Changer le monde pour répondre à l’urgence écologique et sociale
Une urgence écologique et sociale
Nul n’ignore plus à ce jour que nous sommes à un tournant décisif en ce qui concerne le danger du dérèglement climatique de notre planète. Le rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5°C – entre autres rapports environnementaux dont la publication ne date pas d’hier – nous met en garde depuis 2018, et les scientifiques craignent de plus en plus que nous ayons déjà dépassé la barre des 2 degrés de réchauffement. Il est aujourd’hui prouvé que ce réchauffement découle directement des activités humaines, et nous ne pouvons plus continuer d’ignorer les conséquences qu’il aura sur nos sociétés. D’ailleurs, les effets s’en font déjà sentir : sécheresses, inondations, multiplication des catastrophes environnementales… Même si d’autres facteurs peuvent être mis dans la balance, la concentration dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, comme le CO2, est notamment responsable de cette situation, et comment ne pas faire le lien avec notre système productiviste… Parallèlement, les experts sont de plus en plus inquiets de l’accélération fulgurante de la destruction de la biodiversité, un sujet d’autant plus d’actualité avec la crise sanitaire que nous venons de traverser qui en découle directement. En effet, la biodiversité s’est toujours posée comme un rempart on ne peut plus efficace entre l’Homme et des pathogènes potentiellement dangereux… Cette barrière naturelle se dissout aujourd’hui à cause, notamment, de la déforestation massive qui détruit des écosystèmes entiers, mais également du dérèglement climatique qui contraint les espèces à migrer et se rapprocher de l’Homme. Ce sombre tableau, sans être une liste exhaustive car ce n’est pas là l’objet, nous permet de dresser le portrait de l’urgence écologique et environnementale qui occupe, à raison, de plus en plus le débat et cristallise les tensions.
Sociétalement, cela se manifeste par l’engagement international des jeunes dans les marches pour le climat, dans la lignée de Greta THUNBERG. Ces marches pour le climat et cette prise de conscience environnementale viennent s’ajouter à des crises sociales plus profondes, issues directement du « ras-le-bol général » des inégalités qui ne cessent de se creuser dans nos sociétés. Nous sommes au cœur d’une période ponctuée de nombreux soulèvement citoyens internationaux. En France, c’est d’abord le mouvement des Gilets Jaunes, débuté en Mai 2018 avec les premières manifestations, qui a pris de l’ampleur. Ces Gilets Jaunes sont vite devenus les représentants d’une France qui souhaite rompre avec l’accentuation fulgurante des inégalités, et qui revendique plus largement la volonté d’un pouvoir d’agir plus conséquent pour tous, d’un retour à une démocratie réellement centrée sur l’humain. Aujourd’hui, on voit fleurir d’autres mouvements civiques, comme ceux contre les violences policières, ou les mouvements féministes qui prennent de l’ampleur. Les associations de consommateur tentent de faire barrage au green et socialwashing ambiants, comme 60 millions de consommateur ou I-buycott, et les consommateurs eux-mêmes prennent conscience que leur choix en termes de consommation est un moyen de faire pression sur les marques pour qu’elles fassent évoluer leurs pratiques. Les mouvements citoyens semblent croitre et s’enraciner dans le temps comme sur le territoire. En effet, comme l’indique Levent Acar, le co fondateur d’I-buycott « Notre confiance s’effrite, et pour certains, elle s’effondre totalement. Les mots tels que « citoyenneté » « vote » « élections », sont progressivement effacés de notre vocabulaire. Ils se vident de sens. A la place, d’autres mots font écho à notre engouement pour ce changement politique : « autonomie » « révolution » « manifestation » « indignation ». En bref, craintes sociales et environnementales se recoupent aujourd’hui et les revendications s’unissent pour voir cesser un système qui ne convient plus. D’ailleurs, notre ère est marquée par la naissance d’une prise de conscience quant à l’importance de faire émerger rapidement des stratégies alternatives selon Khmara et Kronenberg (2017) et selon Stiglitz (2010) « Not only economists but also 9 politicians are beginning to understand the shortcomings of GDP as a dominant political objective » ; et un mouvement autour de la quête de sens semble saisir les français. En effet, qui ne connaît pas dans son entourage plus ou moins proche, un banquier trentenaire qui a un jour tout plaqué pour être apiculteur… C’est aujourd’hui monnaie courante de s’interroger sur le sens dans son travail et ce, toutes catégories socioprofessionnelles et âge confondues.
