Complexité des consultations de renouvellement
d’ordonnance
Introduction
Négligée par certains, redoutée par d’autres, la consultation de suivi, mieux connue sous le terme de « consultation de renouvellement d’ordonnance » (CRO) ou « rendez-vous pour RO » est une pratique courante des médecins généralistes (MG) afin de suivre les patients atteints d’une (ou plusieurs) maladie(s) chronique(s). Les pathologies chroniques ont été définies, par le Haut Conseil de Santé Publique en 2013, selon trois critères : – la présence d’une cause organique, psychologique ou cognitive ; – une ancienneté de plusieurs mois ; – le retentissement de la maladie sur la vie quotidienne : limitation fonctionnelle, des activités, de la participation à la vie sociale ; dépendance vis-à-vis d’un médicament, d’un régime, d’une technologie médicale, d’un appareillage, d’une assistance personnelle ; besoin de soins médicaux ou paramédicaux, d’aide psychologique, d’éducation ou d’adaptation.(1) La Direction de la Recherche des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) a publié en 2002 une étude qui démontre que le recours au médecin est motivé dans plus de 40% des cas par le suivi d’affections chroniques et que plus d’une consultation ou visite à domicile sur quatre concerne des patients ayant une affection de longue durée (ALD) reconnue.(2) Cette nuance est importante puisque toutes les maladies chroniques ne sont pas des ALD(3). En effet en 2017, 10,7 millions de personnes en France affiliées au régime général bénéficient du dispositif des affections de longue durée (ALD), soit 17% des assurés.(4,5) Les ALD les plus fréquentes sont le diabète suivi par l’insuffisance coronarienne et les tumeurs malignes du sein, viennent ensuite la fibrillation et flutter atriale et enfin l’hypertension essentielle en cinquième position (4). Les cancers tiennent une place de plus en plus importante dans ce domaine grâce aux progrès de la médecine. Il est vrai que si les maladies chroniques sont de nature très variées, des facteurs nouveaux viennent accroître ce nombre. Premièrement l’augmentation de l’espérance de vie et le vieillissement de la population en général font émerger des pathologies dégénératives qui autrefois n’avaient pas le temps de se développer. Au 1er janvier 2020, 20,5% de la population française est âgée de plus de 65 ans contre 19,7% en 2018. En 2070, la part des 65 ans ou plus pourrait atteindre 28,7%. On peut étendre ces statistiques en prenant en compte les plus de 75 ans : près d’un habitant sur 10 au 1er janvier 2020. (6) Deuxièmement les progrès de la médecine ont ouvert la voie à des traitements de maladies qui jadis étaient bien plus mortelles et qui aujourd’hui sont considérées comme chroniques.(7) Troisièmement, la modification de la qualité de vie des personnes (contrôle des expositions à des toxiques, mode de vie différent (8)) influe sur les maladies. Tous ces facteurs peuvent s’additionner chez une même personne ce qui explique en partie que le nombre de patients chroniques nécessitant une CRO est en croissance progressive. 6 Par ailleurs, en 2018, l’OMS estimait que les maladies non transmissibles étaient à l’origine de 88% des décès en France : 26% de maladies cardio-vasculaires, 31% de cancers, 6% d’affections respiratoires chroniques et 2% du diabète. Fort de ce constat, ils avancent que « 257 900 vies peuvent être sauvées d’ici 2025 en mettant en œuvre tous les « meilleurs choix » de l’OMS ».(9) Ces chiffres étayent le principe nécessaire d’avoir un suivi régulier des patients et de faire de la prévention primaire et secondaire voire tertiaire. Il s’agit d’un réel enjeu de santé publique. Dans ce contexte, depuis le 13 août 2004, toute personne doit choisir un médecin, le plus souvent un médecin généraliste, comme médecin traitant.(10) C’est grâce à ce dernier que le patient peut obtenir un parcours de soin dit « coordonné ». Le médecin traitant apparait alors comme le référent médical du patient et le pilier de son suivi. Il est le mieux placé pour une prise en charge pluridisciplinaire puisqu’il connait son historique médical mais surtout il connait personnellement son patient. Ainsi le référentiel métier des MG a résumé l’ensemble des compétences à l’aide d’une marguerite (Annexe 1). Le terme « approche centrée patient, relation et communication » est fondamentale, entrainant sa place au centre de la marguerite. Elle est entourée de « continuité, suivi, coordination des soins » et de « éducation en santé, dépistage, prévention individuelle et communautaire » et de « approche globale, complexité ». Ces différentes compétences nous montrent toute la complexité de la médecine générale.