Notre travail de thèse a pour objet la chute libre et vise l’élaboration d’une proposition didactique ciblant son étude. Le choix de la chute libre a plusieurs origines. Il s’agit avant tout d’un contenu accessible tant du point de vue de l’expérience quotidienne que du point de vue de la culture commune. Dans le langage courant, par exemple, le mouvement parabolique est désigné par un « tir en cloche », expression utilisée par les archers et dans les jeux de ballons. Un autre exemple est celui de la chute, sur la Lune, d’une plume et d’un marteau lâchés simultanément d’une même hauteur : les deux objets arrivent en même temps au sol; ce résultat constitue un élément de savoir de la culture commune.
La chute libre : un incontournable de la physique Sur le plan du contenu, la chute libre a plusieurs atouts. En premier lieu, son étude a joué un rôle historique fondamental dans la compréhension des lois du mouvement. De plus, elle illustre le mouvement dans un champ uniforme. Dans le cas de la chute sans vitesse initiale, le mouvement, unidimensionnel, est accéléré. Dans le cas général, le mouvement est parabolique et est l’occasion de l’étude d’un mouvement à deux dimensions. Notons également que le mouvement de chute libre acquiert le statut de mouvement de référence correspondant au cas particulier d’une force constante, l’un des cas les plus simples en mécanique. On met ainsi en évidence le caractère incontournable de ce contenu en physique.
Son enseignement est extrêmement répandu, figurant de manière constante dans les programmes de physique de lycée. Actuellement, la chute libre fournit un exemple simple de l’utilisation de la deuxième loi de Newton, comme on le constate dans le programme de la classe de Terminale scientifique (“Programme de l’enseignement spécifique de physique-chimie”, 2011) : « Connaître et exploiter les trois lois de Newton ; les mettre en œuvre pour étudier des mouvements dans les champs de pesanteur et électrostatique uniformes ».
Des savoir-faire spécifiques : les outils mathématiques
Alors que l’étude de l’aspect phénoménologique de la chute libre, que ce soit la chute des corps ou le mouvement d’un projectile, ne requiert pas de connaissances ou de savoir-faire spécifiques, au niveau lycée, l’étude de la chute libre suppose la mobilisation de différentes notions telles que celles de champ de pesanteur ou d’équations horaires ainsi que la mise en œuvre de méthodes telles que la projection de vecteurs et la résolution d’équations différentielles, correspondant à des savoir-faire mathématiques. Par conséquent, l’étude du mouvement de chute libre est un exemple qui met en lumière la question que se pose tôt ou tard tout élève, étudiant en physique, enseignant, physicien : quelles sont les connaissances mathématiques nécessaires à l’étude de tel ou tel domaine de la physique ?
Signalons tout d’abord l’importance historique du lien entre les mathématiques et la physique : « l’histoire de la physique témoigne de cette présence systématique des mathématiques, qu’il s’agisse d’algèbre […] ou de géométrie » (de Hosson, Décamp, & Browaeys, 2015). Siu (2011) propose un certain nombres d’exemples à travers l’histoire, de l’interaction forte entre les mathématiques et la physique dans le développement de théories dans les deux domaines. Dans l’enseignement de la physique, le recours aux mathématiques est très fréquent. Dès le collège, la loi d’Ohm est une des premières lois physiques écrites sous forme mathématique que rencontrent les élèves français. L’apprentissage lié à cette loi et son utilisation requièrent des notions mathématiques ce qui illustre l’importance d’une « coordination entre l’enseignement des sciences physiques et celui des mathématiques » d’après Malafosse, Lerouge et Dusseau (2001). Ces auteurs indiquent que cette coordination est « prônée depuis près d’un siècle par les programmes officiels et les recommandations qui les accompagnent, mais elle semble reposer uniquement sur l’idée de complémentarité des deux disciplines dont les enseignements simultanés seraient source de synergie au cours des apprentissages ». Pour autant, des difficultés existent pour les élèves, dans la gestion de relations fonctionnelles mathématiques. D’après ces mêmes auteurs : « ces difficultés reposent en partie sur la différence de nature des objets conceptuels manipulés dans les deux disciplines ». C’est à propos de la mise en équation différentielle que Rogalski (2006), avec son point de vue du côté des mathématiques, soulève également la question de la collaboration entre mathématiques et physique. Il n’évoque pas la complémentarité des disciplines mais « un apport spécifique des mathématiques à ces activités interdisciplinaires dans l’enseignement ». Il décrit la possibilité d’une réciprocité au bénéfice de l’enseignement des mathématiques : « l’infléchissement de pratiques mathématiques qui rendrait viable et utile le fait de ‘’faire de la physique dans la classe de mathématiques’’ ». On cite également une étude menée par Meltzer (2002) qui s’intéresse à l’influence des savoirfaire mathématiques en physique. Les résultats montrent qu’au-delà de l’importance du degré de connaissances initial de l’étudiant, ses aptitudes en mathématiques favorisent son acquisition de connaissances en physique. Des travaux similaires (Buick, 2007 ; Hudson & Rottmann, 1981) mettent en évidence la corrélation entre les performances en physique d’étudiants et leur bagage mathématique.
Ces exemples témoignent de l’étroitesse du lien entre la physique et les mathématiques dans les processus d’enseignement et d’apprentissage. C’est donc sans surprise qu’on trouve, dans le texte de présentation du programme de la classe de Terminale Scientifique (“Programme de l’enseignement spécifique de physique chimie”, 2011), une référence aux « outils mathématiques ». Or, c’est pour en limiter l’usage : « Le professeur aura cependant à l’esprit que le recours à des outils mathématiques n’est pas le but premier de la formation de l’élève en physique chimie, même si cela peut être parfois nécessaire pour conduire une étude à son terme. ». On note dans cette phrase l’ambivalence du rôle des outils mathématiques: leur utilisation n’est pas prioritaire bien qu’elle soit indispensable. On peut alors se demander quel statut donner à ces outils dans l’enseignement et quelle importance donner à leur maîtrise. Dans les travaux que nous présentons ici, la démarche initiale consiste justement à interroger le formalisme mathématique mobilisé dans l’étude de la chute libre : quelle est sa nature ? quelles difficultés entraîne-t-il pour les élèves ? est-il l’objet d’un enseignement spécifique ? etc.
Introduction |