Le style Colette Guéden, celui d’un passeur d’histoires
Avant de devenir la diva de Primavera, Colette, forte d’une bonne culture générale, fait comme les autres décoratrices : elle dessine et propose des formes et des décors, mais sa vitalité et son talent la font remarquer par les Guilleré. Elle devient chef d’atelier (22), puis prend la suite de Jacques Viénot (23) en 1938, en devenant directrice artistique jusqu’en 1972. Si la jeune femme déclare que « créer ne signifie pas nier le passé et le détruire », par exemple, en assemblant des « meubles anciens et modernes qui se font valoir sans se heurter », son goût des couleurs claires et gaies, sa conception de « meubles pour rendre la vie aisée et faciliter les gestes » (24), son éclectisme dans l’emploi des matériaux – corne, verre, céramique, rhodoïd la place d’emblée du côté des modernes. L’on se tromperait en la cantonnant à « l’aimable fantaisie » (25) dont Colette Guéden est souvent qualifiée. Elle butine certes, en consultant et en accumulant une grande masse d’informations » images » sur tel ou tel thème qui sera celui de la saison, ou voyage en pratiquant de même, et créé l’image moderne et « modeuse » de Primavera. Bientôt, il ne lui suffit pas à cette travailleuse acharnée, de commander et de sélectionner les objets qui porteront le label Primavera, à partir des valeurs qui étaient celles des Guilleré : défendre les objets bien faits à l’opposé du reste du grand magasin qui vend mais n’a que fort peu de contrôle sur les marchandises standardisées qu’il propose (26). Elle devient « passeur d’histoires » en travaillant sur des valeurs partagées et en développant une stratégie de la marque Primavera qui cristallisent de façon collective cet attachement aux objets choisis par et pour Primavera. Ainsi, Primavera intègre les nouveaux codes de présentation des objets : la scénarisation des produits pour instaurer un lien privilégié : donner des idées pour façonner l’espace privé et créer ainsi un attachement à l’égard des produits cultes, une sensibilité et une fidélité à la marque donc au Printemps. Un autre rapport à la consommation se crée dès l’entrée chez Primavera et se poursuit chez soi. Colette Guéden privilégie l’espace social dont l’objet est un élément. Des signaux, des narrations sont mis en place pour instaurer une véritable proximité avec le collectionneur. L’objet dans ce cas, n’est plus figé, il peut être manipulé, devient le support de relations. Cette volonté de se rapprocher du collectionneur en sédimentant un certain niveau d’intimité permet au collectionneur d’exporter chez lui cette ambiance pour nourrir la symbolique de ses objets. De ce jeu de séduction, émerge une gratitude envers Colette Guéden-Primavera et une reconnaissance mutuelle du savoir-faire.