Commande robuste de systèmes non linéaires incertains
Conclusion et problématique
Résumé Dans ce chapitre, nous avons établi le bien fondé de l’utilisation des méthodes LPV pour la synthèse de systèmes non linéaires. Ainsi, contrairement aux méthodes de séquencement de gains traditionnelles, les méthodes LPV, si elles sont judicieusement utilisées, peuvent mener à des correcteurs assurant au système non linéaire des propriétés classiques de performance et de robustesse. Ces propriétés ne sont cependant garanties qu’indirectement, c’est pourquoi les méthodes LPV ne sont légitimes que dans un contexte particulier. De plus, l’obtention effective du correcteur est délicate. La démonstration a comporté plusieurs étapes, que nous résumons ci-après. 1. Pour un système non linéaire G, les propriétés de performance et de robustesse du cahier des charges (données à la section 1.1) peuvent se traduire mathématiquement par des contraintes impliquant la norme incrémentale d’opérateurs correspondant au système P = WzGWw augmenté avec des pondérations Ww et Wz. Contrairement à une croyance répandue, le L2 gain n’assure pas ces propriétés : l’approche quasi-LPV ne permet donc pas de garantir toutes les propriétés du cahier des charges. 2. Par suite, le problème de synthèse d’un correcteur K assurant au système commandé en boucle fermée Fu(G, K) ces propriétés peut se définir comme la recherche d’un correcteur assurant une borne sur la norme incrémentale de la boucle fermée augmentée de pondérations, Fu(P, K) : c’est un problème de synthèse incrémentale. Or ce problème est difficile à résoudre. 3. Le résultat suivant permet de contourner le problème : un système non linéaire a une norme incrémentale inférieure à un niveau γ si et seulement si toutes les linéarisations non stationnaires du système ont un L2 gain inférieur à γ : c’est un problème de synthèse L2. 4. Le problème L2 gain peut être résolu en utilisant les méthodes LPV. Il faut d’abord obtenir un système LPV Pδ paramétrant les linéarisations non stationnaires DP du système non linéaire augmenté. Ensuite, pour ce système LPV Pδ, les méthodes LPV peuvent mener à un correcteur LPV Kδ solution du problème L2 gain. 5. Il reste à trouver un correcteur non linéaire K tel que la linéarisation DFu(P, K) de la boucle fermée constituée du système non linéaire augmenté P et du correcteur non linéaire K soit égale à la boucle fermée Fu(DP, Kδ) constituée de la linéarisation DP du système non linéaire augmenté et du correcteur LPV Kδ : c’est un problème d’intégration. 6. Une solution K du problème d’intégration, si elle existe, est alors un correcteur non linéaire assurant à la boucle fermée non linéaire augmentée Fu(P, K) une norme incrémentale inférieure à γ, donc à la boucle fermée Fu(G, K) le respect des propriétés du cahier des charges.
Intérêt des méthodes LPV pour la commande des systèmes non linéaires
La discussion précédente montre le fort potentiel des méthodes LPV pour la synthèse de systèmes non linéaires. Du point de vue théorique, l’approche LPV par linéarisation permet d’espérer trouver une voie pour résoudre indirectement le problème de la synthèse incrémentale, pour lequel à ce jour il n’existe pas de méthode de résolution systématique : une solution de ce problème serait un correcteur non linéaire garantissant à la fois performance et robustesse. A défaut de résoudre ce problème, les méthodes LPV permettent de trouver un correcteur garantissant directement une borne sur le L2 gain du système non linéaire commandé, ce qui assure au moins la L2- stabilité et la robustesse en stabilité (approche quasi-LPV). Les méthodes LPV constituent ainsi une alternative très intéressante aux méthodes non linéaires classiques qui, pour leur part, ne permettent pas de prendre en compte la robustesse.
Difficultés et perspectives
Cependant, une large utilisation de l’approche LPV est freinée par deux problèmes importants : • l’obtention effective d’un correcteur non linéaire dans l’approche utilisant les linéarisations non stationnaires, puisque le correcteur LPV n’est pas forcément intégrable ; • l’interprétation de la stratégie du correcteur obtenu et une comparaison avec des méthodes non linéaires traditionnelles : en dehors des garanties de robustesse, l’apport des méthodes LPV par rapport aux méthodes classiques doit être établi en termes de performance, or dans de nombreuses applications, les méthodes LPV mènent à des correcteurs médiocres car variant peu. L’étude que nous allons présenter dans la suite vise à fournir quelques réponses à ces points. Nous allons notamment proposer un cadre dans lequel nous démontrerons que les méthodes LPV peuvent mener à des correcteurs dont la stratégie est comparable à celle de correcteurs non linéaires classiques. De plus, nous verrons que le correcteur LPV ainsi obtenu est systématiquement intégrable. Ce résultat constitue à notre connaissance la première méthode de résolution systématique du problème de synthèse incrémentale. Les méthodes LPV comme alternative aux méthodes de type «compensation» Dans le chapitre 1, nous avons mis en évidence le fort potentiel des méthodes LPV pour traiter des problèmes de synthèse pour les systèmes non linéaires. Nous avons vu qu’appliquées directement à un système LPV, les méthodes LPV mènent à un correcteur garantissant à la boucle fermée (LPV) des propriétés de L2 gain. De plus, si le système LPV considéré correspond à une inclusion des linéarisations non stationnaires d’un système non linéaire, alors dans certains cas il est possible de construire un correcteur non linéaire tel que la boucle fermée (non linéaire) ait des propriétés incrémentales, ce qui lui