Comment comprendre la pensée médicale du docteur Lazare Meyssonnier (1611-1673) ?
LA MEDECINE DITE « MAGNETIQUE » ET LAZARE MEYSSONNIER : LA POUDRE DE SYMPATHIE
« Alcippe te surprend, sa guérison t’étonne, L’état où je le mis était fort périlleux, Mais il est à présent des secrets merveilleux. Ne t’a-t-on parlé d’une source de vie Que nomment nos guerriers poudre de sympathie ? On en voit tous les jours des effets étonnants244 . » Comme le rappelle l’historien Roberto Poma les notions astrologiques et alchimiques contenues au sein de la magie naturelle contribuent à nourrir une atmosphère intellectuelle propice au mysticisme et aux pratiques magiques de toute sorte245. La mention de cette poudre aux effets merveilleux fit grandement débat tout au long du XVIIe siècle. Pour cause, ce remède contre les blessures du corps a une posologie pour le moins particulière et renvoi aux mentions les plus occultes, magiques et même « magnétique » du corpus de Lazare Meyssonnier tout en ayant une origine remontant à Paracelse.
De l’onguent armaire à la poudre de sympathie
Cette poudre était confectionnée à partir de vitriol blanc (sulfate de fer) ou vert (sulfate de cuivre), calciné et réduit à l’état de poudre après avoir été exposé pendant trois cent soixante heures aux rayons du soleil en Lion247. C’est-à-dire, en pleine canicule à partir du vingt-trois juillet, une fenêtre d’action que Lazare Meyssonnier décale pour entre le mois d’août et de septembre. Ensuite le vitriol calciné était dissout dans de l’eau, idéalement de pluie mise à évaporer dans un vase en faïence ; le cristal obtenu était alors remué avec une spatule en bois avant de les remettre à calciner, enfin, on répète le processus trois fois248. La poudre obtenue est alors supposée renfermée des vertus astrologiques et occultes qui permettent de l’utiliser pour soigner à distance selon les ressemblances, par sympathie. Pour ce faire, le médecin devait appliquer la poudre sur un linge blanc imbibé du sang de la personne malade et ainsi la guérison de la blessure se voyait accélérer. Parler de la poudre de sympathie induit toujours de parler d’un autre traitement, plus célèbre encore qui reprend cette même typologie : l’onguent dit armaire, en grec Hoplochrisma, en latin unguentum armarium. L’objectif est le même que pour la poudre, soigner par sympathie une blessure sur un corps. Mais, dans ce cas précis il s’agit de blessure à l’arme blanche, et le drap blanc est donc remplacé par l’arme qui, si réchauffée après avoir été ointe par l’onguent, enflamme la blessure249. Il faut d’ailleurs noter que la poudre de sympathie découle de l’onguent et pas l’inverse, et que les deux formes coexistent durant la période0 . Ces deux cures ont eu une histoire riche et passionnante que nous allons dérouler ici. L’intérêt de cette démarche et multiple ; remettre l’écrit du docteur L. Meyssonnier dans une chronologie de la thérapeutique par sympathie ; explorer le fond de la pensée occulte mobilisé par le médecin ; enfin, analyser les positions du docteur sur un sujet brulant du XVIIe siècle et par la même occasion donner à voir l’érudition de Lazare Meyssonnier. giugno . Mais, avant de réaliser tout cela une précision sur les termes s’impose. Le substantif Magnetismus est mis au point au XVIe siècle et il est équivalent à la sympathie. Pour rappel, la sympathie universelle découle de la tradition néo-platonicienne qui pensait la relation entre les parties du tout du monde (microcosme et macrosome) selon des interactions en termes de liens d’attraction ou de répulsion. Cette pensée ouvrait alors à la porte à tout un réseau de correspondances occultes entre les végétaux, les animaux, les minéraux, les étoiles et les parties du corps humain qui s’attirait ou se repoussait mutuellement1. Le magnétisme vient se plaquer à ce schéma de pensée et le renforce comme nous l’apprend l’historien Roberto Poma. En effet, si l’on observe la définition du dictionnaire de furetière pour le mot « magnetique », on voit que la définition est double. Le premier sens désigne « ce qui appartient à l’aimant. Le fer est attiré par une vertu magnetique », cette image d’attraction est reprise dans la médecine sympathique comme argument « rationnel » Roberto Poma à ce sujet explique que : « L’analogie entre l’action de l’aimant sur le fer et une pléthore de phénomènes naturels d’attraction et de répulsion ne pouvait qu’accroître la force de persuasion de cette théorie de l’action à distance2 . » Ainsi, progressivement on appela « magnétique » toute médecine faisant appel à la « sympathie ». Ce qui se retrouve dans le second sens donné dans le dictionnaire de Furetière : « Se dit par analogie, de ce qui a quelque sympathie ou convenance […]3 . » Lazare Meyssonnier adhère très tôt à ces notions de médecine « sympathique » et « magnétique », toute la dernière partie de son Pentagone est dédié à aux soins de tous les maux par cette relation micrcosome-macrosme. Il fit même directement mention de l’existence d’un certain onguent que « Les