Comment développer une réflexion sur la responsabilité individuelle et collective
Qu’est-ce que le harcèlement ?
Origine, définition et caractéristiques du harcèlement scolaire
Dan OLWEUS (chercheur suédo-norvégien, né le 18 avril 1931) a été le premier à avoir défini cette forme de violence entre élèves qu’est le harcèlement entre pairs. Le terme utilisé dans les pays anglosaxons est le « school-bullying ». Dans son seul ouvrage traduit en français et publié en 1999, « Violences entre les élèves, harcèlement et brutalités : les faits, les solutions », D. OLWEUS établi la définition du harcèlement scolaire : « un élève est victime de violence (a student is being bullied) lorsqu’il est exposé de manière répétée et à long terme, à des actions négatives de la part d’un ou de plusieurs élèves ». Ce chercheur donne des exemples de formes de harcèlement, tel que : les taquineries, les railleries, les surnoms, les menaces, les coups ou encore les gestes obscènes. Le harcèlement scolaire est avant tout défini par sa répétition sur le long terme. Un élève peut par exemple subir des moqueries qui peuvent durer toute l’année scolaire et affecter de façon importante son quotidien. On note aussi, comme autre caractéristique, un déséquilibre des forces. C’est à dire qu’un ou plusieurs élèves dominent, par l’abus de pouvoir, un autre élève, souvent isolé. L’élève peut ainsi être amené à subir sans pouvoir se défendre. Selon D. OLWEUS, l’élève visé par le harcèlement peut être démuni face à l’élève ou les élèves qui le harcèlent. D’après Jean-Pierre BELLON et Bertrand GARDETTE, ce harcèlement a lieu dans une relation déséquilibrée. Ainsi, on ne considère pas, dans des cas de « faits de violence » ou de « bagarres enfantines », qu’il s’agit de harcèlement si les individus ou les groupes qui s’opposent ont un statut de force égale ou sensiblement égale. Cependant, lorsque les élèves impliqués sont en situation d’inégalité (« comme les plus forts contre les plus faibles, les plus âgés contre les plus jeunes, les plus nombreux contre les isolés ») que cela engendre un ostracisme ou un isolement d’un ou plusieurs élèves, nous sommes face à du harcèlement entre pairs. Enfin, ce mode de harcèlement s’accompagne aussi d’une volonté de nuire à sa victime. Selon JeanPierre BELLON et Bertrand GARDETTE, dans la plupart des cas, le harcèlement commence autour du rire et est souvent présenté par le ou les harceleurs comme de « simples jeux à caractère inoffensif ». Ainsi, à son démarrage, le harcèlement n’est souvent pas reconnu par ses auteurs « comme blessant ou malveillant ». Toutefois, à partir du moment où ce harcèlement s’inscrit dans la durée, « les agresseurs ne peuvent plus ignorer qu’ils font souffrir leur victime », et parfois ils répètent ces actions pour justement causer du mal. Le harcèlement scolaire se différencie des autres types de harcèlement (familial, professionnel) par l’importance du phénomène de groupe qui l’accompagne. En effet, on peut même considérer que c’est une condition nécessaire à son développement dans le milieu scolaire. On peut ainsi constater que les formes de harcèlement scolaire reposent sur une relation triangulaire entre un harceleur, une victime et un groupe de pairs. 6 Victime Harceleur Les pairs = les témoins
Présentation du statut de témoin
Les témoins, dans une situation de harcèlement, peuvent être définis comme des spectateurs ou encore des observateurs. Ils jouent un rôle très important dans le développement, le maintien ou l’arrêt du harcèlement. En effet, ils peuvent soit l’encourager, soit y participer afin de le soutenir de manière directe (par des moqueries) ou indirecte (par des rires) ou à l’inverse, le désapprouver (en montrant son opposition ou son soutien à la victime). Quelque soit la situation de harcèlement, les témoins y sont toujours associés d’une façon ou d’une autre. Christina SALMIVALLI (professeur de psychologie à l’université de Turku en Finlande) a défini de façon précise trois positions adoptables par les témoins d’une situation de harcèlement. Elle défini un premier groupe : « les supporteurs ». Ce groupe d’élèves gravite autour du meneur, c’est à dire celui qui génère et entretient le harcèlement. Ces supporteurs « encouragent et renforcent les actes d’agression » en assistant le harceleur. Christina SALMIVALLI pointe que certains peuvent se charger de récolter des informations, tandis que d’autres s’en servent pour harceler la victime. Elle définit ensuite un deuxième groupe, souvent plus nombreux : « les outsiders ». Ce groupe d’élèves « reste en retrait sans se positionner clairement ». Ils ne sont pas toujours d’accord avec le harcèlement qui se joue sous leurs yeux mais n’agissent pas pour le faire cesser. Enfin, elle défini un dernier groupe qu’elle nomme « les défenseurs ». Ces élèves « prennent position en faveur de la victime ». Ils peuvent être amenés à intervenir en s’opposant au(x) harceleur(s) ou en aidant la victime après les situations de harcèlement en « la soutenant et en la réconfortant ». Christina SALMIVALLI suggère d’« utiliser la force des groupes de pairs pour prévenir les comportements brutaux » tel que le harcèlement.