assure potentiellement des propriétés de performance (quantitative et qualitative) et de robustesse. Les méthodes LPV, qui dérivent de méthodes linéaires stationnaires (H∞), présentent donc un intérêt certain pour traiter les systèmes non linéaires. Or paradoxalement, à notre connaissance, leur intérêt pratique en tant que véritables méthodes de synthèse non linéaires n’a pas vraiment été étudié. Contrairement par exemple au cas de la méthode H∞, qui repose sur des contraintes interprétables en termes de contraintes fréquentielles (loop-shaping) et permet ainsi d’obtenir des correcteurs dont l’interprétation en termes de méthodes classiques (PI, PID, …) a été souligné avec intérêt [Fon95], la question de savoir s’il existait un lien entre les correcteurs LPV et les correcteurs issus de méthodes non linéaires classiques comme les méthodes de type «compensation» des non linéarités (linéarisation par bouclage, …) n’a jamais vraiment été posée. Ce point nous semble pourtant essentiel et nous avons souhaité l’approfondir. Notre étude démarre avec le constat d’un phénomène important bien que peu souligné dans la littérature [YS97, Sco98] : le fait que les correcteurs LPV sont parfois peu variants. Leur stratégie semble alors différer de façon criante de celle de correcteurs construits par des méthodes non linéaires reposant sur la «compensation» de non linéarités («cancellation» en anglais [Hor81]), comme la linéarisation par bouclage [Isi89]. Ce phénomène peut s’interpréter de multiples façons et certains auteurs l’ont attribué, peut-être un peu trop vite, à une limitation intrinsèque des méthodes LPV pour des raisons de conservatisme. Dans ce chapitre, nous avançons une autre hypothèse : le fait très simple que dans le contexte traditionnel d’application des méthodes LPV, le point de fonctionnement ne soit souvent pas explicitement donné au correcteur peut limiter dans ces cas-là la capacité de celui-ci à réaliser une «compensation». Nous tentons alors d’analyser le comportement des correcteurs LPV dans un contexte où la structure de l’information serait choisie de façon adéquate pour donner explicitement la connaissance du point de fonctionnement. Nous chercherons alors à déterminer dans quelle mesure le conservatisme limite leur capacité à être aussi performants que les correcteurs issus de méthodes de type «compensation». Ce chapitre est organisé de la façon suivante. 1. Nous commencerons par mettre en évidence le phénomène (étonnant) de faible variation des correcteurs LPV par comparaison avec des correcteurs obtenus par la méthode non linéaire classique de linéarisation par bouclage. Nous présenterons quelques conjectures classiques de la littérature justifiant ces dissemblances et en particulier, l’hypothèse rendant responsable de ce phénomène le conservatisme inhérent aux méthodes LPV. 2. Nous poserons les bases de notre comparaison en définissant une méthode analogue à la linéarisation par bouclage pour les systèmes LPV. Cette méthode, s’appuyant sur une «compensation» des termes dépendant des paramètres, servira de référence. 3. Une analyse des hypothèses nécessaires à l’application de la méthode de type «compensation» nous mènera alors à définir un nouveau cadre pour la synthèse LPV, reposant sur une structure de l’information enrichie. Nous démontrerons que dans ce cadre, il existe une large classe de systèmes pour laquelle les méthodes LPV mènent à des correcteurs aussi performants que les correcteurs analogues obtenus avec la méthode de type «compensation» et dont la stratégie est comparable. Nous discuterons du conservatisme intrinsèque des méthodes LPV (lié à tout choix particulier de la matrice de Lyapunov) et verrons dans quels cas il ne contraint pas les solutions. Nous mettrons enfin en évidence certains avantages des méthodes LPV et notamment leur capacité à traiter les problèmes de robustesse. 2.1 Une limitation observée en pratique : un correcteur peu variant Dans cette partie, nous nous intéressons à un caractère intéressant, bien qu’insuffisamment souligné [YS97, Sco97], des correcteurs obtenus par les méthodes LPV : leur apparente faible variation en fonction des paramètres. Ce phénomène est à la fois surprenant et décevant : pour un système non stationnaire, la pratique a permis de constater que les correcteurs ajustant leurs gains au point de fonctionnement sont potentiellement plus efficaces que des correcteurs stationnaires. Par ailleurs, il existe des méthodes efficaces menant à des correcteurs variant véritablement. Par exemple, les méthodes de séquencement de gains traditionnelles [RS00] permettent, par interpolation de correcteurs linéaires stationnaires, d’obtenir des correcteurs paramétrés donc variant en fonction du point de fonctionnement. Nous avons vu au chapitre 1 que ces méthodes ne peuvent pas assurer certaines garanties théoriques mais qu’en pratique elles sont largements employées (centrales nucléaires, avions, moteur à réaction, sous-marins, …) [HG93, NRR93, Rei92]. D’autre part, dans le contexte non linéaire, l’efficacité des méthodes classiques de linéarisation par bouclage [Isi89, SL91] est reconnue. Celles-ci mènent à des correcteurs non linéaires «compensant» les non linéarités du système, ce qui implique que leurs gains s’adaptent bien au point de fonctionnement : ces correcteurs sont par construction fortement variants. Dans cette section, nous allons mettre en évidence le phénomène de faible variation observé lors de la mise en œuvre «classique» des méthodes LPV en nous appuyant sur un exemple représentatif. Tout d’abord, définissons le cadre classique de leur utilisation
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