Apport des méthodes de télédétection à très haute-résolution spatiale dans l’étude des variations de la cryosphère des Pyrénées
Les Pyrénées : une montagne exposée aux changements
Par le mot Pyrénées on entendrait, non les localités restreintes que sillonnent les touristes vulgaires et que fréquentent annuellement les baigneurs, mais la majestueuse chaîne qui s’étend depuis le cap Creux jusqu’à son extrémité occidentale et qui se ramifie en patte d’oie dans les Asturies ; non pas seulement le versant septentrional qui appartient à la France, mais la vaste pente mériodionale qui appartient à l’Espagne. Bulletin de la sociéte Ramon, 1866. Les Pyrénées s’étendent sur 435 km entre le golfe de Gascogne et la Méditerranée (fig. 1). Sur la partie atlantique, entre l’Océan et le Pic d’Anie, la chaîne présente des altitudes modérées, inférieures à 2 000 m. Dans la partie centrale, la chaîne pyrénéenne forme une imposante barrière où l’on trouve les points culminants : le Vignemale (Pique Longue) à 3 298 m (France), et le Pic d’Aneto à 3 404 m (Espagne). Du fait de sa relative basse latitude (<43 ◦N), le massif constitue une frontière entre le climat humide océanique et le climat sec subtropical. Les extrêmes de températures sont atténués par la proximité de l’océan Atlantique et de la mer Méditerranée. L’influence océanique est prépondérante à l’Ouest et au Nord, tandis que le Sud et l’Est sont soumis à des influences méditerranéenne et continentale. Ce jeu d’influence induit des contrastes sur les précipitations, 2 000 mm de précipitation annuelle sur la partie ouest française et moins de la moitié à l’Est, et sur les températures où la moyenne annuelle à l’Ouest (5 ◦C) est inférieure de 1◦ à la moyenne observée à l’Est (près de 6 ◦C) (Réanalyse SAFRAN 1958–2008 Maris et al., 2009). Sur la base d’un gradient thermique estimé à 0.6 ◦C 100 m−1 (Ruiz et al., 1986) ou 0.63 ◦C 100 m−1 (López-Moreno et al., 2009a), on peut situer l’isotherme 0 ◦C entre 1600 m et 1700 m entre novembre et avril (fig. 2). L’altitude de la chaîne permet donc le maintient d’un manteau neigeux saisonnier persistant de novembre à avril à partir de 1 600 m (López-Moreno et al., 2009a). L’isotherme 0 ◦C annuel est estimé en moyenne vers 2 900 m (Chueca et al., 2003). On observe des formes périglaciaires à partir de 2 300 m (Feuillet, 2010) et un environnement glaciaire constitué de petits glaciers à partir de 2 700 m (Gonzalez Trueba et al., 2008) (figures 3 et 7). France Espagne ± 0 50 100km Altitude (m) 3404 1 Espagne France Figure 1 – Le massif des Pyrénées et sa composante hypsométrique. Le contour est celui retenu par la Communuaté de Travail des Pyrénées (CTP) pour définir le massif. 3 Surface (ha) 0 100 200 300 400 500 600 Altitude (m) 3 200 2 800 2 400 2 000 1 600 1 200 800 400 0 1 2 3 404 Figure 2 – Distribution hypsométrique des Pyrénées en fonction de la surface (contour de la Communuaté de Travail des Pyrénées, cf. figure 1). La première limite verticale (1) indique l’isotherme 0 ◦C de la saison hivernale d’octobre à avril (1 650 m). La seconde limite verticale (2) indique l’isotherme 0 ◦C annuel (2 850 m). 