Les conséquences du harcèlement scolaire
Dans « L’école face à la violence : décrire, expliquer, agir », Eric DEBARDIEUX met en avant l’importance des conséquences scolaires que peut avoir le harcèlement. En effet, il précise qu’être harcelé de façon régulière peut affecter la mémoire, la concentration et les capacités d’abstraction. Ainsi, les élèves qui ont été mis à l’écart pendant une longue période de leur scolarité exprime « une opinion plus négative de l’école ». Ils sont alors amenés à élaborer des stratégies d’évitement afin d’être moins présents en classe. Cela a pour conséquence de générer une baisse dans les résultats 7 scolaires. Mais, il ne faut pas non plus négliger les conséquences psychologiques. Les élèves souffrant de harcèlement deviennent alors des victimes et perdent leur estime de soi. Ils sont souvent amenés « à supporter leur détresse en silence ». A plus long terme, le harcèlement scolaire peut engendrer des problèmes de santé mentale tel que : l’anxiété, le repli sur soi, la dépression, les idées suicidaires, les tentatives de suicide. Les harceleurs présentent aussi des problèmes sérieux. Ils sont souvent en échec scolaire. Les témoins peuvent ressentir de la culpabilité de ne pas être intervenus afin de faire cesser le harcèlement, par peur d’être à leur tour victime.
Quelle est l’importance des émotions dans le harcèlement ?
Dans une situation de harcèlement, on peut se demander pourquoi un enfant est-il plus sensible à une différence chez un autre enfant, pourquoi se met-il à harceler son camarade ? « On peut faire l’hypothèse que les élèves harceleurs ont une mauvaise perception de leurs émotions et en conséquence, une mauvaise analyse de leur ressenti. » (Nicole CATHELINE 2015, « Que saisje ? »). En effet, les émotions ont un rôle important dans notre vie. On va dans un premier temps, s’intéresser à ce qu’on appelle l’intelligence émotionnelle. On s’intéressera ensuite à une catégorie de neurones qui semblent être la base de cette intelligence émotionnelle : les neurones miroirs qui permettent la perception des émotions d’autrui. Puis on portera une attention particulière à l’empathie et à son incidence dans les situations de harcèlement.
Émotions et intelligence émotionnelle
Une émotion est une réaction spontanée à un ou des stimuli (un son, une odeur, une image, etc.) provenant de notre environnement. Cela se traduit par une réaction comportementale et physiologique automatique (transpiration, pâleur, accélération du pouls …). Il existe six émotions de base : joie, tristesse, peur, dégoût, colère, surprise. Mais on peut définir d’autres émotions telles que la honte, la fierté, la gratitude, l’empathie. . . Pour exprimer la gestion de ses émotions par un individu, les psychologues utilisent l’expression « d’intelligence émotionnelle ». Cela correspond à la capacité de chaque individu « à identifier, comprendre, exprimer, utiliser et réguler ses émotions ou celles d’autrui ». Il existe de grandes différences entre les individus selon leur capacité à connaître leurs émotions et à les gérer. En effet, certains individus ont une connaissance élevée de leurs émotions. Ils adoptent ainsi une stratégie adaptée et ont un comportement adéquat. On dit qu’ils ont un bon niveau de compétence émotionnelle. Ceci est considéré comme favorable dans de nombreuses situations. D’autres individus ont un bon niveau de connaissance de leurs émotions. Cependant, ils ne savent pas appliquer de bonnes stratégies dans leur vie quotidienne. Ceci peut donc avoir un effet négatif sur leurs relations sociales et leur réussite scolaire. 8 Il ne faut pas négliger l’importance de la gestion des émotions car cela peut avoir une influence sur les comportements sociaux et engendrer le harcèlement ou la victimisation.
La perception des émotions d’autrui et les neurones miroirs
Notre capacité à interagir avec les autres est en partie liée à notre capacité à prendre en compte les émotions d’autrui. Des travaux en psychologie et en neurosciences ont montré que la compréhension des émotions d’autrui repose sur des circuits neuronaux qui sont aussi impliqués dans la perception de nos propres émotions. Les expériences de Giacomo RIZZOLATTI ont montré que lorsque nous observons une personne faire un geste, les circuits neuronaux qui commandent cet acte s’activent aussi dans notre cerveau alors que nous restons complètement immobiles. Plus précisément, la perception d’une action active le cerveau de la personne qui observe de la même façon que si c’était elle qui faisait l’action. Cette surprenante constatation met en jeu des circuits neuronaux appelés neurones miroirs. Le rôle principal de ces neurones miroirs serait de nous permettre de rentrer en communication avec les autres. Ils nous donnent la capacité d’adopter le point de vue d’autrui et de le comprendre. Les neurones miroirs sont à la base de l’intelligence émotionnelle évoquée précédemment. Ils permettent aussi le développement de l’empathie.
