Gliome infiltrant de bas grade
Épidémiologie et classification
Les gliomes sont des tumeurs primaires du système nerveux central qui se développent aux dépens des cellules gliales. Ils représentent environ 50% de toutes les tumeurs intracrâniennes chez l’adulte, avec un taux d’incidence d’environ 7.5 cas pour 100 000 habitants chaque année (Zouaoui, et al., 2012). Ils sont généralement classés selon leur degré de malignité qui prend en compte de nombreux critères histogénétiques qui vont définir leur niveau d’agressivité (e.g. nombre de mitoses, polymorphisme nucléaire, nécrose). L’organisation mondiale de la santé (OMS) catégorise les gliomes selon 4 grades qui distinguent les gliomes bénins de « bas grade » (grades I et II) des gliomes malins de « haut grade » (gliomes anaplasiques de grade III et glioblastomes de grade IV) (Komori, 2017; Louis, et al., 2007).
Les gliomes infiltrants de bas grade (GIBG) se démarquent, entre autres, des gliomes de haut grade (GDHG) par une infiltration plus lente du tissu cérébrale avec une prolifération cellulaire plus faible, ce qui explique en partie leur moindre degré de malignité. Les GDHG représentent la grande majorité des tumeurs gliales (environ 80%) tandis que les GIBG sont moins représentés avec un taux d’incidence d’environ 1 cas pour 100000 habitants. La très large majorité des gliomes sont d’origine astrocytaire (90% des cas), les autres types de tumeurs gliales étant les oligodendrogliomes (environ 5 à 10% des cas) et les épendymomes (5 à 10% des cas) (Darlix, et al., 2017; Mandonnet, et al., 2017; Zouaoui, et al., 2012).
Prolifération et évolution oncologique
Le GIBG sont des tumeurs dites « infiltrantes » car ils prolifèrent le long des voies de substance blanche et peuvent ainsi s’étendre à d’autres régions du cerveau. Ils peuvent notamment infiltrer l’hémisphère controlatéral en passant par le corps calleux, ou s’étendre de part et d’autre d’une fissure cérébrale, en envahissant le cortex insulaire sous-jacent à la vallée sylvienne. Les GIBG se retrouvent le plus fréquemment au niveau de l’aire motrice supplémentaire (AMS) (30%), de l’insula (25%), des aires langagières (Broca, 15% ; Wernicke, 15%) et sensorimotrices primaires (sensorielle primaire : 9% ; motrice primaire : 6%). Les tumeurs occipitales sont quant à elles plus rares (Duffau & Capelle, 2004; Herbet, et al., 2016). Une étude approfondie de l’histoire naturelle des gliomes et notamment des GIBG a démontré leur croissance systématique et leur transformation inéluctable vers des profils de plus haut grade (Pallud, et al., 2006). Les GIBG tendent ainsi inévitablement à évoluer vers des GDHG, soit par une transformation anaplasique des tissus (grade III), soit en progressant plus directement vers un glioblastome.
Symptomatologie et diagnostic
Les GIBG sont des tumeurs silencieuses dont la présence est le plus souvent trahie par une crise d’épilepsie inaugurale (plus de 80% des cas) (DeAngelis, 2001). Ces crises peuvent survenir de façon isolée ou chronique, avec ou sans perte de conscience, et être accompagnées de déficits neurologiques mineurs (Cochereau, et al., 2016). Néanmoins, aucun symptôme n’est parfaitement spécifique du type de gliome et de son degré de malignité. Les patients porteurs de GIBG peuvent présenter certains troubles cognitifs, mais ils sont suffisamment modérés pour être difficiles à identifier et à diagnostiquer en utilisant les échelles d’évaluations neurologiques standards (Cochereau, et al., 2016). Il arrive aussi que les GIBG soient découverts de façon fortuite lors d’examens cliniques parallèles (imagerie par résonance magnétique : IRM ; tomodensitométrie : TDM). L’absence de symptômes évidents, malgré des volumes lésionnels parfois importants, peut s’expliquer par la capacité du cerveau à compenser la dégénération lente des tissus en modulant/préservant sa cartographie fonctionnelle au fur et à mesure de la croissance tumorale (Desmurget, et al., 2007).
