Communication contre les violences faites aux femmes
Les violences faites aux femmes : un phénomène d’ampleur et de genre
Nous souhaitons définir ce que sont les violences faites aux femmes, à partir de la littérature scientifique relative à ce phénomène social d’ampleur et de genre. 1. Des violences de genre ciblant les femmes, ancrées dans un système d’inégalités entre les femmes et les hommes Les violences faites aux femmes sont ici définies au prisme du genre, de la définition de Jalna Hanmer (1977) et des organisations internationale (Nations-Unies) et européenne (Conseil de l’Europe). Nous mentionnons également deux enquêtes d’ampleur nationale, l’ENVEFF et l’enquête VIRAGE.
Enquêtes d’ampleur nationale et définition des violences faites aux femmes, des violences de genre
En France, les femmes sont dix fois plus exposées que les hommes aux injures sexistes. Une femme sur sept a été victime de violences sexuelles au cours de sa vie (et un homme sur vingt-cinq). La grande majorité des auteurs de violences sexuelles sont des hommes (Debauche et al., 2017). Ces violences, sur lesquelles nous reviendrons, font l’objet d’une enquête d’ampleur nationale en 2015, l’enquête VIRAGE (Violences et Rapports de Genre). Elle actualise la première Enquête Nationale sur les Violences Envers les Femmes, l’ENVEFF (2001) qui révélait l’ampleur du phénomène des violences faites aux femmes et notamment des violences conjugales, reprises par l’Etat français dès les campagnes du premier plan triennal (2005-2007). A l’instar de sa grande sœur, l’enquête VIRAGE joue un rôle clé dans la définition et l’état des lieux des violences pour les pouvoirs publics : « une enquête pour éclairer les politiques publiques et informer la population sur les violences » (Debauche et al., 2017, p. 11). Sa particularité est d’étudier les violences et les rapports de genre, c’est-à-dire les violences faites aux femmes et plus largement, la catégorie dans laquelle elles s’inscrivent, les violences de genre. Si les violences faites aux femmes s’inscrivent dans les violences de genre c’est que « le concept est aussi pertinent pour penser les violences commises par des hommes contre d’autres hommes pensés comme efféminés ou inférieurs sur le plan de la virilité » (Bereni et al. 2012, p. 83). Les violences faites aux femmes représentent la majorité des violences de genre. « Bien que majoritaire, la violence commise sur les femmes n’épuise pourtant pas la catégorie violence et genre. Les violences commises sur des hommes et qui visent leur masculinité « défaillante » ou leur statut « d’inférieur » dans la classe des hommes entrent également dans ce champ d’analyse » (Simonetti 2016). Les questions posées aux masculinités s’expriment par le concept revisité de « masculinité hégémonique et masculinités subordonnées » (R. Connell & Messerschmidt, 2005). Les violences des femmes, recherches plus récentes et pluridisciplinaires, s’inscrivent également dans cette perspective d’analyse par le genre. Elles permettent « un approfondissement de la réflexion théorique sur les rapports de pouvoir, leur construction, leur représentation (…) souligner le fait que montrer la violence des femmes, son antériorité, sa réalité, en plus de justifier a posteriori des droits politiques, rend possible la déconstruction d’un rapport de pouvoir fondé sur la norme de l’ « a-violence » des femmes » (Castan-Vicente & Benevent, 2016). Pour poser une première définition, les violences faites aux femmes, inscrites dans des violences de genre, désignent « toutes les violences commises par les hommes en tant qu’hommes envers les femmes en tant que femmes » (Bereni et al., 2012). La sociologue et féministe Jalna Hanmer (1977, p. 71) explique que les actes violents d’un homme sur une femme « sont au nom de tous les hommes », ce qui peut « paraître osé, ou même absurde, tellement nous avons individualisé ce phénomène