Commutation de la réponse ONL quadratique dans les matériaux moléculaires
Effet des charges partielles sur les propriétés ONL dans des empilements de dérivés de tétrathiafulvalène
Les dérivés de tétrathiafulvalène (TTF) (18, 84) sont des donneurs d’électrons bien connus dans le domaine des conducteurs moléculaires. (12-16) Le composé (TTF)(TCNQ) (avec TCNQ : tétracyanoquinodiméthane) est notamment le premier conducteur organique à avoir été synthétisé. (13) Ces systèmes sont basés sur des empilements de molécules qui permettent le partage de charge et donc l’accès à des degrés d’oxydation fractionnaires (0 < ρ < 1). Des transitions intermoléculaires intenses et de basse énergie apparaissent alors. Depuis quelques années, différentes équipes ont synthétisé des dérivés de TTF à caractère « push-pull » pour le doublement de fréquence. (17, 18) Il nous a semblé intéressant d’étudier à l’aide de calculs ZINDO l’effet de l’oxydation sur les propriétés ONL d’empilements de dérivés de tétrathiafulvalène fonctionnalisés par un substituant donneur. A l’état neutre, ces empilements doivent avoir des propriétés ONL très faibles. A l’état oxydé (ρ = 1), le système présente un caractère « push-pull » et donc a normalement des propriétés plus importantes. La question de la réponse ONL afférente aux charges fractionnaires est alors naturellement posée. Existe-t-il des arguments permettant de penser que l’hyperpolarisabilité suit une progression linéaire en fonction de la charge ou au contraire présente une exaltation pour des charges partielles données (Fig. 1) ? La présence de transitions intenses à transfert de charge intermoléculaire, liée à l’existence des charges fractionnaires, suggère qu’une augmentation de l’hyperpolarisabilité pourrait être observée dans certaines situations. Nous nous sommes alors intéressés à l’effet d’une oxydation partielle (0 < ρ < 1) sur les propriétés ONL.Il n’est pas possible avec les différentes méthodes de calcul disponibles de modéliser avec précision les géométries résultantes d’interactions à travers l’espace. Nous avons donc utilisé la structure cristallographique de (TTF)(TCNQ) (85) et effectué les calculs en considérant la molécule TTF-NH2 (Fig. 2), qui n’a jamais été étudiée. Le substituant amino a été choisi du fait de sa faible taille qui permet de penser qu’il n’engendre pas de modifications significatives dans l’empilement considéré par rapport à la structure de départ. Constatant un effet de commutation important, nous avons alors synthétisé des espèces proches (Fig. 2) de TTF-NH2 de type TTF-amine pour vérifier la faisabilité de tétrathiafulvalènes fonctionnalisés par un donneur. Nous présentons leurs propriétés optiques en dernière partie.
Etude ZINDO
Nous avons calculé les spectres optiques ainsi que les propriétés ONL en utilisant l’hamiltonien INDO/1 incorporé dans la version ZINDO (86) de la suite de logiciels MSI. L’approximation de l’interaction de configuration monoexcitée a été utilisée pour décrire les états excités. 400 transitions de plus basse énergie ont été calculées à partir des 30 orbitales occupées les plus hautes en énergie et des 30 orbitales vacantes les plus basses et utilisées dans la procédure de calcul de β (SOS). (29) Nous avons construit à partir de la structure de (TTF)(TCNQ) (85) des empilements de TTF-NH2 comprenant de une à huit unités (Fig. 3). Nous avons alors calculé l’hyperpolarisabilité quadratique et les spectres optiques de ces systèmes en faisant varier la charge ρ de 0 à 1 de telle manière que le système soit globalement toujours à couche fermée. Cette limitation est due au logiciel ZINDO utilisé qui ne permet pas de calculer β pour des molécules à couches ouvertes. Nous avons vérifié en modifiant la distance entre les unités TTF de 3,619 à 4,019 Å suivant le paramètre de maille b que les résultats obtenus sont qualitativement indépendants de la distance intermoléculaire. Le fait de modifier la charge d’un chromophore change obligatoirement ses propriétés optiques, notamment l’hyperpolarisabilité quadratique. De ce fait, les phénomènes d’oxydoréduction ont été utilisés précédemment comme voie de commutation possible des propriétés ONL. (8, 87-90) D’autre part la question de l’exaltation de l’hyperpolarisabilité par transfert de charge intermoléculaire a été assez peu étudiée, (91-93) ainsi que celle de l’effet des charges partielles sur les propriétés ONL. Pour ce dernier point, le seul exemple que nous connaissons est l’étude par Di Bella d’espèces dimères où les deux unités se partagent une charge 1+. (94) Les hyperpolarisabilités statiques β0 calculées pour l’empilement de 8 unités TTF-NH2 sont présentées dans le tableau 1 avec les maxima d’absorption (λmax).