Néanmoins, l’infiltration progressive des fibres de substance blanche par les cellules tumorales finira par générer des déficits neurocognitifs de plus en plus importants et visibles, qui déboucheront quasi-systématiquement sur des crises d’épilepsie, (Almairac, et al., 2015; Szalisznyo, et al., 2013). L’apparition de symptômes coïncide en effet avec l’atteinte de la connectivité sous-corticale et témoigne des limites de la plasticité cérébrale. La substance blanche montre un potentiel neuroplastique plus limité en comparaison de la substance grise, qui peut compenser la présence de tumeurs parfois massives (Herbet, et al., 2016; Yordanova, et al., 2011). Le traitement de la tumeur et notamment sa résection seront d’autant plus complexes et limités que les faisceaux de substance blanche seront atteints.
Traitement et qualité de vie
La résection chirurgicale est généralement proposée après la découverte de la tumeur et est également envisagée lors d’une éventuelle reprise de la croissance tumorale. Les GIBG engagent le pronostic vital des patients et le défi majeur accompagnant leur résection vient du fait qu’ils sont souvent mêlés à des tissus essentiels à la fonction, qualifiés « d’éloquents ». Ces tissus fonctionnels non compensés doivent être préservés sous peine d’engendrer des déficits permanents. Il est primordial que l’intervention chirurgicale ne détériore pas la qualité de vie des patients. Ces derniers étant le plus souvent asymptomatiques en amont de la chirurgie, il est important que l’exérèse n’induise pas de nouveaux déficits et séquelles sur le long terme. L’excision doit donc se faire dans le respect des limites fonctionnelles individuelles (Duffau, 2011). L’objectif du neurochirurgien sera donc d’enlever un maximum de tissu infiltré, sur la base des imageries préopératoire (IRM) et intraopératoire (échographie), tout en respectant la cartographie fonctionnelle cérébrale propre au patient, qui sera établie au fur et à mesure de la résection avec la coopération du patient réveillé.
La neurochirurgie en condition éveillée est privilégiée pour la résection des GIBG car elle permet d’identifier et de préserver les tissus éloquents malgré une invasion tumorale diffuse. Elle est ainsi devenue le traitement de référence pour la prise en charge des GIBG, en permettant de retarder et de limiter leur transformation maligne, améliorant significativement la médiane de survie des patients (Capelle, et al., 2013; Duffau, 2013; Duffau & Taillandier, 2015; Jakola, et al., 2012; Smith, et al., 2008). Elle est ainsi passée de 6-7 ans sur la base d’une simple biopsie, à 13-15 ans dans la cas de résections précoces (Capelle, et al., 2013; Jakola, et al., 2012; Pallud, et al., 2014). L’impact de la chirurgie est d’autant meilleur que la résection est complète, pouvant même aller au-delà des limites anatomiques de la tumeur qui sont généralement établies par l’imagerie FLAIR (fluid attenuated inversion recovery) préopératoire (Duffau & Taillandier, 2015; Yordanova, et al., 2011) . L’intérêt de la chirurgie éveillée est triple, elle va permettre : (1) d’améliorer la qualité de vie des patients avec la suppression de certains symptômes (contrôle de l’épilepsie) ; (2) de repousser la médiane de survie avec une résection optimale, jusqu’aux limites fonctionnelles ; (3) une étude approfondie du profil histologique de la tumeur via sa biopsie.
Récupération postopératoire et perspectives cliniques
Suite à la chirurgie, les patients présentent le plus souvent des déficits transitoires modérés malgré des volumes de résection parfois massifs, et récupèrent dans les 3 mois dans la grande majorité des cas (Duffau, et al., 2003). La durée de l’hospitalisation est établie au cas par cas et varie en fonction des objectifs établis avant l’opération, qui sont généralement de traiter au mieux la tumeur et de limiter les complications liées à la chirurgie. Le processus de réhabilitation du patient est suivi par un neuropsychologue et/ou un orthophoniste, en plus du neurochirurgien ayant fait l’opération. Le patient réalise généralement une imagerie 48 heures après la chirurgie pour évaluer l’étendue de la résection, qui sera plus tard accompagnée de bilans neuropsychologiques, et répétés tous les 3 mois. Une meilleure compréhension des GIBG, des phénomènes de plasticité qu’ils induisent et des effets de la chirurgie éveillée ont donné des résultats très favorables aboutissant à une meilleure espérance de vie chez ces patients. Malgré ces avancées, leur récupération reste en grande partie liée au développement de la tumeur au moment de sa découverte et un dépistage précoce permettrait une meilleur prise en charge, ce qui pousse à trouver de nouveaux outils de détection, faciles à déployer (Duffau, 2012).