3000 m 2500 m 1900 m 1100 m 2800 m 2300 m 1700 m 800 m chênes rochers estives landes à rhodendron landes à genévrier pins à crochets Soulane Ombré sapins hêtres Étage nival Étage alpin Étage montagnard Étage collinéen manteau neigeux persistant glaciers formes périglaciaires manteau neigeux persistant glaciers formes périglaciaires manteau neigeux persistant Figure 3 – Étagement de la montagne dans le cas des Pyrénées. Source : “Fleurs des Pyrénées”. Adapté de Philippe Mayoux c Rando Edition 4 Le climat des Pyrénées connaît une augmentation significative des températures depuis plus d’un siècle. La série de température la plus ancienne de la chaîne est celle du Pic du Midi (2 880 m) et débute en 1882 (Bücher et Dessens, 1991; Dessens et Bücher, 1995). La température a augmenté de 0.83 ◦C entre 1882 et 1970, avec une baisse significative de l’étendue de la moyenne diurne annuelle (2.89 ◦C) due à une hausse des minima (Bücher et Dessens, 1991; Dessens et Bücher, 1995). Les travaux d’homogénéisation effectués dans le cadre de l’Observatoire Pyrénéen du changement Climatique (OPCC) mettent en évidence un réchauffement spatialement uniforme à l’échelle du massif sur les soixante dernières années, et un réchauffement significatif depuis les années 1980 (Soubeyroux et al., 2011). Au cours du XXème siècle, on note une augmentation significative des précipitations en Ariège, et une baisse non significative dans les Hautes-Pyrénées (Moisselin et al., 2002). D’une manière générale les tendances sur les précipitations annuelles et saisonnières ne sont pas significatives (période 1950–2002 López-Moreno et al., 2009b). La durée de la couverture de la neige au sol a décliné à toutes les altitudes depuis 1958 (Maris et al., 2009). L’analyse des mesures de hauteurs de neige effectuées par le programme d’état espagnol EHRIN 8 a mis en évidence l’augmentation de la hauteur de neige au-dessus de 2 200 m, et sa diminution pour des altitudes inférieures (López-Moreno, 2005; Morán-Tejeda et al., 2012). Les projections climatiques du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) basées sur un scénario de production industrielle modéré (RCP 4.5) dessinent une augmentation de température de 2 ◦C au sud de l’Europe à la fin du XXIème siècle, et une très légère baisse des précipitations frappée d’un fort coefficient d’incertitude. Dans le cadre du projet SCAMPEI 9 , un travail de simulation a été effectué pour estimer l’enneigement des massifs français au XXIème siècle. Le principal résultat est la diminution forte dès le milieu du XXIème siècle de la durée d’enneigement de tous les massifs jusqu’à une altitude de 2 500 m. Les variations dans la partie centrale des Pyrénées apparaissent très importantes, la diminution pouvant atteindre jusqu’à 80 % de la durée de référence (figure 4). La significativité des variations sur le reste du massif des Pyrénées est cependant limitée par le faible enneigement du temps présent. A la fin du siècle, l’impact sur l’enneigement devrait être très marqué en moyenne montagne. Selon le type de scénario, la durée annuelle d’enneigement varie entre 50 et 80 %. Si SCAMPEI met en évidence une diminution progressive du manteau neigeux à basse et moyenne altitude, cette évolution serait moins marquée à haute altitude. En s’appuyant sur un modèle climatique régional, López-Moreno et al. (2009a) ont obtenu des résultats comparables : une réduction de la durée d’enneigement de 70 % à 1 500 m et une diminution des impacts projetés selon un gradient altitudinal. Cette étude met aussi en évidence la forte diminution de l’équivalent en eau du manteau neigeux (quantité d’eau emmagasinée dans le manteau) en particulier dans les Pyrénées centrales et l’est des Pyrénées.
