Comparaison de deux indicateurs d’adiposité
INTRODUCTION
Malgré la croissance économique observée dans les pays en développement, la malnutrition chronique et les carences en micronutriments chez les enfants restentprépondérantes en Afrique sub-saharienne (Best et al., 2010). Parallèlement, on assiste à uneaugmentation alarmante de la prévalence du surpoids et de l’obésité en raison del’urbanisation progressive, des changements associés aux modes de vie, de la sédentarité, et des mauvaises habitudes alimentaires (Ndiaye, 2007 ; Wamba et al., 2013). En Afrique, laprévalence du surpoids et de l’obésité infantile est estimée à 8,5% en 2010 et d’après lesprojections, cette prévalence atteindra 12,7% en 2020 (de Onis et al., 2010). Plusspécifiquement en Afrique subsaharienne, des prévalences de 2,3%, 2,8%, 4,6% et 9% desurpoids/obésité ont été rapportées par plusieurs auteurs respectivement au Burkina Faso(Daboné et al., 2011), au Nigéria (Yusuf et al., 2013), au Togo (Djadou et al., 2010) et enCôte d’Ivoire (Kramoh et al., 2012). Au Sénégal, une étude menée auprès d’élèves âgés de11-17 ans au sein des établissements publiques et privés de Dakar, indiquait une prévalencede 9,3% d’obésité (Faye et al., 2010).L’obésité est définie comme une accumulation anormale ou excessive de graissecorporelle qui peut nuire à la santé (OMS, 2009). C’est un facteur de risque important denombreuses pathologies métaboliques et chroniques, telles que les maladies cardiovasculaires,le diabète de type II, l’hypertension et certains cancers (Williams et al., 1992 ; WHO, 1997 ;Ezzati et al., 2002 ; Mishra et al., 2006). L’obésité de l’enfance tend à persister à l’âge adulteet est associée à une augmentation des risques de maladies chroniques (Lobstein et al., 2004 ;Freedman et Sherry, 2009). Dès lors, il est important de disposer d’indicateurs fiables pourmesurer l’adiposité mais aussi pour l’évaluation des programmes d’intervention visant àréduire l’obésité infantile et les risques de maladies associées. Il existe plusieurs indicateursde mesure de l’adiposité, notamment le pourcentage de masse grasse et les indicateursanthropométriques.Le pourcentage de masse grasse est l’indicateur le plus sensible de mesure del’adiposité. Cependant, la quantité de graisse corporelle associée à des risques de maladiechronique est controversée, surtout chez les enfants. Des niveaux critiques de pourcentage demasse grasse, différents en fonction du sexe ont été proposés pour l’enfant en référence àcertains risques métaboliques associés. Higgins (Higgins et al. 2001) a estimé qu’un pourcentage de masse grasse ≥ 33% est associé à des risques de maladie cardiovasculaire chezdes enfants âgés de 4 à 11 ans. De même Williams (Williams et al., 1992) a montré que lesproportions de 25% et 30% d’adiposité respectivement chez les garçons et les filles sontassociées à l’hypertension artérielle. Aussi, des seuils de pourcentage de masse grasse allantde 22% à 37% selon l’âge et le sexe, associés à des niveaux d’adiposité relative chez lesenfants âgés de 5 à 18 ans, ont été proposés (Freedman et al., 2009).Il existe plusieurs méthodes de référence de mesure de la masse grasse corporellenotamment la densitométrie, l’absorption biphotonique à rayons X ou DEXA, le potassiumtotal, la dilution isotopique au deutérium. Cependant, ces techniques de référence sont trèsonéreuses et peu adaptées aux études épidémiologiques. Les indicateurs anthropométriquestels que l’indice de masse corporelle (IMC) ou indice de Quetelet constituent des techniques alternatives plus accessibles. Chez les adultes, l’IMC est largement utilisé pour mesurerl’adiposité corporelle (Gallager et al., 1996 ; Tyrell et al., 2001 ; Widhalm et al., 2001 ;WHO, 2003). Par contre chez les enfants, la fiabilité de l’IMC pour la mesure de l’adipositéest controversée. Si certaines études ont montré une corrélation significative entre l’IMC et lamasse grasse (Zimmermann et al., 2004 ; Boeke et al., 2013), d’autres rapportent que laprécision de l’IMC varie selon le degré d’adiposité corporelle (Freedman et Sherry, 2009 ; Reilly et al., 2010) et le stade de la maturation sexuelle chez les enfants (Malina etKatzmarzyk, 1999). De plus, l’IMC et ses risques associés changent substantiellement avecl’âge, et il est admis qu’un IMC élevé chez l’enfant ne préjuge pas forcément d’un risque demorbidité et de mortalité contrairement à l’adulte. L’IMC englobe autant la masse grasse quela masse maigre et la masse osseuse. Il est par conséquent difficile de quantifier avec précision les niveaux d’excès de masse grasse chez les enfants en pleine croissance enutilisant cet indicateur. Néanmoins, différent systèmes de classification fondés sur les courbesde percentiles d’IMC en fonction de l’âge et du sexe des enfants ont été proposés. Parmi cesclassifications, on peut citer les références de l’International Obesity Task Force (Cole et