CLASSES NOMINALES ET DETERMINATION EN JOOLA KARON
GENERALITES
L’appe!!2tion jôola a été donnée à un ensemble de langues et dialectes essentiellement parlés au Sud dU Sénégal, dans la région de Ziguinchor. Le jôola est classé par GREENBERG ( 1963, p.8 ) comme membre du groupe « Northern » de la sous-famille « West Atlantic » et par J. D. SAPIR ( 1971, p.18 ) comme membre du groupe « bak », de la subdivision Nord. Le choix de l’appellation « bak » est fondé sur le fait que les langues appartenant à ce sous-groupe ont en commun un préfixe de la classe nominale, plurielle des humains : b v k(v) ( bak-, buk-, baka , etc.). . Pour ce qui est des classifications les plus récentes, BARRY (1987, p.94) reprend la classification de SAPIR, mais propose une réorganisation du « Diola groupe » en trois sous-groupes : « Centrale », « Southern » et « Western », le jôola karon appartenant au sous groupe western. HOPKINS. (1995, p.7) quant à lui propose la réorganisation du groupe diola tout en suivant la classification de SAPIR. Il fait d’abord une distinction, entre ce qu’il appelle, le diola propre par opposition au groupe Bayot. il subdivise ensuite le diola propre en trois sous groupes : le karon (karon et Mlomp-Nord), le kuwaatay et le diola central. qu’il subdivise ensuite en quatre sous-groupes. Quant à nous, nous nous conformons à ce dernier classement fondé sur le degré de similariLis lexicales.
LE KARON : PEUPLE ET LANGUE
L’appellation karon désigne et le parler, et le peuple, et le milieu géographique, lequel est sit■ k; au Nord-Ouest de la région de Ziguinchor dans la région naturelle de la casamance. Ce milieu géographique est constitué d’îles limitées à l’Ouest part l’océan atlantique, à l’Est par le marigot de Diouloulou, au Nord par la région du Narang qui jouxte la Gambie, et au Sud par le marigot de Kalissay. Au plan administratif, les îles karon se rattachent au Département de Bignona, à l’Arrondissement de Diouloulou et à la Communauté Rurale de Kafountine. Sur le plan géographique, on peut distinguer trois zones d’habitation une première zone constituée de la plus grande île qui regroupe trois villages (Hilol, Kouba et Mantate ) et de l’île de Kassel séparée de la grande île par un marigot (bolong) dont la largeur diminue considérablement en marée basse. La deuxième entité correspond à la zone connue sous l’appellation des îles Bliss situées à environ deux km de l’océan Atlantique. Les îles Bliss sont constituées de quatre îlots que sont : Kaïlo, de Boune, de Saloulou et de Boko. La troisième entité est constituée du village de Bakasouk qui se trouve excentré dans la zone des îles connues sous l’appellation de « Petit Kaasa ». La proximité du village de Bakassouk de Haer (village du petit Kaasa) semble justifier la particularité linguistique du karon parlé dans ce village. Malgré la légère différence lexicale entre le karon de Bakasouk et celui parlé dans les autres zones des îles en question, il faut noter que le karon demeure une langue assez homogène bien qu’il soit devenu très métissé par le mandinka 2 Aujourd’hui, le karon est également parlé dans d’autres localités du Sénégal et de la Gambie. Ces villages longent le littoral atlantique qui s’étend du village karon de Kafountine à Brikama (en Gambie). Parmi ces villages on peut citer les villages du Sénégal que sont : Kafountine, Albadar, Niafrang, Kabadio, katak. Les villages de la Gambie tels que : Gunjuru, Marakissa, Saarian ,Sifo , Sagang, Marakissa, etc. 1 Nous empruntons cette terminologie du PNIR (2002). L’appellation « Petit Kaasa » renvoient aux villages de Niomoune, de Haer, de Kandé, de katen et de Dingué. Le fleuve Casamance les sépare du Kaasa auquel ils s’identifient aussi bien sur le plan culturel que sur le plan linguistique. 2 Le contact entre le karon et le mandinka a été favorisé par les migrations saisonnières des karon dans le littoral qui s’étend du village karon de Kafountine à Brikama (en Gambie). Il faut noter que le mandinka est le principal parler dans ce littoral où certains des villes sont fondés par les migrants karon 7 L’appellation karon est le terme par lequel les autres nomment leurs voisins qui s’appellent eux-mêmes Kaloon [kalo :n]. Les karon nomment les autres diola pucola ou péjorativement ésùsùkén l . L’intercompréhension entre le karon et les autres parlers jéola s’avère très difficile. Le seul parler avec lequel il présente une intercompréhension est le Mlomp-Nord. Le degré de similarité lexicale entre les deux parlers est estimé à 64% (CF. SIL p.19 ) L’enclavement est la caractéristique principale des îles karon. En effet, cette zone est irriguée par une multitude de marigots dont la densité et les différentes connections font que cette zone n’est accessible que par pirogue.