L’empathie et son incidence dans les situations de harcèlement : le cas du harceleur
Le terme « empathie » naît au 19ème siècle. Il se définit comme la compréhension intuitive d’une œuvre d’art. Le terme est repris au 20ème siècle dans une approche psychologique. On définit alors l’empathie comme « la faculté de communication qui nous permet de partager les sentiments des autres lorsque nous les observons, de ressentir leur peine lorsqu’ils souffrent ». Theodor LIPPS (1907) propose de considérer « l’empathie comme un mécanisme d’imitation inconsciente et automatique d’autrui, de sa posture, de sa mimique, mécanisme qui réactive en soi le souvenir d’une émotion analogue à celle que l’autre ressent ». L’empathie présente deux composantes, l’une affective, l’autre cognitive. La composante affective est présente dès la naissance et ainsi permet au bébé de percevoir très tôt les émotions de son entourage. La composante cognitive apparaît entre deux et quatre ans et permet d’attribuer des intentions, des émotions à autrui. Actuellement, des chercheurs rajoutent une troisième composante qu’ils appellent « motivationnelle », elle nous pousse à rechercher le bien être d’autrui. Ainsi on peut envisager trois fonctions à l’empathie : permettre à chacun de partager l’état émotionnel d’autrui (composante affective), motiver chacun à prendre soin de l’autre (composante motivationnelle) et aider chacun à comprendre autrui en adoptant son point de vue (composante cognitive). On peut donc se demander, dans le harcèlement scolaire, si le harceleur ne souffre pas d’un manque d’empathie. Ayant des difficultés à se mettre à la place de l’autre, l’agresseur n’envisage pas les conséquences de ses actes et les émotions ressenties par la victime. Pour répondre à cette question, il faut aussi envisager le point de vue de la victime et considérer un 9 autre facteur : l’alexithymie.
L’alexithymie, un état de sidération : le cas de la victime
Ce terme a été introduit en 1972 pour décrire des symptômes observés chez des patients. On peut expliquer l’étymologie de ce mot par : « A » pour absence, « lexi » pour mot, « thymie » pour humeur (affectivité, sentiment, émotion). L’alexithymie se définit comme « l’incapacité à identifier et à décrire verbalement les sentiments et les émotions ». On distingue donc deux caractéristiques : l’impossibilité à exprimer verbalement ses émotions et l’impossibilité à identifier ses sentiments. Le terme d’alexithymie peut présenter une autre étymologie en le découpant différemment soit alex pour « protection contre » et thymos pour « émotions ». Dans ce cas, on pourrait considérer que la fonction de l’alexithymie serait de « protéger l’individu contre ses propres émotions en les maintenant à distance ». Ainsi, Nicole CATHELINE (« Que saisje ? », 2018) émet l’hypothèse « qu’une victime pourrait développer une forme d’alexithymie lorsque confrontée à une situation de harcèlement, elle ne saurait pas comment réagir et pourrait ne pas réagir du tout ». Elle serait donc dans un état que l’on peut qualifier de sidération. Cela nous permet de penser que l’alexithymie peut être un vecteur de harcèlement. La position de la victime qui ne réagit pas et ne se défend pas peut conforter le harceleur dans son action. Celui-ci aurait donc un sentiment de toute puissance face à un être qu’il considère comme faible.
Les dérèglements des émotions dans les situations de harcèlement
Nicole CATHELINE (« Que sais-je ? », 2018), en considérant les différents éléments énoncés précédemment, envisage les différentes étapes qui peuvent conduire à une situation de harcèlement. Un élève repère, dans un groupe ou à l’écart du groupe, un autre élève dont « l’image lui fait peur » (ceci est lié à son histoire personnelle). Cette image lui est insupportable. Faire part de ses émotions à autrui lui est difficile car il est « autocentré ». Il préfère se défendre par lui même. Cet élève n’a pas de troubles psychiatriques mais étant « autocentré », il est incapable de développer de l’empathie. La peur de la différence perçue chez l’autre le pousse au harcèlement afin de se « protéger de l’étranger ». Nicole CATHELINE suggère que « si les harceleurs faisaient preuve d’empathie, ils pourraient se mettre à la place de l’autre. Si cet effort de compréhension de l’autre avait été fait, le harcèlement n’aurait pas commencé ». La victime est, elle, dans un état de sidération face à la violence de l’agression. Elle est, dans un premier temps, dans l’impossibilité de répondre à l’attaque et ceci conforte le harceleur dans son ressenti de toute puissance, de domination. Dans un second temps, lors de la deuxième attaque, la victime peut « sortir de son état de sidération », percevoir les intentions du harceleur et réagir vis à vis de lui. Elle peut alors faire stopper le harcèlement. Mais si la victime, lors des attaques suivantes, « reste dans un état de sidération » car elle a du mal à identifier les réactions et les émotions du harceleur, on dira que son alexithymie est persistante. On peut donc considérer qu’autant les harceleurs que les victimes présentent des difficultés dans la gestion de leurs émotions. Le harceleur manque d’empathie et la victime souffre d’alexithymie. Ils sont tous les deux « vulnérables » ce qui peut expliquer que le harceleur peut devenir une victime et une victime peut devenir un harceleur.
1 Introduction : justification du mémoire et problématique. |