Ces prises de conscience et ces mouvements de contestation nous amènent souvent à pointer du doigt le même responsable : le système.
Qui montre l’obsolescence de notre modèle économique
En effet, si les activités humaines impactent tant l’environnement et si les inégalités explosent ces dernières années, c’est notamment dû à un modèle économique qui ne fonctionne plus et dont les nombreuses promesses sont à nuancer aujourd’hui : il semble évident que ce dernier n’est pas durable écologiquement et socialement. Le principe Malthusien de croissance économique infinie reposant sur des ressources illimitées est d’ailleurs remis en cause depuis près de 50 ans : c’est en 1972 que le Club de Rome publie dans son rapport « Halte à la Croissance » , alors pionnier sur la question. C’est la première étude conséquente qui fait le lien entre cette conception de la croissance économique et ses impacts dangereux pour l’environnement, et donc l’humanité. Celui-ci nous met en garde contre cette exploitation aveugle des ressources, qui ne sont pas illimitées, et contre cette quête insensée de la croissance face à une telle réalité… Une sonnette d’alarme que nous avons choisi d’ignorer, puisque persuadés de la résilience de ce système capitaliste?
Pourtant, cette théorie selon laquelle l’efficacité du capitalisme permettrait d’éviter le réchauffement climatique et d’empêcher l’épuisement des ressources est illusoire, comme l’affirmait d’ailleurs Jackson en 2017 :
« In this context, simplistic assumptions that capitalism’s propensity for efficiency will allow us to stabilise the climate and protect against resource scarcity are nothing short of delusional. ».
E.F. SCHUMACHER nous explique en 1973 dans « Small is beautiful » que notre recherche constante de la croissance nous a conduit à rendre tout ce qui nous entoure toujours plus gros, « plus loin, plus vite, plus fort ». Selon l’auteur, la croissance n’est pas la solution aux problématiques majeurs de notre société, c’est le problème. Il nous rappelle que la consommation ne mène pas à la paix dans le monde et que le PIB n’est pas un substitut du bonheur… Un avis d’ailleurs partagé par Jackson (2009) et Victor (2008), pour qui la croissance économique ne rend pas forcément la vie des gens meilleure.
Certes, des réponses ont été apportées à ces inquiétudes notamment avec l’apparition à la fin du siècle dernier du concept de Développement Durable reposant sur 3 piliers – économique, social et environnemental. Malheureusement, cette promesse de durabilité a petit à petit été accaparée par des adeptes de la croissance aveugle, trop addicts pour oser y renoncer…
« Since the Rio 20 UN Conference on Sustainable Development, political strategies and discussions previously focused on sustainable development have been more or less officially replaced by a new focus on « green economy », « green growth » and « sustainable growth ». Even the most recent « circular economy » strategies aim at « boosting the economy. » (European Commission, 2010, OECD, 2011, UN, 2012).
Des termes tous liés à la compréhension des enjeux actuels sous un angle capitalistique et donc à une volonté de booster l’économie même au travers des problématiques environnementales. Un lexique qui met en lumière « the broad rejection of the limits to growth paradigm » mais également une « addiction to growth» selon Khmara et Kronenberg (2017).
Nicolas Hulot, ancien ministre de la Transition Ecologique et Solidaire, a d’ailleurs bien dénoncé, lors de sa démission en 2018, que cette approche de croissance verte était loin d’être suffisante : « Je ne veux plus me mentir. Je ne veux plus que ma présence au gouvernement signifie que nous sommes à la hauteur sur ces enjeux -là [culturels, sociétales, civilisationnels, écologiques]. Et donc je prends la décision de quitter le gouvernement aujourd’hui. ». (France-Inter, 2018) En cause selon lui, l’inaction et l’indifférence du gouvernement sur les enjeux écologiques et sociétaux, mais aussi les « petits pas dont tout le monde s’accommode. » Si son départ a eu des conséquences certaines et ont permis une prise de conscience chez de nombreuses personnes, il n’a pas encore provoqué la « profonde introspection de notre société sur la réalité du monde » qu’il espérait.
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