COMMENT DONNER UNE REALITE A UNE SITUATION FAMILIALE « SINGULIERE »
« L’ethnographe se réserve le droit de douter a priori des explications toutes faites de l’ordre social. Il se soucie toujours d’aller voir de plus près la réalité sociale, quitte à aller à l’encontre des visions officielles, à s’opposer aux forces qui imposent le respect et le silence, à celles qui monopolisent le regard du monde » Beaud S., Weber F., 1997 : 10. Dans cette première partie, il s’agira de retracer les différentes étapes de l’enquête dites de « terrain » qui nous permettra alors de rendre compte de la réalité, ou plutôt d’une réalité familiale inconnue ou presque. Mais avant de se centrer sur cette démarche ethnographique, précisons d’ores et déjà quelles ont été les motivations de « l’apprentie chercheuse » pour un sujet anthropologique peu évoqué que sont les familles où l’un des parents est une personne transsexuelle. Essayer de donner une réalité à cette forme familiale, même si elle est rare, est donc la motivation première de cette partie. Comment l’aborder ? Comment se présenter et être reconnue en tant que chercheuse ? Telles seront les pistes réflexives du développement qui suit. Afin de dévoiler une situation sociale, quoi de plus logique d’aller à la rencontre des gens qui la vive ? L’enquête ethnographique est ici la possibilité qui nous est offerte afin de se rapprocher au mieux de notre objectif. Il n’est pas question d’en faire l’éloge mais il est nécessaire de l’expliciter puisque c’est à partir de son déroulement que nous aurons alors la base de toute notre réflexion. Décrire la manière dont la chercheuse s’est engagée sur le terrain est aussi une façon d’éclaircir ses différents questionnements quant à leurs évolutions.
LES CONDITIONS DE L’ENQUETE : « LES PREMIERS PAS »
L’enquête est un temps, un lieu, une pratique et surtout une expérience de l’altérité (Laplantine, 1996 : 11). Nous verrons alors comment le choix du terrain, son accès et sa légitimité ont été élaborés afin de donner une plausibilité au recueil de data. 1. Le choix du terrain : un milieu d’interconnaissance La question de départ qui a mené tout le déroulement de l’enquête était simple : comment s’organisent les relations familiales lorsque le père ou la mère s’engage, ou s’est engagé, dans un parcours de transsexualisation ? A partir de là, il s’agissait alors de « trouver » des personnes correspondant à cette configuration familiale. Pour se faire, nous devions, dans un premier temps, investir les différents milieux dans lesquels nous pourrions éventuellement rencontrer ces personnes. La France offre alors deux voies : les associations et les équipes officielles. Les premières visent à aider les personnes transgenres à être acceptées socialement, les secondes étant nécessaires pour les constituer physiquement et civilement. En effet, la procédure de transsexualisation en France implique la médecine. Cette deuxième possibilité peut alors être une entrée pertinente pour le chercheur qui s’intéresse à la procédure de constitution des personnes transgenres. Nous pensons ici à une recherche menée par Laurence Hérault (Hérault, 2006). L’anthropologue travaille au sein d’une des équipes françaises afin d’expliciter les questions suivantes : qu’est-ce qu’un transsexuel ? Qu’est-ce qu’un parcours ? La première interrogation renvoie alors à la manière de se dire, à la présentation et à la définition de soi ; la seconde permet d’interroger la construction typique d’une expérience. Certes, cette entrée nous a paru attractive par la possibilité d’avoir un lieu précis et circonscris qui faciliterait alors les observations et le contact avec les personnes transsexuelles. Mais nous ne voulions pas être confrontés à un discours trop réfléchi et dirigé par le seul but de franchir les étapes de la transition, nous aurions pu alors prendre une position faussée face à ses personnes et être pris pour quelqu’un que l’on n’est pas. En effet, les personnes viennent là car elles sont en demande de transformation et leurs discours est en définitive calqué sur ce que veulent entendre les spécialistes. De plus, travailler dans un tel lieu nécessite une autorisation, un droit officiel à enquêter puisqu’il s’agit d’un milieu institutionnel. La peur du débutant est alors de se voir refuser l’entrée ou alors d’être manipulé et guidé par la direction de l’établissement. Nous le savons et nous en tenons compte mais nous ne voulions pas avoir une telle difficulté à affronter et le but de notre travail ne correspondait pas tout à fait non plus à cette investigation. Nous cherchions avant tout à nous assurer de notre position de chercheur et être considéré comme tel. Et par-dessus tout, la parole donnée aux personnes était au centre de nos préoccupations. Parler de sa famille alors que la personne est là dans un tout autre but ne permettait pas ce type de terrain institutionnel. Le terrain que nous allons décrire ici n’est donc pas matérialisé par une infrastructure. En effet, il s’agit plutôt d’un milieu d’interconnaissance. Comme nous l’avons signalé plus haut, il s’agissait de rencontrer des personnes dans leur intimité et quoi de plus intime que d’aller chez eux, dans leur foyer là où justement se construisent les liens familiaux. Il ne suffisait pas de prendre le bottin mondain pour établir un échantillon à la manière.