social important ». Citer Jalna Hanmer n’est pas anodin : elle apparaît encore aujourd’hui dans les ouvrages scientifiques français, contemporains et de référence, apposant la conceptualisation et définition des violences faites aux femmes et du genre dès les premières pages, tels que dans Bereni et al. (2012, p. 83), Hernandez Orellana et Kunert (2014, p. 21) ou Jaspard (2011, p. 20). L’article de Hanmer est ainsi qualifié de « majeur (…) pionnier [qui] interroge l’importance et le sens de la violence masculine à l’encontre des femmes au niveau des structures sociales » (Debauche et al., 2013). Hanmer donne ainsi une définition des violences, forme de contrôle social des femmes, et surtout de ce continuum des violences, sans le nommer ainsi, que nous retrouvons dans la littérature. Elle affirme également le point de vue situé des femmes comme légitime pour l’expression de sa définition : « Une définition sociologique de la violence envers les femmes doit tenir compte de l’usage de la force et de la menace comme moyen d’obliger les femmes à se comporter ou à ne pas se comporter de telle ou telle façon. La mort se situe à un extrême et la menace à l’autre. Entre les deux, on trouve toutes sortes de comportements quotidiens, depuis les coups superficiels jusqu’aux blessures graves en passant par l’agression sexuelle et le viol. Notre définition de la violence comprend les catégories légales mais les dépasse en incluant tous les comportements qui visent à obtenir la soumission. C’est une définition de femme ; elle part du point de vue de la victime » (Hanmer, 1977, p. 72). Evoquer les violences faites aux femmes passe très souvent par les filtres des violences conjugales et des violences sexuelles. Or, selon la conceptualisation de ces violences, qualifiées de sexistes, basées sur le genre, nous incluons les facteurs de discrimination et d’inégalité ; nous y reviendrons. En effet, les inégalités s’incluent dans le système de violences de genre envers les femmes et permettent ces violences (Jaspard, 2011). Les inégalités constituent elles-mêmes une forme de violence, (Conseil de l’Europe, 1993 ; 29 Uriburu et al., 2013). Le sexisme s’inclut dans les processus de rejet et de violence mais de plus il les favorise et constitue un obstacle à l’égalité (Dayer, 2014). La conceptualisation des violences faites aux femmes qui inclut les inégalités et discriminations sexistes, à l’instar de la définition de Hanmer, ne vise ni à individualiser, ni à psychologiser ces violences (Dayer, 2014, p. 69-70; Jaspard, 2011, p. 113-115), bien que des « rapprochements théoriques jusque-là antagonistes » se soient effectués, à savoir « une approche intégrant les rapports sociaux et les éléments biographiques personnels » (Jaspard, 2011, p. 115). Pour Dayer (2014, p. 79) « il s’agit donc d’interagir à travers une dialectique entre dimension intrapersonnelle (construction de sa biographique), interpersonnelle (relation avec autrui) et sociétale (rapport au monde) ». En résumé, notre définition présentée des violences faites aux femmes inclut les inégalités et discriminations ciblant les femmes en tant qu’elles sont socialement définies comme telles. Non-essentialiste, elle part du postulat que, dans les violences de genre, les violences faites aux femmes sont un phénomène construit, social, non naturel, qu’elles relèvent de dimensions interpersonnelle et sociétale, et qu’elles ne sont pas réductibles à des actes puisqu’elles présentent un phénomène massif, systémique et un rapport de pouvoir. En tant que phénomène social et sociétal, ces violences peuvent être combattues et sujettes à changement. Le genre, qui constitue le prisme d’analyse de ces violences faites aux femmes, est ainsi synthétisé par Bereni et al. (2012), en tant qu’il est « une construction sociale ; un processus relationnel ; un rapport de pouvoir ; imbriqué dans d’autres rapports de pouvoir ».
