésion abdominale était de 16. Les lésions associées les plus fréquentes étaient leslésions thoraciques (15 – 44,1%) et les lésions des membres (14 – 41,2%). Les patients étaient majoritairement stables sur le plan hémodynamique à leur arrivée (26 – 76,5%) et peu symptomatiques (23 – 67,6%), ne présentant pas d’éviscération ni de défense à l’examen clinique.
Complications
Onze patients parmi notre population des 34 pris en charge au bloc opératoire ont présenté des complications. Les principales complications étaient de stade ClavienDindo III (6 – 54,5%), c’est-à dire qu’elles nécessitaient un traitement chirurgical, endoscopique ou radiologique, et regroupaient les abcès profonds, les abcès de parois, les éventrations et une occlusion sur bride. Les complications de stade Clavien-Dindo II (3 – 27,3%), nécessitant un traitement médical seul mais lourd, étaient un sepsis et deux abcès profonds. Enfin, les complications de stade Clavien-Dindo I et IV, qui nécessitaient respectivement un traitement médical simple et une réanimation lourde devant des défaillances d’organes, étaient mineures : la complication Clavien-Dindo I était un iléus et celle Clavien-Dindo IV un syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) (tableau 4).
La majorité des complications était précoce (7 – 63,6% soit 20% du nombre de laparotomies réalisées), représentée principalement par des complications stade Clavien-Dindo II (3 – 42,9%). Les complications précoces de stade III (2 – 28,6%) étaient de stade IIIa représentées par des abcès de paroi, avec une prise en charge ne nécessitant pas d’anesthésie générale et le SDRA Clavien-Dindo IV, chez un blessé ayant eu une thoracotomie en plus de la laparotomie. Le nombre de reprise chirurgicale précoce par laparotomie était de 2, pour un sepsis et un abcès de paroi.
Les complications tardives (4 – 36,4% soit 11,4% du nombre de laparotomies réalisées) étaient toutes de stade Clavien-Dindo III (4 – 100%). Nous noterons que ces complications étaient de stade IIIb, c’est-à-dire que leur traitement a nécessité une prise en charge chirurgicale sous anesthésie générale. Parmi celles-ci, nous retrouvons deux cures d’éventration sur la laparotomie médiane à 10 mois et un an (éventration sur la cicatrice ; aucun patient n’a présenté d’éventration sur les cicatrices d’orifice d’entrée ou de sortie), une cure d’occlusion du grêle sur bride avec résection- anastomose du grêle à 8 ans et le traitement d’un abcès profond à 3 mois par résection digestive (avec remise en continuité à 7 mois). Les autres reprises chirurgicales sont représentées par les 3 rétablissements de continuité digestive qui ont toutes étaient réalisées sans complication, aucun blessé n’étant porteur d’une colostomie définitive.
Chez les patients ayant eu une laparotomie négative ou non thérapeutique, il n’y a eu aucune complication après leur prise en charge.
Analyse de la qualité de vie
Enfin, nous avons étudié la qualité de vie physique, mentale et sociale de nos patients grâce à au score SF-12. Ce score a été construit à partir du score SF-36 d’une façon que la moyenne en population générale soit de 50.
Le score de qualité de vie mentale et sociale est compris entre 5,9 et 72. Au cours de cette étude, le score moyen était de 56,9. Dans la population générale, le score est de 48,5 en France. Notre population a donc un meilleur score de qualité de vie mentale et sociale que la population générale.
Le score de qualité de vie physique est compris entre 9,9 et 70. Le score moyen obtenu était de 56. Dans la population française, ce score s’élève à 51,2 et est donc en deçà du score obtenu par nos patients (Figure 3).
Discussion
Du fait de l’augmentation des violences urbaines, les traumatismes pénétrants sont devenus un motif d’urgence chirurgicale de plus en plus fréquent. Plus de 9000 cas de violences par arme blanche ou arme à feu sont recensés dans les Bouches du Rhône par an (2). De par leur importance, leur localisation et selon l’arme utilisée, les traumatismes pénétrants sont devenus un défi médico-chirurgical majeur, et la prise en charge qui en découle est devenue un enjeu important.
Les études évaluant les complications de la laparotomie en cas de traumatisme pénétrant ou de traumatisme fermé sont rares. La majorité des études disponibles se concentre sur les complications après une laparotomie négative. La plupart des études montrent un taux élevé de complication précoce (variant de 43 à 65%) et un taux faible de complication tardive (variant de 0 à 2%). Toutes ces études décrivent une grande variété dans la sévérité de ces complications allant de complications bénignes telle que l’iléus post-opératoire à des complications nécessitant une intervention chirurgicale (12–15). Il est connu que les blessés graves ont un taux élevé de complication en raison de leur charge traumatique globale. Cela pourrait partiellement s’expliquer par le concept de la réaction immunitaire post-traumatique. Au début, jusqu’à 4 jours après le traumatisme, le syndrome de réponse inflammatoire systémique (SIRS) entraine des phénomènes inflammatoires excessifs en réponse au tissu endommagé. Cette phase est donc rarement associée à une infection. Secondairement, à partir du 8ème jour post- traumatique, le syndrome de réponse anti-inflammatoire compensatoire (CARS) entraine une baisse du fonctionnement immunitaire favorisant le développement d’infection (16,17).
Les blessés opérés d’une laparotomie pour plaie de l’abdomen ont une physiopathologie différente des patients opérés d’une laparotomie pour une chirurgie réglée. L’incidence des complications après laparotomie pour plaie dans notre série est située dans la borne haute de celle déclarée pour des chirurgies réglées, les taux de complication variant de 17 à 30% pour des interventions chirurgicales abdominales réglées (chirurgie gastro-intestinale, pancréatique, chirurgie des anévrysmes) (9,18– 20). Le taux de complication après laparotomie réalisée en urgence (diverticulite perforée, rupture d’anévrisme aortique) est intéressant à analyser. Dans plusieurs études, le taux de complication retrouvé varie de 57 à 70% (21,22). Par rapport à lalaparotomie pour plaie, ces procédures montrent un taux de complication plus élevé.