alchimistes croyaient qu’un onguent sympathique [et] astral peut être composé, dont le pouvoir étonnant ainsi que sa composition a été décrit par Crollius […]4 . » Aussi, parmi les lettres qu’il échange avec M. Mersenne, il synthétise sa pensée défendue dans le pentagone : « je pense, que, pour estre un bon medecin, il faut sçavoir quelque chose du ciel, et par delà l’ordinaire de ceste Medecine qui naist en moins d’une couple d’annees dans 1 Lazare Meyssonnier écrit un traité à ce sujet : Lazare Meyssonnier, D.D.R.C.F Lazari Meyssonnerii Antoine Furetière, Dictionnaire universel, contenant generalement tous les Mots François. Tant vieux que modernes. & les termes de toute les Sciences et des Arts : divisé en trois tomes. Tome second […], À la Haye et à Rotterdam, Arnout & Reinier Leers, 1690, p. 511. Roberto Poma, Magie et guérison : la rationalité de la médecine magique, XVIe -XVIIe siècles, Paris, Horizons, 2009, p. 8. 3 Antoine Furetière, Op. Cit., p. 512. 4 Je cite : « The alchemists believed that a sympathetic astral ointment can be made up , whose amazing power along with its composition was described by Crollius. » Dans : Thomas Slate, Tom Holland, Felipe FernandezArmesto, Lazare Meyssonnier’s Pentagon of Medecine and Philosophy (1634), édité par Loren Pankratz, 2016, p. 64.[Traduction personnel depuis l’anglais] 66 des esprits qui coyent de pouvoir comprendre tous les secrets de la nature humaine, sans avoir conferé avec Platon, Pythagore, Ptolomee, ny Paracelse. Pour moy, je suis fort de l’avis d’Hippocrate qui croit que la perfection de cet art sera bien tardive, et qu’avec les siecles elle s’accroistra toujours des inventions des autres artz. Et d’autant que ne vous veois bien fort affectionné à la practique, si vous aggreés ceste troisieme piece, je vous envoyeray par mesme vooye la dernier , qui contient, si je ne me trompe, les moyens les plus abbregés, les plus certains, et les plus secrets, de guerir les maux des hommes, et de denouer les attaches des plus facheuses incomoddités, non seulement par le regime de vie ordinaire, chirurgie, et pharmacie, mais aussi par les voies magnetiques, tirées et demonstrées naturellement de la force des principes par les effects du ciel, par les parties de l’homme mesme, en telle sorte que ‘un commun consentement, ces cincq parties, l’archetype, le firmament, les planettes et les elemens, l’homme inlfuens du premier, confluent toujours en un mesme point pour la guerison et la conservation de l’homme, qui est l’abbregé des œuvres de Dieu5 . » L’expression de ses positions dans une lettre à Marin Mersenne n’est pas anodine et relève de l’importance du soutien que représente la validation du minime, quelques années plus tard, vers 1644-1645, à ce sujet Kenelm Digby avoue que « l’approbation d’un Mersenne, d’un Galilee, et d’un Monsr des Cartes, me sera plus que tout le reste du monde »6 . Malheureusement pour Lazare Meyssonnier, le minime est fortement ancré contre les remèdes sympathiques et il déclare dans une lettre destinée à Descartes écrite seulement quelques jours avant de recevoir celle de Lazare Meyssonnier que : « Je n’ajoute aucune foi aux onguents sympathiques, ni de Crollius, ni des autres » 7
Le discours de la poudre de sympathie de Lazare
Meyssonnier « l’onguent hopliatrique ne contribue en rien à leur guérison [maladie], pas plus que cette poudre sympathique des armées290 . » Le traité mis au point par Lazare Meyssonnier est concis, seulement vingt pages, et se divise en deux parties : une première, qui vise à prouver, comme le titre l’indique, la naturalité de la poudre de sympathie, qu’elle n’est pas empreinte de magie diabolique comme le clame Guillaume Sauvageon ; la seconde partie et destinée à la pratique de thérapie sympathique. La première partie est structurée en cinq thèses défendues par le docteur : 1. L’univers est une « vaste éstendue d’une matiere extremement tenue & transparente, parsemée de quantité de corps lumineux », aussi grâce au télescope de Galilée on sait que : « entre le terre, sur laquelle nous habitons, la Lune, le Soleil & les cinq autre Estoiles errantes, avec ec qui paroist à contour d’elle, qu’on pourroit bien entrer en opinion que cette grande machine universelle, n’est autre chose qu’un ramas de plusieurs Systemes, dont ces cinq corps errans & lumineux, qui avec la Lune & nostre Terre sont autour du Soleil semblent n’en constituer qu’un & encore assez mediocre […]291 . 289 Nous n’aurions pas eu accès à ce traité s’il n’avait pas été inséré dans l’œuvre plus célèbre, et donc numérisé, de Kenelm Digby. Il est aussi à noter qu’à notre connaissance, le premier historien à avoir inséré Lazare Meyssonnier dans la chronologie de la controverse est Massimo Marra dans son article paru en 2017. 290 « quorum medelam nihil promovet unguentum hopliatricum : nec militaris ille pulvis sympathicus» Cette citation latine de Guy Patin est issu d’une traduction de l’article 3 d’une thèse quodlibétaire intitulé L’homme n’est que maladie paru en 1643. Voir : Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Autres écrits. Une thèse quodlibétaire de Guy Patin : « L’homme n’est que maladie » (1643). 