Quand bien même les progrès de la biologie moléculaire, de la chimie combinatoire et de la bioinformatique ont permis une conception rationnelle des médicaments, le monde naturel regorge de molécules que l’on peut utiliser pour soigner [Rates, 2001 ; Simmonds, 2003]. La nature peut encore, pour longtemps, constituer un réservoir inépuisable de substances médicamenteuses qui défient souvent l’imagination des chimistes organiciens. En effet, depuis 4,8 milliards d’années que tout a commencé, l’évolution a eu le temps de synthétiser bien plus de molécules différentes que les chimistes n’en produiront jamais. Par ailleurs, l’investissement énorme qu’on a mis dans la chimie combinatoire et le criblage à haut débit n’a pas donné jusqu’ici les résultats escomptés [Hird, 2000].
Grâce à sa flore unique au monde avec un degré inégalé d’endémisme, Madagascar est bien placé pour un programme de découverte de nouveaux médicaments à partir de ses plantes. La beauté particulière de cette flore a d’abord attiré l’attention des botanistes, et c’est Philibert Commerson qui avait su probablement résumer en quelques lignes la nature unique de Madagascar lorsqu’il écrivait en 1771 : « Quel admirable pays que Madagascar ! il mériterait, non pas un observateur ambulant, mais des académies entières. C’est à Madagascar que je puis annoncer aux naturalistes qu’est la véritable terre de promission pour eux. C’est ici que la nature semble s’être retirée comme dans un sanctuaire pour y travailler, sur d’autres modèles ; les formes les plus insolites, les plus merveilleuses s’y rencontrent à chaque pas ». Ensuite, les chimistes se sont intéressés également à cette flore car cette diversité des espèces devrait sous entendre une diversité de structures, un des facteurs clés de la recherche médicamenteuse, bien que les notions de diversité biologique, de diversité structurale et de diversité fonctionnelle font encore l’objet de débats [Tulp & Bohlin, 2002 ; Cragg & Newman, 2002]. Ceci a conduit à la découverte de médicaments de grande valeur pour citer les alcaloïdes anticancéreux de la pervenche malgache Catharanthus roseus.
LA FAMILLE DES CLUSIACEAE
D’après la révision récente du Royal Botanics Gardens et du Missouri Botanical Garden [Schatz ,2001], la famille des Hypéricacées a été rattachée à celle des Clusiaceae ou Guttifères. C’est une famille cosmopolite de plantes dicotylédones qui pousse dans les zones tempérées à tropicales et comprenant 1000 espèces réparties en près de 40 genres [Encyclopédie libre Wikipédia, http://en.wikipedia.org/wiki/Clusiaceae ]. On y rencontre des arbres, des arbustes ou des lianes.
Sa classification botanique est la suivante :
− Règne : Plantae
− Division : Magnoliophyta
− Classe : Magnoliopsida
− Ordre : Malpighiales .
Ethnotaxonomie
L’ethnotaxonomie est une approche qui permet de lier les noms vernaculaires à la taxonomie. Non encore rapportée dans les articles antérieurs à notre connaissance, elle a été exploitée dans le cadre du projet de bioprospection pour faire une approche chimiotaxonomique. Depuis toujours, les noms vernaculaires sont considérés comme sources de confusion car un même nom peut désigner plusieurs plantes. Ainsi, on ne peut pas identifier correctement une plante avec son(ses) nom(s) vernaculaire(s). En fait, il a été constaté avec la base de données sur les données ethnobotaniques conçue et réalisée par l’IMRA que, dans la plupart des cas, un nom vernaculaire ou un nom directement dérivé par l’adjonction d’un suffixe, est utilisé pour dénommer des espèces d’un même genre, ou des espèces d’une même famille botanique. Les communautés locales ont un sens très aigu de l’observation ; elles se basent sur des ressemblances morphologiques, ou des caractères communs, pour dénommer des plantes similaires. Depuis le botaniste Suédois Carl von Linné, les ressemblances morphologiques ont été à l’origine de la classification botanique. Il suffit donc de demander aux communautés locales les plantes correspondant à un nom vernaculaire donné (avec leurs variantes) pour collecter rapidement des espèces d’un même genre ou des genres voisins. L’identification botanique exacte et complète des espèces est effectuée plus tard par des systématiciens de renommée. Très vite on peut récolter jusqu’à 4 espèces pendant une journée, ce qui est difficilement réalisable dans une approche de collecte systématique (random collecting). Concernant donc les Clusiaceae, on désigne les espèces de la famille par Kija, Kiza, Kimba, Bongo, Vongo (les variantes proviennent des contractions dialectales), ce qui signifie l‘espèces qui secrètent des résines’ jaunes ou rougeorangées particulières. Les Calophyllum sont désignés par le nom Vintanona. Avec ces noms et leurs variantes, il a été possible de récolter des espèces représentatives des genres de Clusiaceae présents à Madagascar : Calophyllum, Garcinia, Ochrocarpus, Rheedia, Symphonia.
CHIMIOTAXONOMIE DES CLUSIACEAE
Il existe des monographies dont la plus célèbre est probablement celle de Robert Hegnauer intitulée « Chemotaxonomie der Pflanzen » pour la connaissance de la chimiotaxonomie des plantes [Hegnauer, 1993]. Avec la venue de la technologie de l’information et de la communication, un cédérom sur les produits naturels a été conçu et réalisé par Chapman & Hall [Chapman & Hall Chemical Database, 2000].
Les recherches bibliographiques que nous avons effectuées à partir de ces bases de données nous ont permis de connaître que, à part les composés phénoliques et les terpènes classiques qui sont omniprésents dans plusieurs espèces, les principales familles chimiques qui semblent être spécifiques des Clusiaceae sont les phloroglucinols et leurs dérivés benzoylés appelés benzophénones qui sont dénommées guttiférones lorsqu’on les isole de la famille des Guttifères (Clusiaceae), les xanthones et les coumarines.
Grâce aux possibilités de substitution notamment par des groupements prénylés [Epifano et al., 2007], à des possibilités de dimérisation, trimérisation etc., et à des réactions de O- ou C-glycosidation, à des réactions de réarrangements, à des réactions de sulfonation et halogénation, on peut obtenir des structures extrêmement diversifiées, dont quelques-unes sont complexes. Certaines possèdent des activités biologiques remarquables.
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