CONSIDERATIONS PHONOLOGIQUES
Les tableaux phonologiques
Les phonèmes du jôola karon sont classés dans les tableaux suivants, tirés de SAMBOU, 2002 pp. 62-63 ) Tableau phonologique des consonnes Ordres Séries Labiales Alvéolaires Palatales Vélaires Glottales Orales p t Nasales m n n r) Constrictives f s Y w h Latérale ILe nom ésùsiikén est composé du préfixe e-, de sùk « village » et de kee autre », c’est –à- dire « ceux d’ IN: autre entité » 8 Tendues [+ATR] lâches [-ATR] antérieures postérieures u o antérieures e 1-, ostérieures 13 u o a _H Tableau Phonologique des voyelles
Le phonème disjonctif
Le phonème disjonctif noté / ‘ / est un élément constitutif du système des phonèmes du jôola karon et du reste la plupart des langues du sous-groupe jôola. Comme son non l’indique, il permet de disjoindre deux phonèmes vocaliques identiques ou non tout comme le fait les consonnes. Le phonème disjonctif est l’un des trois procédés par lesquels le jôola karon évite l’hiatus. Ce phonème de disjonction est plus manifeste dans le suffixe déterminatif 2 , lorsque thème nominal déterminé est à finale vocalique et que le substantif en question régissant formel de la classel (a-). Son occurrence dans ce contexte s’explique par la juxtaposition de deux phonèmes vocaliques appartenant à deux morphèmes distincts. L’apparition du phonème disjonctif permet de prononcer les deux phonèmes vocaliques en séquence. (1) a-cifa-a – a ► a- cifa- ç’a ► a- cifa a CL1-tailleur-CL1-LOC CL1-tailleur-DET « Le tailleur » (2) a-suuma- o- a a-suuma- oa ► a-suuma’a CL1-lutteur-CL1-LOC CL1-lutteur-DET « Le lutteur »Il faut rappeler que le suffixe déterminatif étudié dans la section sur la détermination nominale est morphologiquement constitué de l’indice de classe du substantif et d’un morphème localisant dont le constituant est : -a , u, ou e-. La juxtaposition entre le phonème vocalique de l’indice de classe et le morphème localisant entraîne une aphérèse (due à la chute de la première voyelle) Le phonème vocalique final du thème se trouve ainsi juxtaposé au phonème vocalique de localisation.( e, u, ) le phonème disjonctif s’interpose entre les deux phonèmes vocaliques empêchant ainsi l’hiatus. Le phonème disjonctif se manifeste également lorsque le thème verbal terminé par le phonème vocalique -i- est juxtaposé au phonème vocalique du dérivatif de négation —it. (3) e-puuk-ya ka-li- it ► epuukya CL3-enfant-DET CL3-manger-NEG « Les enfants n’ont pas mangé » (4) Mei 0-mi -it – ► kid mi’it Moi je-connaître-NEG « Moi, je ne sais pas » Il est aussi manifeste entre l’inversif 4- et le phonème négation -6t. (5) a-luta’a à-cril ôt ► a-cOlibt Le maçon CL-arriver-INV-NEG « Le maçon n’est pas arrivé » vocalique du morphème de (6) sampeel-ii? kà nôôm-i-ôt ► kéndOmrôt Jean Pierre-eux CL2-acheter-INV-NEG « Jean Pierre et compagnie n’ont pas acheté (en venant) »
L’harmonie vocalique
L’harmonie vocalique relève plutôt de la morphophonologie ; cependant nous l’analysons dans cette section pour des raisons de commodité. L’harmonie vocalique revêt plusieurs manifestations en jôola karon.