291 Lazare Meyssonnier, La poudre de sympathie prouvée naturelle & exempte de magie diabolique Tous ces corps célestes sont par : « l’harmonie laquelle attache ensemble, par des liens indissolublestous ces Corps […] » mais ces influences touchent aussi la terre : « comme deux exemples nous le confirment sensiblement, l’un tiré du Soleil lequel accorist [sic] sa vigueur par l’union de celles qui procedent de la Canicule […]292 . » 3. La terre est donc sous influences sympathiques des planètes, la force de cette influence sympathique découle de la distance avec le corps céleste en question. Les planètes de notre système avec le soleil à leurs têtes sont celles qui ont l’influence la plus forte. Ce réseau d’harmonies et de correspondances entre les astres et les choses animées et inanimées de la terre est plus fort dans les éléments de la nature comme par exemple « Venus avec ce qu’on appelle Huile ou Soulphre […]293 . » 4. L’importance du degré de sympathie des remèdes thérapeutique dépend de leurs compositions : « Pour la mesme raison qu’il y a harmonie entre principe des elemens terrestres terrestres avec les substances planetaires, il y a aussi Sympathie avec les mixtes, selon qu’ils en possedent plus ou moins en la proportion de leur mixtion […]294 . » 5. La dernière thèse est celle qui nous intéresse le plus car après avoir posé le cadre de l’emploi de la poudre il l’aborde pour la première fois : « Estant donc chose pleinement preuvée par ce qui a esté dit cy-devant que les principes ont harmonies avec les Astresn qu’il la leur communiquent & les esmeuvent en divers lieux de mesme sorte, & en mesme temps avec cela que l’experience le demonstre dans les mixtes, il est coryable que le Soleil a une harmonie signalée avec le feux spiritueux & vital qui agite tous les principes du sang des animaux par la chaleur naturelle laquelle part du cœur, tandis que ce sang est dans le mesme degré de composition. De plus qu’il la peut communiquer au vitriol duquel se fait la poudre de Sympathie (ce qui se peut dire de tous autres medicamens constellez &) lors qu’il est dans sa plus haute vigueur directement entre nous, & la constellation du Lion soit presente soit passée ou qui retient encor quelque chose de la vertu de cet Asterisme ; ce qui advient aux mois d’Aoust & de Septembre, & par ce moyen joindre les autres principes lesquels ces mixtes medicaments ont obtenu d’ailleurs qui se meuvent aussi par le mouvement des autres planetes. Or est-il que les principes du sang humain esmeux convenablement & receuvas la vertu d’une faculté balsamqiue peuvent produire absolument la guerison d’une playe si rien ne s’y oppose, & que cetre vertue balsamique est causée par Venus au vitriole qui compose la poudre de Sympathien & estant esmeue par le Soleil, avec une partie du sang en un endroit le peut estre en un autre different d’avec le reste : d’où s’ensuit que295 . » 292 Ibidem, p. 210. 293 Ibidem, p. 211-212. Massimo Marra, Op. Cit., p. 3. 294 Ibidem, p. 213-214. 295 Ibidem, p. 214-215. 73 Sa conclusion finale étant que : Figure 11 : Extrait de la Poudre de Sympathie296 . La défense employée par Lazare Meyssonnier est très attrayante à la fois par la grande richesse des sources qu’il convoque, son insertion dans les grandes distinctions entre auteurs évoquant la poudre et enfin, sur la généralisation qu’il semble faire de ce remède. Premier point, le volé diabolique que soulève G. Sauvageon est totalement passé sous silence, mis à part le titre du traité, Lazare Meyssonnier déroule ses arguments pour placer la poudre de sympathie dans son système de correspondance astrologique et occulte et ainsi, défendre la naturalité de la poudre. Second point, les arguments soulevés par le médecin en faveur de la poudre de sympathie permettent d’insérer ce traité dans une typologie des polémistes autour des cures sympathiques telle que mise au point par l’historien Carlos Ziller-Camenietzki : – En première catégorie des auteurs en faveur de la guérison par la force sympathique. Ils pensent que la poudre se trouve activée par la réaction entre le sang et les composants de la poudre, la guérison s’opère alors du fait des vertus occultes de la nature la poudre qui est alors considérée comme naturelle. On peut inclure Lazare Meyssonnier dans cette catégorie. – Le second groupe concerne lui aussi des auteurs en faveur des cures sympathiques, mais qui soutiennent que la guérison opère par l’action de l’esprit du monde stimulé par les forces vitales lors de l’application du remède297 . – Se positionnant contre, on retrouve des auteurs qui soutiennent la non-naturalité de ces remèdes et l’intervention du diable dans le processus de guérison. – Enfin, certains nient l’implication du médicament dans la guérison, G. Sauvageon assemble ces deux dernières critiques dans sa condamnation de la poudre.
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