Cinq périodiques littéraires de référence
La première sélection de périodiques n’a pas été difficile à effectuer. Elle a consisté à définir un certain nombre de critères objectifs précis qui permettraient déjà de circonscrire les bornes de cette étude. D’abord, nous nous sommes arrêtée sur des périodiques d’expression française. Bien qu’il eût été intéressant d’élargir le cadre comparatiste à des périodiques européens, il était nécessaire de fixer des limites à ce travail. Les périodiques retenus devaient accorder une place dominante aux nouvelles françaises sans nécessairement s’y restreindre37. Nous avons également choisi de réduire le corpus à des périodiques publiés en France, à Paris, puisque ces journaux s’exportaient mieux en province et à l’étranger et qu’ils étaient plus susceptibles de succès. En effet, il fallait tenir compte de la large diffusion du périodique, qui témoigne de l’importance du journal par rapport aux autres et permet ainsi de l’envisager comme un modèle du genre. Un des premiers critères fut de sélectionner des périodiques dont la célébrité a dépassé les siècles et qui sont encore partiellement connus aujourd’hui. Pour cette raison, le Mercure de France et l’Année littéraire se sont rapidement imposés. De la même façon, la réputation des journalistes a également joué un rôle dans la sélection opérée. Le périodique de Prévost répondait à ces critères, tandis qu’il paraissait illogique d’évincer des journalistes comme Desfontaines et Granet. Cependant, nous avons privilégié leur premier périodique, le Nouvelliste du Parnasse, plutôt que les Observations sur les Ecrits Modernes, pourtant plus connu. Le Nouvelliste du Parnasse apparaît en effet comme un périodique fondateur dans la pratique de la critique des textes. Enfin, le Journal des Dames, parce qu’il s’adresse à un public spécifique est venu compléter le corpus. Tous ces périodiques, nous allons le voir, proposent des contenus distincts et se structurent différemment. De périodicité variable, ils n’ont guère de point commun hormis le fait qu’ils se donnent pour objet d’instruire en amusant. C’est d’ailleurs ce qui a permis d’exclure d’autres types de périodiques. En effet, s’il convient de savoir quels journaux inclure dans le corpus, il faut aussi se résoudre à en laisser de côté. Là encore, les critères se sont imposés d’eux-mêmes. Nous avons évité de sélectionner des périodiques trop ressemblants. L’objectif étant de signaler la diversité des formes regroupées sous l’appellation « journal littéraire », nous avons également pris le parti de ne choisir qu’un seul des périodiques rédigé par un journaliste lorsqu’il était l’auteur de plusieurs d’entre eux. Enfin, les journaux devaient absolument répondre à la double exigence pédagogique et distrayante. Ce dernier critère a entraîné l’exclusion du Journal des Savants, un des plus emblématiques périodiques de l’époque mais restreint à une catégorie trop spécifique de la population, les savants et amateurs très éclairés ; et du Journal de Trévoux, moins généraliste que les autres puisqu’il est majoritairement constitué d’articles théologiques, et qu’il défend la position des Jésuites. Dans son Pour et Contre, Prévost réunit d’ailleurs les deux périodiques en opposant la simplicité du style du premier à l’éloquence du second :
De quoi est-il question [dans le Journal des Savants] ? De rendre compte au Public des Livres nouvellement imprimés, & d’en faire connaître la valeur par de justes éloges ou par une critique honnête & judicieuse. Personne n’attend d’un Journaliste, des jeux d’esprit, des saillies d’imagination, des réflexions recherchées, des Dissertations épisodiques, &c. en un mot des beautés prises hors du sujet. […] & s’il y avait aujourd’hui quelque chose à leur reprocher, ce serait peut-être l’excès même de cette simplicité, qui fait paraître quelques uns de leurs Articles trop secs, & leur style un peu négligé. On ne fera point ce dernier reproche au Journal de Trévoux. L’esprit & l’imagination y brillent à l’envi. Les fleurs y sont prodiguées. On prendrait chaque Article pour une Pièce d’éloquence, & j’en nommerais plus d’un qui mérite le nom de chef d’œuvre de la Rhétorique. Tant d’art & d’ornements ne peut manquer d’en faire un Livre agréable, mais je suis trompé s’il n’y perd quelque chose en qualité de Journal. L’exactitude, la justesse & l’impartialité s’accordent difficilement avec les figures & Cet article souligne les défauts des périodiques concurrents du Pour et Contre. Implicitement et à travers un jugement partial et intéressé, Prévost peut ainsi valoriser tant l’élégance de son style que les valeurs qui président à son entreprise. Ces deux caractéristiques, nous le verrons tout au long de cette étude, sont omniprésentes dans le discours des rédacteurs. Un bon périodique doit réunir l’avantage d’une belle expression et la nécessité d’un positionnement neutre et impartial. Les périodiques retenus dans notre corpus balancent entre le plaisir de l’écrit et le sérieux de l’information traitée. Les nombreux écarts entre les périodiques littéraires rendent délicate l’entreprise de définition de ce type de périodiques. Toutefois, comme pour toute catégorie, les journaux littéraires possèdent des modèles et des avatars. Et, dans la mesure où un tel travail, qui entraîne une réflexion sur une longue période de temps, ainsi qu’une comparaison des périodiques entre eux, ne peut naturellement tenir compte de l’ensemble des périodiques littéraires, il a fallu se résoudre à s’appuyer sur un petit groupe de journaux, symptomatiques du siècle. Trois grandes catégories de périodiques littéraires se dégagent : la première est consacrée à la critique des textes, de façon quasi exclusive, la seconde, qui ne contient qu’un seul journal, met en avant le parti-pris narratif, et enfin la troisième catégorie réserve une place de choix à l’expression de ses lecteurs. À chaque fois, nous avons conservé les périodiques les plus représentatifs, ceux qui ont initié l’une des catégories, ou qui ont su la renouveler ou lui apporter un réel succès.