L’harmonie vocalique en ATR
A l’image des autres parlers jôola, le Karon connaît l’harmonie vocalique en +ATR. Dans lei, mots, les voyelles peuvent être tendues ou lâches. Les voyelles tendues manifestent le trait +ATR, et les voyelles lâches sont -ATR. 10 Le principe général de l’harmonie vocalique C’est le radical qui assimile les affixes. (7) -cûmp « tas» Préfixé : hi + cûmp 9 hicûmp « un tas » Suffixé : hi + cûmp + ha 9 hiciimphé « le tas » Pour les verbes : le trait +ATR s’étend généralement aux dérivatifs. (8) a — fù1 — a – il -sortir – ACC – RDB éfOléàffil « il est sorti » (9) a – f01— an – a – le@ — an 9 afrilantafûten il – sortir -CAUS – ACC – sortir – CAUS « il a fait sortir » (10) ifi – a – fùl 9 àfàéf01 ou 9 afaaffil FUTaff – il – sortir « il sortira » L’assimilation en +ATR provient du suffixe lorsque celui-ci cnrrespond aux morphèmes dérivatifs de «I’ inversif » f, in ou du dérivatif verbal éti « négation », qui manifestent toujour.. 13 trait +ATR. ka-meye « savoir » ka-meye- éti — kâ-méyéâti PV-savoir-NEG « Une ignorance » (12) -coop « prendre » ni-coop — ni- côôp-r vous-amener-INV « ramener » 11 (13) -teef « plafonner » ka-teef- in ke-teàééf- in PV-plafonner-INV « ôter le plafond » La combinaison du dérivatif avec les bases verbales terminées par un phonème vocalique constitue un hiatus que la langue empêche par deux moyens. Lorsque la voyelle finale du verbe est distincte du phonème — i-, la langue évite l’hiatus par l’interposition du phonème consonantique -n-. (cf. ex.14). Lorsque la voyelle finale du verbe correspond au phonème vocalique — i-, c’est le phonème disjonctif qui s’interpose entre les deux phonèmes vocaliques en hiatus (cf.ex. 15). (14) -ho ; ;0 « retourner » e – a -n’oh° -n2-i 9 etée-fiôhôni FUTaff-il-retourner – EPE-INV « Il reviendra » (15) -fi « manger » ifi-a -li – i 9 étaé-1 i’i FUTaff -il -manger-INV « Il mangera d’abord » Les exemples (14) et (15) manifestent des contraintes morphologiques le phonème vocalicit — final du prédicatif verbal -ifi- « futur affirmatif » chute à la rencontre de la voyelle subséquente qui se redouble conformément à la règle n° 1. La voyelle initiale du morphème -if!- est assimilée par la voyelle subséquente -a-. 2 1 Lorsque le thème verbal se termine par un phonème vocalique, la langue évite l’hiatus par l’épenthès? consonantique n.
L’harmonie vocalique des dérivatifs verbaux
La combinaison entre deux phonèmes vocaliques de IieU ou de degré différents, appartenant à deux morphèmes distincts, entraîne l’occurrence du phonème épenthétique 4, qui s’interpose entre les deux phonèmes vocaliques. Soit la contrainte : V1 +1 V2 _ V1 +i + V2 Avec les ordinaux : sùp- « deux » et -en « multiplicatif » : (16) ka- sOp- en – ► ka- sup- i- én PV-deux-EPE-QRD « Le fait de prendre pour une deuxième fois » Avec les dérivatifs verbaux: oolo « réfléchi » et -a « accompli » (17) a-kuum- oolo-a ► a- kuum-oolo- i- a Il blesser-REFL-EPE-ACC « Il s’est blessé » Avec le numéral -sak « cinq » et le « ordinal » en : (18) ka- sak- en ► ka-sak-i- en PV-cinq-EPE-ORD « Faire une cinquième fois » 1 Le signe plus (+) marque la limite entre les deux morphèmes.