al.,2000), celles françaises de Rolland-Cachera (Rolland-Cachera et al., 1991) et les référencesaméricaines du Centre for Disease Control and Prevention (Ogden et al., 2000). Toutefois, Neovius (Neovius et al., 2004) a mis en évidence un certain nombre de problèmes relatifs àces références y compris le fait que les seuils admis dans les différents systèmes declassification ne sont pas basés sur une augmentation du risque de maladie à court ou à longterme. Par ailleurs, les seuils choisis pour définir le surpoids et l’obésité par les différentesréférences n’ont pas de correspondance évidente ou tout le moins, une telle correspondancereste à établir, ce qui rend la comparaison entre études relativement difficile.3Dans le but d’harmoniser les indicateurs du surpoids et de l’obésité et l’utilisation del’IMC comme indicateur d’adiposité chez les enfants d’âge scolaire et les adolescents, l’OMSa publié en 2007 les nouvelles normes internationales de croissance. Ces standardscorrespondent aux normes de développement optimale d’un enfant et sont ecommandés à lafois pour les évaluations cliniques et les études épidémiologiques (de Onis et al., 2007). Ils utilisent l’IMC-pour-âge (exprimé en z-score ou en percentile) et des tables de référence del’OMS, comme indicateur de mesure du surpoids et de l’obésité. Cet indicateur, prend encompte l’âge et le sexe de l’enfant et est applicable chez les enfants et adolescents âgés de 5 à19 ans. Néanmoins, d’autres indicaeurs tels que le tour de taille et le rapport tour detaille/taille s’imposent progressivement comme des indicateurs pertinents de l’obésité centrale, en rapport avec l’état de santé et les risques de maladies chroniques (Nambiar et al.,2010 ; Mokha et al., 2010 ; Ashwell et al., 2012 ; Rerksuppaphol & Rerksuppaphol,2013).En Afrique subsaharienne, les études qui se sont intéressées au surpoids et l’obésitéchez les enfants dont certaines en milieu scolaire urbain (Djadou et al., 2010 ; Daboné et al.,2011 ; Yusuf et al., 2013) ont utilisé différentes courbes de croissance. Djadou au Togo etDaboné au Burkina Faso ont utilisé les courbes de référence de l’OMS pour mesurer lesurpoids et l’obésité chez les enfants d’âge scolaire. Yusuf (Yusuf et al., 2013) au Nigéria autilisé les normes de l’International Obesity Task Force (OITF) pour déterminer la prévalencedu surpoids et de l’obésité chez les adolescents. Au Sénégal, Faye (Faye et al., 2010) a utiliséles courbes de Rolland-Cachera (Rolland-Cachera et al., 1991) pour mesurer l’obésité chezles enfants et adolescents. Toutefois, l’utilisation de différents seuils sur des populationsspécifiques rend difficile la comparaison des résultats sur l’obésité infantile en Afrique(Kelishadi, 2007 ; Muthuri et al 2014). Par ailleurs, Aucune de ces études n’a évalué laperformance de l’IMC par rapport au pourcentage de masse grasse mesuré par une méthodede référence comme la dilution isotopique au deutérium. C’est dans ce contexte que le présenttravail se propose de comparer deux indicateurs de l’adiposité : le pourcentage de massegrasse mesuré par la dilution isotopique au deutérium et l’IMC-pour-âge et d’évaluer la performance diagnostique de ce dernier par rapport au pourcentage de masse grasse pour lamesure de l’adiposité chez les enfants sénégalais d’âge scolaire
Collecte des échantillons de salive
Les échantillons de salives sont prélevés en donnant aux enfants des boules de cotonstériles qu’ils tournent dans leur bouche maintenue fermée jusqu’à ce qu’elles soientcomplètements imbibées de salives. Les boules de coton sont ensuite introduites dans uneseringue de 10 ml (Norm-ject, HenkeSass Wolf, Tuttlingen, Germany) pour être presséesdans un tube stérile de 5 ml (Termofisher-scientific, Danemark). Ces tubes sont placés dansune glacière jusqu’au laboratoire, puis conservés à -20°C jusqu’au dosage.Pour chaque enfant trois types d’échantillons de salive sont prélevés :- Un échantillon « pré-dose » prélevé avant l’administration de la dose qui permet de déterminer l’enrichissement naturel en deutérium du compartiment eau de l’organisme dechaque enfant.
– Des échantillons « post-dose » prélevés respectivement 3h et 4h après l’administrationde la dose.Les heures de prélèvement pré-dose et post-dose sont notées à la minute près.
Analyses des échantillons par Spectrométrie Infrarouge àTransformée de Fourier (FTIR)
Il existe plusieurs types de spectromètres, mais certains composants sontindispensables : source infrarouge, banc optique, détecteur et enregistreur. La spectroscopieinfrarouge est une technique de détection et de dosage utilisée en chimie. Elle est basée surl’absorption d’un rayonnement infrarouge par la substance analysée. Elle permet via ladétection des vibrations caractéristiques des liaisons chimiques, d’effectuer l’analyse desfonctions chimiques présentes dans la substance et de déterminer la concentration desdifférents composés.