Définitions des violences faites aux femmes des Nations Unies et du Conseil de l’Europe
Les définitions des violences faites aux femmes passent aussi par des textes politiques ayant une portée internationale (Nations-Unies) et européenne (Conseil de l’Europe). Le processus de définition des violences faites aux femmes s’inscrit dans la lutte contre celles-ci, lutte sur laquelle nous revenons plus loin (chapitre 2, page 42). Deux textes apparaissent plus fréquemment dans la littérature ; ils explicitent que les femmes en sont la cible, mentionnent les violences et les inscrivent dans un rapport d’inégalités. Le genre apparaît dans la seconde. Le premier texte est la Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes votée par l’Assemblée générale des Nations Unies. Dans son article premier, les violences faites aux femmes sont définies comme : « tous actes de violence dirigés contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ». Cette définition vient « renforcer et compléter » le processus initié par la Convention sur l’élimination des discriminations à l’égard des femmes de l’ONU de 1979 et ratifiée par la France en 1983. L’année 1993 est ainsi présentée comme une « année stratégique » car « nombre de textes internationaux parlent de « violences fondées sur le sexe » » (Jaspard, 2011, p. 7), à l’instar de la définition des Nations Unies « dirigées contre le sexe féminin ». L’analogie avec le racisme est ainsi exprimée « comme pour les exactions à caractère raciste, c’est l’intentionnalité de discrimination qui qualifie l’acte. Les violences sexistes sont officiellement reconnues comme violation des droits fondamentaux des femmes » note Jaspard (2011, p. 7). La Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes précise que : « la violence à l’égard des femmes traduit des rapports de force historiquement inégaux entre hommes et femmes, lesquels ont abouti à la domination et à la discrimination exercées par les premiers et freiné la promotion des secondes, et qu’elle compte parmi les principaux mécanismes sociaux auxquels est due la subordination des femmes aux hommes, » Cette considération désigne ainsi la dimension sociétale et non d’actes interpersonnels des violences faites aux femmes. Ces dernières s’inscrivent dans un cadre plus large d’inégalités, qui les permettent et les maintiennent. Les violences citées sont larges et elles concernent, sans s’y limiter, la violence « physique, sexuelle et psychologique exercée au sein de la famille (…) de la collectivité, (…) [et celle] perpétrée ou tolérée par l’Etat, où qu’elle s’exerce ». « Depuis, d’autres instruments internationaux ont été mis en place, au moyen desquels l’ONU établit un cadre général dans lequel les organismes régionaux tels que le Conseil de l’Europe élaborent des conventions incitant la mise en œuvre de politiques publiques nationales » (Hernandez Orellana & Kunert, 2014, p. 11-12). Le deuxième texte de référence dans la littérature, correspondant à l’une ces conventions pour la mise en œuvre de politiques publiques, est la Convention du Conseil Européen sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique de 2011, ratifiée par la France en 2014, aussi connue sous le nom de Convention d’Istanbul. Empreinte de féminisme (Jaspard, 2011), elle constitue le texte de référence au niveau européen, elle définit les violences faites aux femmes dans son article 3 comme : « tous les actes de violence fondés sur le genre qui entraînent, ou sont susceptibles d’entraîner pour les femmes, des dommages ou souffrances de nature physique, sexuelle, psychologique ou économique, y compris la menace de se livrer à de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou privée ». Les violences sont fondées sur le genre : « toute violence faite à l’égard d’une femme parce qu’elle est femme ou affectant les femmes de manière disproportionnée » précise la Convention, et le genre désigne « les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes ». Pour Simon (2014, p. 93-94), la définition des violences faites aux femmes pointe deux éléments importants dans la compréhension du phénomène. Le premier est qu’elles revêtent « de multiples formes (…) physiques, sexuelles, verbales, psychologiques, économique » et qu’elles s’envisagent « selon la sphère de vie au sein de laquelle elles ont lieu (privée, publique, professionnelle, scolaire, universitaire, etc.) et selon l’auteur (conjoint ou ex-conjoint, membre de la famille, collègue de travail, cercle amical, etc.) ». Le deuxième point important indique que toutes ces violences « ont un socle commun. En effet, qu’elles soient conjugales, sexuelles, harcèlement sexuel ou encore des différentes formes de contraintes que l’on fait peser sur la sexualité des femmes (…) ces violences sont perpétrées contre des femmes précisément parce qu’elles sont des femmes et ne prennent sens que lorsqu’elles sont replacées dans un contexte plus large d’inégalités entre les hommes et les femmes ».
Résumé |