Rupture fragile : une approche en contrainte
Nous présentons les outils principaux de la théorie mécanique linéaire élas-tique de la rupture : la forme des contraintes en tête de fissure (2.1.1), le critère de propagation (2.1.2) et du choix de la direction de propagation (2.1.3). Cette approche est couramment utilisée dans la mécanique de la rupture et les ou-tils numériques utilisés par les ingénieurs sont développés à partir de cette description.
Singularité des contraintes
Dès 1913, Inglis remarqua que les champs de contraintes appliqués sur un matériau fissuré sont très amplifiés en tête de fissure. Cette propriété est décrite par la théorie élastique linéaire. Nous considérons une fissure droite en déformation plane (resp. antiplane). En suivant Williams et al. (1952), nous pouvons montrer que quelque soit la géométrie du corps étudié et le charge-ment appliqué, l’expression asymptotique (c’est à dire le terme dominant du développement) des contraintes σrr , σθθ et σrθ dépend uniquement de trois constantes KI , KI I et KI I I , appelées facteurs d’intensité des contraintes (fi-gure 2.3b).
Le mode I provoque une ouverture de la fissure, les modes II et III pro-voquent un cisaillement plan et antiplan. Les dépendances en r et en θ sont uni-verselles et le terme dominant dans le développement des contraintes est pro-portionnel à K √r.
Dans la théorie linéaire élastique, les champs de contrainte et de déforma-tion divergent à la pointe de la fissure. Cette description est doublement pro-blématique. D’une part, la théorie élastique suppose des contraintes infinitési-males en contradiction avec la divergence prédite. D’autre part, les contraintes ne divergent pas physiquement et il existe une zone d’endommagement en tête de fissure (que nous considérerons petite et que nous négligerons dans la des-cription de la rupture fragile). Cette hypothèse de confinement de la zone plastique (small scale yielding) est la clef de l’utilisation d’une description élastique pour la propagation des fissures.
Nous espérons donc que le comportement en 1 r est valable dans une zone intermédiaire (anneau de validité des développements asymptotiques des facteurs d’intensité de contrainte K dans la figure 2.3a) entre une région bornée par la taille de la zone plastique près de la fissure (pour |r| tendant vers zéro) et une région où le développement asymptotique au voisinage de zéro n’est plus valable (à |r| grand) à cause de la géométrie du corps et du chargement.
Critère de propagation : théorie d’Irwin
La théorie d’Irwin est une proposition heuristique pour décrire la pro-pagation des fissures dans le cas d’un chargement en mode I pur. L’idée la plus simple serait de poser un critère sur une contrainte critique d’ouverture σθθ (θ = 0). Comme la contrainte diverge en pointe de fissure dans la descrip-tion élastique, la fissure se propagerait pour tout chargement. Irwin propose de gommer la singularité en posant un critère sur le facteur d’intensité des contraintes d’ouverture KI . Celui-ci caractérise la sévérité de la divergence du champs de contrainte d’ouverture. Ce critère découle du confinement de la zone plastique.
L’hypothèse sous-jacente est qu’il existe une zone (l’anneau de validité des K) où le développement des champs élastiques est en 1 √r. Les champs élastiques communiquent les contraintes imposées des bords de l’échantillon à la zone plastique. La zone plastique ressent alors un chargement uniquement déterminé par les facteurs d’intensité des contraintes. Un critère de propaga-tion peut donc s’exprimer en fonction des coefficients K. La détermination des facteurs d’intensité des contraintes est alors suffisante pour prédire la propagation.
Irwin définit une ténacité KI c (en M P a m) caractéristique intrinsèque du matériau. La propagation de la fissure est possible dès que le facteur d’intensité des contraintes atteint la ténacité du matériau. Cette hypothèse est vérifiée en pratique et nous pouvons mesurer la ténacité du matériau indépendamment de la géométrie et du chargement.
Chemin de fissure : principe de symétrie locale
Pour prédire la direction de propagation des fissures, Goldstein & Salganik (1974) proposent un critère de symétrie locale. La direction sélectionnée est telle que le mode de cisaillement plan KI I s’annule. Le champ de contrainte devant la fissure est symétrique par rapport au plan de fissure si KI I = 0. Dans un matériau isotrope, la symétrie indique donc que la propagation est droite : c’est le principe de symétrie locale. Si un cisaillement apparaît, il dé-vie la direction de propagation de la fissure. Pour la propagation de fissure dans un milieu tridimensionnel isotrope, la trajectoire est telle que la fissure se propage en mode I pur. Un chargement qui place la pointe de fissure en situation de mixité modale provoque un branchement (c’est à dire un change-ment de direction de la fissure ou un kink) qui ramène la trajectoire vers une propagation en mode I.
Notons que le principe de symétrie locale s’écroule pour un matériau ani-sotrope ou hétérogène (et il est en particulier non valable pour la propagation d’une fissure à une interface faible). Il n’existe pas de formule analytique re-liant les facteurs d’intensité après branchement à ceux avant branchement mais He & Hutchinson (1988) et Leblond (1989) ont obtenu un développe-ment limité au voisinage du point de branchement des facteurs d’intensité de contraintes après branchement. Les facteurs d’intensité après branchement dé-pendent uniquement des facteurs d’intensité avant branchement et de l’angle de branchement θ. Une difficulté est de relier l’existence de branchement à la taille caractéristique de process de la fissure.