Cryosphère des Pyrénées : source de vulnérabilité
Dans les Pyrénées, le manteau neigeux constitue une réserve naturelle d’eau solide importante. Sa superficie moyenne au mois de janvier varie entre 10 et 20 000 km2 (données MODIS, période 2000–2013 Gascoin et al., 2015). Les Pyrénées abritent quelques dizaines de glaciers de petites dimensions (<1 km2 ). Ces deux composantes font partie de la cryosphère, la partie de la surface terrestre constituée d’eau solide. La présence et le maintient d’eau sous forme solide est conditionnée par les motifs de température et de précipitation issues des conditions atmosphériques (Morán-Tejeda et al., 2012), ce qui en fait un intégrateur naturel de la variabilité climatique (IPCC, 2013). L’augmentation significative de la température de l’air modifie les conditions d’existence et de maintient des composantes de la cryosphère pyrénéenne. Dans la plupart des bassins pyrénéens, la fonte nivale printanière contribue plus à l’écoulement que la pluie (López-Moreno et García-Ruiz, 2004). Les Pyrénées comptent un très grand nombre de barrages et de lacs artificiels qui servent à la production d’hydroélectricité, la régulation des cours d’eau, ou la gestion de l’irrigation des plaines agricoles (figure 5). Ces installations sont devenues intimement liées aux paysages des vallées pyrénéennes (Rodriguez et Oiry-Varacca, 2012). Les Pyrénées représentent un véritable « château d’eau » pour les régions du nord de l’Espagne et du sud–ouest de la France (López-Moreno et al., 2008; Gascoin et al., 2015). La gestion de la ressource en eau dans les plaines adjacentes, comme 6 Usine hydroélectrique Bassin versant Frontière Barrage Km Figure 5 – Infrastructures hydrauliques dans les Pyrénées. Source : (Gascoin et al., 2015) les bassins de l’Ebre ou de l’Adour-Garonne (figure 5), est donc fortement conditionnée par la dynamique et l’importance du manteau neigeux dans les Pyrénées. Cette dépendance peut devenir critique en regard de la pression exercée sur l’usage de l’eau de ruissellement et la capacité liée au manteau neigeux à maintenir un ruissellement compatible avec son exploitation (Barnett et al., 2005; Viviroli et al., 2011). Les projections climatiques sur le XXIème siècle associent hausse des températures et incertitude sur les variations de précipitations. Ce type de situation peut conduire à un modification de la dynamique du régime hydrographique des bassins versants à régime nival, avec une fonte plus précoce et une diminution du caractère nival (Etchevers, 2002). La relation de sensibilité du manteau neigeux aux variations climatiques est complexe et déterminée par des phénomènes à effet de seuil (p.ex. changement de phase liquide–solide Martin et al., 1994). Dans les Pyrénées, Morán-Tejeda et al. (2012) ont mis en évidence la sensibilité du manteau neigeux pyrénéen à des motifs combinant des conditions à la fois chaudes et sèches favorables à la fonte, des conditions humides et froides favorables aux chutes de neige et sèches et froides favorables à la persistance du manteau neigeux. Les montagnes ont en commun leur complexité topographique et la particularité de créer des climats locaux très spécifiques (Beniston, 2005). La compréhension de la problématique hydrologique associée aux régions de montagnes est ainsi étroitement liée à la problématique climatique. Cette dualité hydro–climatique devient source de vulnérabilité lorsque les réserves d’eau solide représentent un enjeu sociétal. La complexité des variations climatiques et des processus à l’œuvre dans ces milieux très hétérogènes conduisent à considérer conjointement les deux types d’observations : [. . .] in line with the need for establishing a more integrated approach to mountain water resources research, e.g. by linking more closely hydrological and climatological research (Viviroli et al., 2011).