(11) Plusieurs études ont déjà été réalisées autour de la CRO avec des objectifs et des approches différents.(12)(13)(14) En début d’internat, en cabinet de médecine générale, j’ai vécu des consultations en autonomie supervisées plus stressantes et complexes que d’autres. En effet j’étais plus à l’aise à recevoir un patient pour une maladie aigue en soins primaires (par exemple une pyélonéphrite aigue) qu’un patient chronique pour une CRO avec de multiples antécédents, des avis de spécialistes, des traitements parfois complexes et un suivi à programmer. Mes MG paraissaient pointilleux et attentifs en consultations remettant en cause certaines prescriptions. De plus la diversité des pathologies lors d’une CRO est importante. En effet le terme CRO représente finalement une très grande catégorie de pathologie allant de la simple HTA au cancer multimétastasé. Puis je suis passée en stage de gériatrie court séjour, voyant des prescriptions renouvelées pendant plusieurs années sans étiologie retrouvée, avec des durées de prescription dépassées ou des médicaments (par exemple les statines) en prévention primaire à 90 ans et plus. Ainsi les CRO nous paraissaient parfois bâclées. Cette contradiction m’a beaucoup interpellé, et au cours d’un cercle de lecture dont l’un des articles portait sur les attentes des patients pendant une CRO (13), je me suis intéressée à ce thème. La CRO m’apparaissait complexe. Ainsi j’ai souhaité l’étudier de manière approfondie. L’objectif de cette étude est donc d’évaluer le ressenti des MG concernant la complexité des CRO. Pour cela, nous avons voulu mener une étude qualitative à partir d’entretiens individuels avec des MG du Var
Examens paracliniques
La CRO permet de faire le point sur l’avancé des examens paracliniques à demander. « mais du coup oui on fait toujours le point sur ce qui a été fait ou pas » (MG1) « je reprends (…) la prise de sang, leur kiné, l’orthophoniste » (MG4) Grâce à la CRO, le MG peut consulter les résultats des examens paracliniques déjà réalisés. « diabétiques qui viennent tous les 3 à 4 mois. Ils ont normalement leur prise de sang » (MG3) « En général les diabétiques par exemple je les vois tous les trois mois avec leur bilan sanguin (hémoglobine glyquée et créatinine). » (MG7) La CRO est source de planification des prochains examens paracliniques : « est ce qu’ils ont fait leur fond d’œil, leur échographie TSAo et membres inférieurs et leur dernier ECG » (MG1) « Vérifier qu’ils ont fait le Font d’œil, le machin le truc. » (MG3) « Par exemple pour le diabétique c’est tous les trois mois prise de sang, tous les ans on fait analyse d’urine, le fond de l’œil. Tout est planifié. » (MG7)
Coordination des soins avec leurs confrères spécialistes
Les CRO sont aussi rythmées d’après certains MG par les avis spécialisés. « et voir quand ils ont vu le spécialiste pour la dernière fois » (MG5) « Alors le diabétique je sais qu’il va chez l’ophtalmo tous les ans, le cardio tous les deux ans, l’endocrino s’il a envie d’y aller il y va. En général je les envoie au moins une fois. Le néphro si nécessaire, c’est moi qui les programme. » (MG6) Les avis spécialisés sont potentialisés par la transmission de l’information via les CR : – au MG « Enfin j’ai confiance en eux surtout que je les connais depuis longtemps. Donc si je me suis trompée, enfin si eux ils pensent que je me suis trompée alors je les crois » (MG7) au patient « Donc je trouve ça pas mal car les patients sont contents d’avoir le CR dans leur dossier » (MG3) Les CR sont reçus de différentes manières : courrier par voie postale, « Avant on recevez tout par courrier. » (MG3) ou remis au patient, « Alors de plus en plus les médecins donnent le CR aux patients.» (MG3) Et/ou par messagerie sécurisée, « Alors on les reçoit beaucoup par courrier et quelques-uns par mails mais les deux sont corrects » (MG1) « j’ai un réseau de spécialistes que je connais depuis longtemps. Oui je leur fais un courrier et ils me répondent par courrier ou par mail » (MG7) Parfois les CR ne sont pas reçus, ce qui rend difficile la consultation du MG. « Non ça va on les reçoit régulièrement ça dépend des correspondants. » (MG1) « Oui donc j’ai toujours une réponse. Sauf les hôpitaux » (MG7) Les spécialistes peuvent avoir un regard différent sur le patient si ce dernier change son discours : « car ça ne touche pas leur pathologie enfin leur organe à eux (spécialistes) mais à nous ils ne nous le disent pas forcement. » (MG1) « des fois on se rend bien compte que ça pipote devant le cardiologue. » (MG3)
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