Rupture fragile : une approche énergétique
L’approche énergétique de la rupture proposée par Griffith il y a un siècle a permis d’introduire le concept de taux de restitution d’énergie élastique lors de la propagation des fissures. Nous présenterons le critère de propagation proposé par Griffith (2.2.1) et celui du choix de la direction de propagation (2.2.2). L’essor du calcul numérique des répartitions de contraintes en tête de fissure a limité le développement de cette approche énergétique. Néanmoins, cette dernière a été récemment formalisée et étendue dans l’approche varia-tionelle de la mécanique de la rupture (Bourdin et al. (2008)).
Taux de restitution d’énergie et critère de Griffith
Griffith (1921) propose une approche énergétique pour décrire les condi-tions de propagation d’une fissure, en supposant l’existence d’une énergie de rupture par unité de surface Gc, en analogie avec la tension de surface observée dans les phénomènes capillaires pour les liquides à petite échelle. Ainsi une fissure se propage dès qu’elle relâche suffisamment d’énergie pour compenser le coût nécessaire pour séparer les lèvres de la fissure. Nous définissons le taux de restitution d’énergie G comme la variation de l’énergie potentielle totale P (i.e. le travail des forces extérieures + l’énergie potentielle élastique) lorsque la fissure avance d’une longueur dl : du champs de contrainte d’ouverture. Ce critère découle du confinement de la zone plastique.
L’hypothèse sous-jacente est qu’il existe une zone (l’anneau de validité des K) où le développement des champs élastiques est en 1 √r. Les champs élastiques communiquent les contraintes imposées des bords de l’échantillon à la zone plastique. La zone plastique ressent alors un chargement uniquement déterminé par les facteurs d’intensité des contraintes. Un critère de propaga-tion peut donc s’exprimer en fonction des coefficients K. La détermination des facteurs d’intensité des contraintes est alors suffisante pour prédire la propagation.
Irwin définit une ténacité KI c (en M P a m) caractéristique intrinsèque du matériau. La propagation de la fissure est possible dès que le facteur d’intensité des contraintes atteint la ténacité du matériau. Cette hypothèse est vérifiée en pratique et nous pouvons mesurer la ténacité du matériau indépendamment de la géométrie et du chargement.
Chemin de fissure : principe de symétrie locale
Pour prédire la direction de propagation des fissures, Goldstein & Salganik (1974) proposent un critère de symétrie locale. La direction sélectionnée est telle que le mode de cisaillement plan KI I s’annule. Le champ de contrainte devant la fissure est symétrique par rapport au plan de fissure si KI I = 0. Dans un matériau isotrope, la symétrie indique donc que la propagation est droite : c’est le principe de symétrie locale. Si un cisaillement apparaît, il dé-vie la direction de propagation de la fissure. Pour la propagation de fissure dans un milieu tridimensionnel isotrope, la trajectoire est telle que la fissure se propage en mode I pur. Un chargement qui place la pointe de fissure en situation de mixité modale provoque un branchement (c’est à dire un change-ment de direction de la fissure ou un kink) qui ramène la trajectoire vers une propagation en mode I.
Notons que le principe de symétrie locale s’écroule pour un matériau ani-sotrope ou hétérogène (et il est en particulier non valable pour la propagation d’une fissure à une interface faible). Il n’existe pas de formule analytique re-liant les facteurs d’intensité après branchement à ceux avant branchement mais He & Hutchinson (1988) et Leblond (1989) ont obtenu un développe-ment limité au voisinage du point de branchement des facteurs d’intensité de contraintes après branchement. Les facteurs d’intensité après branchement dé-pendent uniquement des facteurs d’intensité avant branchement et de l’angle de branchement θ. Une difficulté est de relier l’existence de branchement à la taille caractéristique de process de la fissure.
Rupture fragile : une approche énergétique
L’approche énergétique de la rupture proposée par Griffith il y a un siècle a permis d’introduire le concept de taux de restitution d’énergie élastique lors de la propagation des fissures. Nous présenterons le critère de propagation proposé par Griffith (2.2.1) et celui du choix de la direction de propagation (2.2.2). L’essor du calcul numérique des répartitions de contraintes en tête de fissure a limité le développement de cette approche énergétique. Néanmoins, cette dernière a été récemment formalisée et étendue dans l’approche varia-tionelle de la mécanique de la rupture (Bourdin et al. (2008)).
Taux de restitution d’énergie et critère de Griffith
Griffith (1921) propose une approche énergétique pour décrire les condi-tions de propagation d’une fissure, en supposant l’existence d’une énergie de rupture par unité de surface Gc, en analogie avec la tension de surface observée dans les phénomènes capillaires pour les liquides à petite échelle. Ainsi une fissure se propage dès qu’elle relâche suffisamment d’énergie pour compenser le coût nécessaire pour séparer les lèvres de la fissure. Nous définissons le taux de restitution d’énergie G comme la variation de l’énergie potentielle totale P (i.e. le travail des forces extérieures + l’énergie potentielle élastique) lorsque la fissure avance d’une longueur dl .