Un besoin de nouvelles méthodes d’observation en contexte montagneux
La connaissance des processus glacio-nivo-hydrologiques et l’estimation des ressources associées constituent une problématique clef de l’observation en montagne (Hingray et al., 2012). L’étude de la cryosphère en zone de montagnes est rendue complexe par la topogra8 Figure 7 – Photographies des glaciers des Pyrénées prises depuis un hélicoptère au 1er octobre 2008 (Pierre René, Association Moraine http: // asso. moraine. free. fr/ . Légende : a) Massif de l’Aneto b) Massif de Gavarnie c) Massif del Infierno d) Massif del Monte Perdido e) Massif de Posets f) Massif de Posets (glacier rocheux) g) Massif du Vignemale (glacier d’Ossoue) h) Massif de l’Aneto (glacier de la Maladeta) i) Massif de Gavarnie (glacier du Taillon).. 9 Sensibilité Vulnérabilité Pyrénées Réseaux d’irrigation en plaine. Demande en hausse. Conit d’usages, débit d’étiage. Nombreux ouvrages hydroélectriques sur les deux versants. Tourisme hivernal (ski). Valorsiation touristique des glaciers. Patrimoine des glaciers et de l’environnement de « haute montagne » Société, économie de montagne: problématique hydro-climatique Cryosphère des Pyrénées Haut-lieu de changement climatique (GIEC AR 5): Projection des températures à la hausse sur le XXIème siècle. Incertitude sur les précipitations notamment solides. Réduction de la durée d’enneigement. Réduction du ruissellement. Changement climatique dans le Sud de l’Europe et la zone méditérranénne Manteau neigeux saisonnier étendu Présence de petits glaciers (<1 km2) Présence de formes périglaciaires. Pergélisol très réduit. Besoin d’observation des composantes nivo-glaciologique Suivi Reconstruction Modélisation Figure 8 – Schéma illustrant la situation de vulnérabilité associée aux processus hydro-climatiques dans les Pyrénées (cadres rouges), et la réponse méthodologique apportée (cadres verts). 10 phie et requiert un niveau d’observation très fin. Les mesures in situ sont associées à une prise de risques pour l’intégrité physique des personnes, et leur faible représentativité limite leur exploitation dans l’évaluation quantitative des variations du manteau neigeux et des glaciers. Les réseaux d’observation nivologiques institutionnels (Météo-France, EDF) révèlent un défaut d’instrumentation sur de larges étendues associé à une faible densité des moyens observations en altitude (Soubeyroux et al., 2011; Perret et al., 2012). Dans ce contexte, le développement et la valorisation des images et capteurs de télédétection apparaissent comme une approche complémentaire prioritaire (Hingray et al., 2012). Le développement de méthodes liées à la télédétection satellite permet d’investir sur des techniques à très large couverture spatiale, susceptibles d’être appliquées dans de nombreux contextes. La conception de missions spatiales récentes s’appuyant sur une mutualisation des connaissances techniques permet d’atteindre des niveaux d’observations inédits (p. ex. programme Orfeo, Gleyzes et al., 2013a). L’accès aux données d’imagerie à des tarifs préférentiels, ou idéalement gratuites dans le cadre de programmes scientifiques, permet d’envisager des développements méthodologiques tout en ayant un budget limité. Dans le cadre de l’observation de la cryosphère de montagne par télédétection satellite, les méthodes fondées sur la technique radar permettent de s’affranchir des contraintes de nébulosité, particulièrement présentes en montagne, et offrent des résolutions spatiales (typiquement 10–30 m) compatibles avec le niveau d’observation défini par les variations topographiques. Cependant, ces méthodes restent complexes à mettre en œuvre, en particulier en contexte montagneux, et posent des questions méthodologiques encore non résolues (Rott et al., 2014). Les bandes des capteurs radar actuellement opérationnels sur les satellites défilants ne présentent pas des spécifications techniques optimales dans la détection du volume du manteau neigeux. L’amélioration de la résolution de système spatiaux d’observation de la Terre, comme le satellite Pléiades (pas d’échantillonnage au sol de 0.7 m en mode panchromatique) ainsi que les capacités croissantes d’acquisitions en mode stéréoscopique et multi-stéréoscopique permettent d’envisager sous une perspective nouvelle les questions posées sur la cryosphère en montagne. La possibilité de programmer l’acquisition à une date ou une série de dates spécifiques permet d’étudier un moment clef d’un processus environnemental avec une précision temporelle potentiellement journalière (p. ex. fin d’un cycle hydrologique). Ce potentiel technique semble très prometteur pour caractériser finement les métriques associées aux variations de la cryosphère (figure 9). Cependant, leur exploitation en glaciologie et pour le suivi du manteau neigeux nécessite une démarche préalable de validation. Cette étape consiste à évaluer l’erreur associée à la métrique recherchée par des mesures de référence effectuées in situ. Ce type de nouveaux capteurs optiques doit permettre d’envisager une exploitation plus fréquente des données de télédétection dans le domaine des sciences hydrologiques qui en font un usage encore limité (Lettenmaier et al., 2015).
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