Cas où ρ = 0 ou 1
La réponse ONL de [(TTF-NH2)8] 0 et de [(TTF-NH2)8] 8+ peut être reliée respectivement à celle d’un seul TTF-NH2 ou TTF-NH2 + . La valeur de β0 pour le système [(TTF-NH2)8] 0 est de 7,6 . 10-30 cm5 .esu-1, ce qui correspond environ à 8 fois celle calculée pour le seul TTF-NH2 (0,6 . 10-30 cm5 .esu-1). Ceci suggère que dans ce cas il n’y a pas d’exaltation de β0 due à des contacts entre TTF. Les maxima d’absorption pour [(TTFNH2)8] 0 et TTF-NH2 sont très proches (respectivement 240 et 251 nm) ce qui est en accord avec cette idée. La principale différence entre les deux spectres est la force d’oscillateur qui est égale à 0,39 pour TTF-NH2 et 2,0 pour [(TTF-NH2)8] 0 . Si on rapporte cette dernière valeur au nombre d’entités, on obtient une valeur de 0,25 ce qui n’est pas très éloignée de la valeur obtenue pour TTF-NH2. Dans le cas de [(TTF-NH2)8] 8+, les données indiquent une valeur de 232 . 10-30 cm5 .esu-1, soit 30 fois celle du système à l’état neutre. Deux effets peuvent être pris en compte pour comprendre cette exaltation : – un déplacement vers le rouge – un caractère donneur-accepteur plus prononcé après oxydation du fait du caractère accepteur de TTF+ contrairement à TTF0 . Dans le cadre de la théorie de perturbation somme sur tous les états (SOS), (29) l’hyperpolarisabilité peut être exprimée comme la somme de deux termes (β = β2L + β3L). Dans le cas présent, le terme β2L est dominant ce qui nous permet de considérer que β0 β2L. On peut alors appliquer le modèle à deux niveaux (95, 96) qui présente β0 comme relié à une l’énergie d’une transition E, sa force d’oscillateur f et la variation de moment dipolaire associée ∆µ ( 0 3 f E µ β ∆ ∝ ). Dans le cadre de ce modèle, un déplacement du maximum d’absorption de 240 à 658 nm conduit à une exaltation d’un facteur 20. Si on compare les systèmes [(TTF-NH2)2] 2+, [(TTF-NH2)4] 4+ et [(TTF-NH2)8] 8+, on observe une légère diminution du λmax (tableau 1) quand le nombre d’unités dans l’empilement augmente. Toutefois l’hyperpolarisabilité par unité TTF ne semble pas être modifiée de manière significative par la taille du système. Cela suggère que les propriétés ONL de [(TTF-NH2)8] 8+ sont directement reliées à celles de TTF-NH2 + . On peut donc conclure que dans le cas de degrés d’oxydation entiers (ρ = 0 ou 1) l’hyperpolarisabilité des empilements ne dépend que de la taille de l’empilement ainsi que de la propriété ONL de la brique constitutive. Dans tous les cas, on n’a un phénomène d’hyperpolarisabilité additive. 2 b)
Cas où 0 < ρ < 1
Si nous étudions maintenant la situation où des charges fractionnaires sont présentes sur les TTF, nous constatons un déplacement important des maxima d’absorption vers le rouge, ce qui correspond à l’apparition de transitions à transfert de charge TTF0 -TTF+ TTF+ -TTF0 suivant le modèle représenté en figure 4. Le système [(TTF-NH2)8] 2+ est particulièrement intéressant du fait de la valeur de son hyperpolarisabilité statique qui est extrêmement élevée (3891 . 10-30 cm5 .esu-1) (tableau 1). 84 dimères empilements 1D Fig. 4 : Transfert d’électron dans le cas d’espèces TTF+ (haut) et TTFρ+ avec ρ < 1 (bas) pour des dimères (gauche) et des empilements 1D (droite) Pour ce système, le terme β2L est toujours dominant ce qui nous permet encore de considérer que β0 β2L. L’origine des propriétés ONL est alors reliée aux transitions électroniques, nous donnons les principales transitions contribuant à β2L dans le tableau 2. Une transition particulièrement intense (f = 12,9) de caractère HO BV est responsable de 42 % de la réponse ONL. L’analyse de cette transition permet alors de comprendre l’origine de l’hyperpolarisabilité. Les orbitales frontières du système sont représentés en figure 5 et confirment une délocalisation sur l’ensemble de l’empilement. A première vue, elles semblent pseudo centrosymétriques mais une analyse fine révèle un transfert de charge de haut en bas (∆µ = 2,2 D). D’autres transitions à transfert de charge sont présentent mais ne contribuent pas de manière significative à la réponse ONL du fait de leurs intensités moyennes (f).
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