L’assimilation des phonèmes vocaliques des classes nominales
En jôola karon, le phonème vocalique des classes nominales de structure CV est soit -i- , soit -u-. La voyelle de l’indice de classe s’assimile avec le premier phonème vocalique du thème nominal à initiale consonantique. Autrement dit le phonème -i- de l’indice de classe devient -u- devant un radical commençant par une consonne, dont la première voyelle est postérieure. – Avec CL4 pi pu : (19) pu- koton-pa pi- ket-a-ket CL4-pulet-DET CL4-mourir-ACC-RDB « Les poulets sont morts » – Avec rt 12 mi mu (20) mi- cempanu-ma mu-fom-ut CL12-sel- DET CL12-suffisant-NEG « Le sel n’est pas suffisant
MISE EN EVIDENCE DES CLASSES NOMINALES
Avant de présenter l’inventaire des classes nominales, il nous paraît néces aire de mettre en évidence la démarche par laquelle ces classes nominales sont inventoriées IL s’agit : -de faire un inventaire systématique et exhaustive des classes d’accord du jôola karon. -de procéder à une interprétation morphophonologique des variantes d’un schème d’accord permettant de ramener toutes les variantes à une de base dite forme structurelle, à partir de laquelle les variantes sont prédictibles. 14 Au plan morphologique, le nom est constitué d’un préfixe de classe, éventuellement d’un post-classe’, du lexème nominal et éventuellement d’un suffixe soit le schéma : CL + (a) + Lexème + (SUF) Exemples : (21) a) e – kumpaan y- e paana CL -maison CL. – REL.- noire « une maison noire » b) cu – kumpaan ce) -e – paana CL. -maison -CL. -REL. – noire « petite maison noire » ► ekumpaan yepaana ► cukumpaan ceepaana La segmentation est la méthode qui permet de mettre en relief les classes nominales. Cette méthode consiste à rendre compte de la structure des morphèmes. Il s’agit en effet de mettre en contexte deux segments d’énoncé. Pour ce faire il faut que ces segmer:: d’énoncé présentent une différence minimale au niveau des signifiés et qu’au niveau des signifiants cette différence se situe du même côté de l’axe paradigmatique. La segmentation se fait donc en trois étapes: * 1 èreétape : La mise en contexte : Pour mettre en contexte deux segments d’énoncés, il faut qu’ils aient le même contexte antécédent noté (X) et le même contexte subséquent noté (Y). Nous noterons le mot énoncé par E. Mise en contexte El / X eyen Y/ « chien » E2 /X ciyen Y/ « petit chien *28meétape : raisonnement : – à une différence minimale de signifié doit correspondre une différence minimale de signifiant. El /X e-yen Y/ « un chien » E2 /X ci-yen Y/ « un petit chien » Le post-classe correspond au morphème a- qui se manifeste dans certai , s noms entre le préfixe de classe et le radical nominal. 15 *3ème é:dpe : dans cette dernière étape, il s’agit de présenter les résultats obtenus. / e- / / – yen / « CL. GEN. SG » « chien » «CL. DIM. SG » Ces résultats se présentent comme suit : / e / et / ci / sont des préfixes de classe ; tandis que / – yen / est un radical. La mise en évidence par la segmentation permet de confirmer que les classes nominales sont des marques préfixées. (22): ci – yen ci, – e – paan – a ci – ket – e 2/yen ceepaana cikete CL.-chien CL-Ra.-noir -ACC. CL-mort – ACC « c’est un petit chien noir qui est mort »
ABREVIATIONS, SIGNES ET SYSTEME DE TRANSCRIPTION |