Communauté de pratique et performance dans les relations de service
Les travaux fondateurs de l’Ecole des Relations Humaines, développés avec les expériences d’Elton Mayo et son équipe (Hawthorne 1927 et 1932), ont permis de conceptualiser pour la première fois en 1939 la notion de groupe informel dans les organisations. Depuis, ce phénomène n’a pas cessé d’attirer la curiosité des chercheurs dans les sciences sociales et les praticiens dans les entreprises. Pourtant, les études réalisées sur les réflexions tayloriennes ont montré qu’historiquement, les précurseurs (Taylor puis Fayol) considéraient ces groupes informels comme des groupes clandestins représentant un dysfonctionnement dans l’organisation et visaient à les éliminer considérant qu’ils constituaient un danger pour l’entreprise. Les premiers résultats issus des travaux de l’école des relations humaines et les travaux prolongeant leur réflexion ont contredit les idées tayloriennes à ce sujet. Ils ont montré que ces groupes ont des apports bénéfiques pour l’organisation et sont souvent sensibles aux objectifs poursuivis par cette dernière (Reynaud, 1988). De ce fait, plusieurs théoriciens se sont intéressés à la dynamique de ces groupes et à leurs apports potentiels pour les organisations dans lesquelles ils évoluent. Par ailleurs, les organisations ont connu ces dernières années un contexte fortement marqué par des changements accélérés (Koenig, 2006). Ceci a incité les chercheurs et les praticiens à s’intéresser davantage aux problématiques de l’apprentissage organisationnel et du transfert des connaissances dans les organisations (Wenger et Snyder, 2000 ; Vaast, 2002 ; Cohendet et al., 2003). Ce regain d’intérêt s’est soldé par la multiplication des travaux dans ces domaines (Scribner, 1984 ; Suchman, 1987 ; Brown et Duguid, 1989 ; Lave, 1988 et 1989 ; Lave et Wenger, 1991 ; Nonaka, 1994, etc.).
C’est dans cette tradition, encouragée par les préceptes issus des travaux de l’école des relations humaines sur le phénomène de groupe, qu’est née la théorie des Communautés de Pratique (CP) (Lave et Wenger, 1991) qui sera développée davantage par Wenger (1998). Ces auteurs présentent leur théorie comme une théorie sociale de l’apprentissage. Ils présentent cet apprentissage comme situé et se déroulant dans une communauté dont l’essence et l’identité sont ancrées dans la pratique. Parmi les définitions proposées par Wenger (1998) pour les CP, la plus reprise dans la littérature est : « les Communautés de pratique (CP) sont des groupes informels d’individus qui ont une histoire commune, interagissent fréquemment, partagent des connaissances, et rencontrent des problèmes proches au sein d’une même organisation ». D’après les initiateurs, le cœur battant de la CP réside dans les interactions informelles qui se déroulent entre ses membres. Ceci permet un apprentissage informel particulièrement efficace pour les salariés, dans le sens où il aboutit à l’élaboration d’un savoir, partiellement tacite, et des pratiques indispensables pour mener à bien leur travail quotidien (Brown et Duguid, 1991). Ainsi, et depuis leur identification comme structures favorisant l’apprentissage et le transfert de connaissances entre les membres de l’organisation, les CP ont attiré l’attention de plusieurs praticiens en management, mais aussi de chercheurs. Certains de ces derniers ont mis en avant les rôles opérationnels des CP dans les organisations (Lave et Wenger 1991 ; Brown et Duguid, 1991 ; Wenger 1998 ; Smith et Farquhar 2000 ; Lesser et Stork 2001 ; Mc Dermott 2002 ; Guérin 2005 ; Schenkel et Teigland, 2008 ; Hemmasi et Csanda, 2009), tandis que d’autres se sont efforcés d’identifier leurs caractéristiques épistémiques et structurelles (Wenger 1998 ; Chanal 2000 ; Cohendet et al., 2003 ; Blunt, 2003 ; Josserand et St Leger, 2004 ; Guérin 2005 ; Thompson 2005.).
En fait, le rôle opérationnel des CP tel qu’il est présenté par les auteurs ci-dessus, consiste généralement dans l’idée que leurs membres élaborent et partagent des connaissances et pratiques. Dès lors, il est cohérent de penser que la CP contribuerait à améliorer la compétence des participants dans ce groupe. Néanmoins, la notion de compétence reste très abstraite dans le sens où sa visibilité n’est permise qu’à travers l’observation de la performance (Igalens et Scouarnec, 2001 ; Ghirardello, 2005). Ainsi, nous avons laissé la notion de compétence de côté pour nous focaliser davantage sur la performance. Wenger, 1991 ; Brown et Duguid 1991 ; Wenger, 1998 ; Schenkel et Teigland, 2008). Notre petite expérience en tant que salarié dans le « front-office » d’une organisation de service nous a permis de constater ledit écart et nous avons commencé alors à nourrir notre réflexion à propos de ce contexte. Les théoriciens s’intéressant aux entreprises de service ont présenté le contexte de ces dernières comme marqué par des situations multiples et variées, imprévisibles et délicates à gérer. C’est ce qui provoque un écart entre ce qui est prescrit par les règles organisationnelles et le travail réel tel que réalisé par les agents. En d’autres termes, les modes opératoires prescrits ne couvrent pas toutes les situations possibles et se montrent parfois incapables de résoudre certains problèmes. L’instabilité des situations qui provoque cet écart dans le contexte des relations de service, est due et imputée essentiellement à la participation du client au processus d’élaboration de service : la « coproduction » du service (Eiglier et Langeard, 1987 ; Hatchuel, 1996 ; Gadrey 1996 et 2002 ; Hanique et Jobet, 2001 ; Pichault et Zune, 2000 ; David, 2001 ; Bouzit, 2001 ; Hubault et Bourgeois, 2001 ; Zarifian, 2002 ; Jeantet, 2003, etc.).