La recherche de facteur de risque de survenue de complication était limitée dans l’étude en raison du petit nombre de cas. L’utilisation d’une arme à feu ou l’hémodynamique instable du patient n’apparaissaient pas dans notre étude comme un facteur favorisant de survenue de complication. Il est probable que la présence de lésions associées à la plaie abdominale contribue également au développement de complications. Les blessés avec une plaie extra-abdominale associée ont un taux de complication plus élevé (54,5% des complications sont retrouvées chez des patientsprésentant une plaie extra-abdominale) par rapport aux blessés avec plaie de l’abdomen isolée (45,5%). Morrison et al. ont retrouvé une corrélation similaire dans une population de blessés ayant eu une laparotomie traumatique négative (12). Ils ont trouvé un taux de complication de 43% chez les blessés avec lésions extra-abdominales associées et 20% chez les blessés sans lésions associées.
D’autres études ont montré la même corrélation entre la survenue de complication de la laparotomie pour traumatisme (fermé ou ouvert) et la présence de fractures pelviennes ou de lésions des membres associée, indépendamment de la gravité des lésions abdominales (23,24). Plusieurs études analysent la morbidité des laparotomies pour traumatisme en fonction de leur délai de réalisation (25). Notre hôpital étant en zone urbaine, le délai de transport pré-hospitalier est court (moyenne de 30 min). Le temps entre l’arrivée dans le service des urgences et l’arrivée au bloc opératoire est en moyenne de 2 heures 25 minutes. Les temps de transfert les plus longs entre les urgences et le bloc opératoire sont observés chez les blessés stables et non pas en raison d’un manque de disponibilité de l’imagerie ou du bloc.
La qualité de vie à 1 an de nos patients était globalement la même que la population générale. Notre population était majoritairement jeune et masculine, ce qui explique que les chiffres retrouvés soient meilleurs que dans la population générale (26). Malgré cela, nous notons que l’impact de la laparotomie, ou du traumatisme pénétrant de façon générale, n’a pas eu d’effet majeur sur la qualité de vie de nos patients, avec un retour à la vie antérieure parfaitement réalisé.
Les limites de notre étude sont nombreuses. Notre série a un suivi complet d’un an chez 27 patients (79,4%). Chez les patients restants, la période de suivi avait une durée médiane de 45 jours. L’absence de prise en charge de type « damage control » peut être lié à la prédominance des plaies par arme blanche au pouvoir vulnérant inférieur par rapport aux balles, ainsi qu’au recrutement de notre hôpital avec une faible part de blessés amenés par une ambulance médicalisée et régulée par rapport à ceux arrivant par leurs propres moyens aux urgences.
Le taux faible de réalisation d’une laparotomie (n=34) par rapport à l’ensemble des plaies du tronc (n=186) peut être expliqué par le développement du traitement non opératoire des plaies abdominales pénétrantes. Les protocoles de prise en charge ont changé au cours de la période d’étude. La littérature a montré que, chez certains blessés avec plaie de l’abdomen par arme blanche et même par balle, la gestion nonopératoire peut être effectuée pour éviter une laparotomie non thérapeutique ou négative (13,27–29). Cependant, l’instabilité hémodynamique reste une indication majeure pour la laparotomie. Nous avons effectué une laparotomie négative chez 5 patients (14,7%) et une laparotomie non thérapeutique dans 2 cas (5,9%), donc 20% des laparotomies auraient pu être éviter. Mais les critères d’indication opératoire ne sont pas consensuels dans la littérature en dehors de l’instabilité hémodynamique (30,31). Les critère scannographiques notamment la lésion du tube digestive ou du diaphragme nécessite une bonne coopération avec le radiologue car les signes scannographiques de ces lésions sont peu sensibles et peu spécifiques (32–38).
Néanmoins une absence de critères d’indication opératoire était présent chez 2 blessés parmi les 7 qui ont eu une laparotomie « inutile ».
Le taux de complication chez les blessés qui ont eu une laparotomie négative ou non thérapeutique est nul dans notre étude. En outre, les blessés qui ont une laparotomie tardive après échec du traitement non opératoire montre un taux de complications très élevé (10). Ce qui souligne l’importance de bien sélectionner les indications du traitement non opératoire. Cela justifie la réalisation d’une laparotomie chez les blessés présentant toute une suspicion de lésion intra-abdominale de traitement chirurgical : lésion du tube digestif, lésion des gros vaisseaux, lésion du diaphragme, lésion de la vessie intra-péritonéale.
Conclusion
Notre étude nous a permis d’évaluer les complications après laparotomie pour plaie pénétrante abdominale. L’indication la plus importante de la laparotomie pour plaie demeure l’instabilité hémodynamique. Dans cette série, la cause la plus fréquente de plaie est l’arme blanche. Les plaies associées multiples sont présentes chez plus de la moitié des patients. Les laparotomies pour plaie de l’abdomen ont un taux de complication raisonnable (32,3%), comparable au taux de complication des laparotomies réalisées en chirurgie réglée. La qualité de vie des patients plus d’un an après le traumatisme est comparable à celle de la population générale. L’analyse des facteurs de risque de survenue de complication nécessite des études prospectives. Ce taux faible de complication doit nous faire garder à l’esprit que les indications de laparotomie pour plaie pénétrante de l’abdomen doivent rester larges.