Mesure de l’enrichissement des salives en deutérium
L’enrichissement des échantillons de salive en deutérium est mesuré avec un FTIR(IRAffinty-1, SHIMADZU, Nakagyo-ku kyoto, Japon). Le FTIR ne mesure pas laconcentration en deutérium des échantillons de salive, mais leur enrichissement par rapport àun niveau de base des salives pré-dose. L’appareil scanne l’échantillon « pré-dose » qu’ilenregistre comme niveau de base (background) et lit l’échantillon « post-dose » contre ce background. Il procède automatiquement à la soustraction du background pour donner lespectre définitif. Les spectres ainsi obtenus sont transférés sur le logiciel « Isotope.exe » unprogramme développé par le « Medical Research Council – Human Nutrition Research »(Cambridge, UK) et qui donne directement les enrichissements en ppm des échantillons.Calibration du FTIRUn standard pur à 1000 mg/kg (ppm) est préparé en diluant 1 g de deutérium pur(Cambridge Isotope Laboratories, Inc, Andover, USA) soigneusement pesé avec labalance de 0,1 mg de précision, dans environ 1 litre d’eau potable. Le FTIR mesurel’enrichissement des échantillons de salive par rapport à la valeur de ce standard pur.Dans le but de vérifier la précision de l’analyse du deutérium dans la gamme desconcentrations susceptibles d’être mesurées, une série de solutions étalons de concentrationdifférentes (100, 200, 400, 600, 800, 1000, 1500, 2000 ppm) est également préparée. Cesdifférentes solutions sont lues au FTIR et la droite de régression entre les valeurs théoriques(calculées) et celles mesurées au FTIR est tracée. Si les valeurs des standards sont correctes,le coefficient de régression est proche de 1.
Analyse des échantillons de salive
Le FTIR est allumé en même temps que l’ordinateur qui le pilote au moins pendant 30mn pour chauffage avant de commencer la lecture. Un test de validation est lancé (évaluationde la quantité d’énergie et lecture du film polystyrène). Le test permet de valider laperformance du FTIR basée sur la vérification des cinq paramètres suivants : la puissance duspectre, la résolution, l’exactitude de la longueur d’onde, la reproductibilité de la longueurd’onde et la reproductibilité de transmission.Le contrôle de qualité des mesures est effectué à l’aide d’un pool interne ou contrôle interne(CI) de salive préparé à partir d’un pool de salives pré-doses et d’un pool de salives postdoses collectés chez les enfants. Les pré-doses et les post-doses sont séparément mélangées au vortex pour constituer deux pools de CI (pré et post-doses).Au cours de l’analyse, les CI sont mesurés contre leurs backgrounds. Si la valeur du CI estdans la fourchette définie, on passe à la lecture des échantillons de salive. Si non, on vérifie denouveau les paramètres de l’analyse et on reprend le test de validation.La lecture des échantillons se fait avec des cellules en fluorure de calcium de 100 µmd’épaisseur et de 0,1 ml de volume. La cellule est munie de deux (2) orifices qui permettentd’introduire l’échantillon à l’aide d’une seringue de 1 ml. La seringue est introduite dans l’undes orifices tandis que l’autre est bouché avec du papier absorbant de sorte à éviter les bullesd’air dans la cellule. Après remplissage, chaque orifice est bouché avec du téflon et la cellulenettoyée avec du papier essuie-tout avant d’être introduit dans le porte-cellule du FTIR. La mesure commence avec le standard pur qui est lu trois (3) fois de suite par rapport à l’eauayant servi à sa préparation. Pour chaque sujet, l’analyse des échantillons de salive se faitcomme suit : l’échantillon pré-dose est mesurée comme background puis les échantillonspost-doses 4h et 3h sont lus en double. Le CI est mesuré de nouveau après chaque lot dequinze (15) échantillons. A la fin des mesures, le standard pur est relu trois (3) fois
Détermination de la composition corporelle des enfants
L’enrichissement en ppm des échantillons de salive est ensuite transféré sur une feuillede calcul Excel programmée pour calculer :L’espace de dilution (VD) du deutérium à partir de la formule suivante :VD (kg) = Dose D2O (mg)/enrichissement de la salive (mg/kg)L’espace de dilution du deutérium étant supérieur au volume d’eau corporelle totale à causede l’échange de deutérium avec d’autres atomes d’hydrogène que cex de l’eau, l’eau corporelle totale (ECT) est calculée en tenant compte d’un facteur de correction de 4,1%.ECT (kg) = VD/1,041.La masse maigre est calculée à partir de l’ECT en tenant compte des facteurs d’hydratation(FH) qui varient en fonction de l’âge et du sexe chez les enfants (Lohman, 1992 ; AIEA,2010).
I. INTRODUCTION |