Chirurgie éveillée
Technique opératoire
La neurochirurgie en condition éveillée est une approche relativement nouvelle qui permet d’optimiser l’exérèse de tumeurs cérébrales diffuses, en respectant les limites fonctionnelles individuelles. Une fois le patient endormi et sa tête immobilisée à l’aide d’une têtière, un volet crânien est réalisé en regard de la région tumorale préalablement identifiée grâce à l’imagerie préopératoire. La dure-mère est ensuite ouverte, exposant la surface corticale, tandis que le patient est sorti d’anesthésie générale (AG). Les contours tumoraux sont imagés à l’aide d’un système d’échographie et des étiquettes identifiées par des lettres sont déposées sur la surface corticale afin de repérer les sites anatomiques importants. Une fois le patient réveillé, il va lui être demandé d’effectuer plusieurs tâches neuropsychologiques (motrices, langagières, cognitives) qui seront dépendantes des fonctions à tester durant la résection. La nature de ces tâches varie et est adaptée au mieux au patient et à sa tumeur, dans l’optique de préserver sa qualité de vie, en fonction de ses centres d’intérêts (Duffau, 2010). Le test le plus fréquent étant la réalisation simultanée d’une tâche motrice (mouvements périodiques) et de dénomination (désignation orale d’un objet présenté au patient). Ces tâches sont élaborées en amont de l’opération et vont aider le neurochirurgien à établir la cartographie anatomo-fonctionnelle péri-lésionnelle du patient durant l’opération (Duffau, 2005).
La cartographie à proprement parler est réalisée en stimulant électriquement la surface corticale à l’aide d’une sonde. La stimulation électrique directe (SED) peut alors interférer ou non avec les tâches contrôlées qui sont effectuées par le patient. Les conséquences fonctionnelles de la SED sont inconnues, mais il a été proposé qu’elle joue le rôle de lésion virtuelle transitoire en perturbant momentanément l’activité normale de la région stimulée (Duffau, 2010). Si les déficits générés par la SED sont reproductibles, cela signifie que le site testé est toujours nécessaire à la fonction contrôlée et il doit donc être préservé malgré l’infiltration du tissu par la tumeur. La stimulation est dite « positive » si elle est à l’origine de mouvements ou de perceptions (hallucinations et sensations évoquées) et « négative » si elle vient interférer avec les tâches en cours (interruption du langage ou du mouvement). Si la SED n’induit pas de troubles particuliers, cela signifie que le tissu infiltré qui est testé ne participe plus à la fonction et il peut être réséqué. Chaque site cortical est testé au moins trois fois de façon non-consécutives pour s’assurer de la fiabilité des tests (Duffau, 2004; Ojemann, et al., 1989). Le patient réalise les tâches durant la cartographie mais également pendant la résection et ses réactions sont surveillées par le neuropsychologue/orthophoniste qui s’assure en continue qu’aucun déficit n’est généré. La SED est initialement utilisée pour réaliser une cartographie du cortex péri-lésionnel, puis elle est appliquée en profondeur, au niveau de la substance blanche et des structures sous-corticales, au fur et à mesure de la résection. Les grands faisceaux de substance blanche, assurant la connectivité anatomique et essentiels à la récupération fonctionnelle, sont ainsi identifiés et préservés, de même que les noyaux gris centraux le cas échant. Grâce à la SED et au retour constant du patient, le chirurgien réalise itérativement une cartographie anatomo-fonctionnelle, qu’il raffine pendant la résection, dans l’optique de retirer un maximum de tissu infiltré sans porter atteinte à la fonction (Duffau, 2005; Duffau, 2015).
Chapitre 1 : Chirurgie éveillée et cartographie cérébrale |