Comment le vécu des changements corporels au cours de la vie des femmes influence-t-il leur suivi médical ?
Rapport au corps et société
Dans notre société actuelle, le corps et l’apparence sont soumis à des normes sociales* contraignant les individus à se conformer surtout en fonction de leur sexe, masculin ou féminin. Ce regard normé que porte la société est d’autant plus important chez les femmes dont le corps doit véhiculer une certaine image « acceptable » pour la société (1) .Outre une différenciation des sexes marquée dès le plus jeune âge par une attitude genrée* (par exemple la couleur rose chez les filles et le bleu chez les garçons), la sexualisation des filles est importante, notamment par le biais de l’apparence. En effet, selon une étude menée par un fabricant de jouets et présentée par Catherine Monnot dans Petites filles d’aujourd’hui : l’apprentissage de la féminité, 90% des filles âgées de 4 à 8ans se 5 sont déjà parfumées et 92% se sont déjà maquillées. 50% d’entres elles possèdent des jouets d’imitation pour se faire belle (2). Des standards de beauté sont véhiculés notamment à travers les médias, imposant au corps certaines contraintes d’apparence (3). Cette apparence peut être source de réussite ou non dans le domaine professionnel, personnel/ amoureux ou plus généralement en lien avec l’ascension sociale(4) . Dans un contexte d’utilisation croissante des réseaux sociaux, l’exposition des femmes à des images représentant des standards de beauté les incite plus fortement à s’y conformer. En effet, plus elles sont exposées à ces images, plus leur image corporelle en est affectée négativement, les incitant à avoir recours à des régimes alimentaires ou une activité physique afin de la modifier et ainsi se rapprocher des standards de beauté véhiculés (5) . De la même manière, l’étude de Mme Véronique Bisson portant sur l’influence de Facebook© sur l’image corporelle pendant la grossesse, a mis en lumière que ce réseau social expose particulièrement à une représentation* normative et idéalisée du corps pendant la grossesse mais aussi une représentation plus réaliste et diversifiée. En somme, un impact plus ou moins négatif (6).
Des vécus liés à des changements corporels
Dans cette société de l’apparence, des changements corporels surviennent au cours de la vie des femmes entrainant des vécus différents et complexes selon les personnes , ayant un impact psychologique fort et venant parfois questionner l’identité féminine même ou bien la notion d’égalité. Le livre « Notre corps nousmêmes » est une version réactualisée par un collectif de femmes (version initiale en 1973 aux Etats-Unis, traduite en 1977 en France) qui nous livre des témoignages poignants de femmes, tout milieu social confondu sur le corps féminin et les changements vécus (7). Ce livre m’a beaucoup inspirée pour ce travail de thèse. Aborder les changements corporels et leur vécu c’est aussi définir ce qu’est l’image corporelle : « L’image corporelle, c’est la perception qu’une personne a de son propre corps : c’est l’image qu’elle croit projeter, sa manière de se sentir dans son corps et ce qu’elle ressent quand elle y pense »(8). 6 L’utilisation du terme « changements corporels » fait référence dans cette étude aux changements physiologiquement attendus dans la vie d’une femme, dans une approche bio médicale. Il s’agit de la puberté, de la grossesse et de la ménopause. La recherche bibliographique au sujet des changements corporels au cours de la vie des femmes met en évidence les changements corporels mais aussi les conséquences psychologiques qui en découlent en lien avec : -L’adolescence. D’un point de vue mixte, elle est aussi décrite comme une période de transition, un passage où se jouent l’interaction entre des transformations physiques, un processus psychologique et un changement de statut psychosocial. Ces modifications physiques sont le fait d’un processus physiologique appelé « la puberté » avec la modification des caractères sexuels primaires (organes génitaux et reproducteurs) et l’apparition des caractères sexuels secondaires (seins, pilosité, muscles etc.) sous l’effet d’un « réveil hormonal »(9) . Cet ancrage corporel impose à l’adolescent un travail psychique d’appropriation de cette nouvelle « enveloppe » et des modifications de relation aux autres que cela entraîne par la découverte de la sexualité entre autre (10) (11). – La grossesse. Cet événement de vie, entraînant des modifications corporelles spécifiquement féminines n’est pas toujours « rose » comme on peut souvent l’entendre. La grossesse peut aussi être à l’origine d’une crise identitaire avec l’irruption corporelle d’un autre, pouvant aussi faire ressurgir le lien intra-utérin passé avec sa propre mère. Ce malaise peut être décrit comme en lien avec les symptômes physiques que les femmes ressentent en début de grossesse (nausées, fatigue etc.) (12) . Plusieurs sentiments peuvent se mêler lors d’une grossesse. La crainte d’une défaillance du corps puisqu’on ne le maitrise plus est présente avec notamment la peur d’une fausse couche. La honte et la culpabilité peuvent apparaitre lors d’une grossesse suivant une interruption médicale de grossesse (IMG). Ces sentiments s’intriquant à la relation avec l’enfant à naître (13). Un état dépressif pendant la grossesse est quant à lui associé à une perturbation de l’image corporelle, l’inverse étant vrai également. Cette perturbation peut entrainer des attitudes et conduites alimentaires dommageables pour la santé du bébé et de la mère avec une prédisposition par la suite pour des troubles du comportement alimentaire (TCA). 7 Une perturbation de l’image corporelle est aussi associée à une moindre intention d’allaiter (14). – Des changements corporels suite à des cancers, notamment le cancer du sein. Le cancer est une maladie « cachée » mais dont le corps en est le messager visible. Les personnes atteintes de cancer ont une image d’elles modifiée par la souffrance que peut occasionner une alopécie difficile à vivre, une perte ou gain de poids ou une ablation. Cette souffrance est aussi en lien avec une accumulation de pertes fonctionnelles et donc une perte d’autonomie (15). Au-delà de son rapport à soi-même, c’est aussi le rapport intime à l’autre à travers la sexualité qui est fortement impacté. Dans une étude portant sur 360 femmes atteintes d’un cancer du sein, plus de la moitié présentaient des difficultés dans leur vie sexuelle, touchant plusieurs aspects, du désir à la difficulté à prendre du plaisir en passant par les douleurs occasionnées (16). – Des changements corporels en lien avec le vieillissement sont également décrits (sous l’angle d’un vécu féminin uniquement). Le corps vieillissant ne répond plus aux standards de beauté imposés par la société ou encore à l’injonction de performance. Dans une étude réalisée sur l’exploration de l’image corporelle chez des femmes âgées, il est ressorti qu’avec l’âge la préoccupation de l’apparence est toujours présente mais moins verbalisée que la préoccupation pour la santé. En effet, l’avancée en âge pousse à entrevoir de possibles défaillances de la santé amenant à une perte des fonctions et donc une dépendance. La peur de l’exclusion est également bien réelle, tout comme l’avenir de leur image corporelle, incertaine qui les renvoie à l’idée de la mort (17). La notion de dépendance attrait au vieillissement peut être par analogie rapprochée au handicap, sans oublier les spécificités que chacun de ces deux champs portent (18) . Mona Chollet dans son livre « Sorcières, la puissance invaincue des femmes » évoque le vieillissement à travers le « sentiment d’obsolescence programmée » et « la hantise de péremption », des mots forts pour décrire les maux du vieillissement (19). La littérature nous apporte donc beaucoup d’éléments sur le vécu de certains changements corporels par les femmes sans pour autant nous apporter une exhaustivité quant à ceux-ci. Par exemple, le vécu de la ménopause ou de la puberté 8 chez les filles est très peu décrit en comparaison à la grossesse. Y-a-t-il d’autres changements corporels chez les femmes ? Par ailleurs, cette littérature est assez centrée sur le vécu qui est complexe et suggère de ce fait qu’il a aussi un impact non négligeable dans d’autres champs. Il me paraissait alors intéressant de faire un lien avec le suivi médical. Comment ce vécu influence t-il le suivi médical des femmes ? Consulte-on le médecin lorsqu’on vit des changements corporels en tant que femme ? Lorsqu’on évoque le suivi médical, on ne peut oublier de prendre en compte aussi la relation médecin-patient.e. Comment la relation avec le médecin peut elle impacter le suivi médical lorsqu’il s’agit d’aborder les questions des changements corporels chez les femmes ?
INTRODUCTION |