Changement de spéciation des éléments traces
métalliques lors de la remise en suspension de sédiments de barrages
RETENUE DE ROCHEBUT
Le barrage de Rochebut, de 48,5 m de haut et mis en service en 1909, se situe à 17 km en amont de Montluçon, au confluent de la Tardes et du Cher. La retenue s’étend sur les communes de Mazirat et de TeilletArgenty dans l’Allier et de Budelière et d’Evaux-les-Bains dans la Creuse. Le bassin versant de la retenue de Rochebut est essentiellement rural et l’occupation des sols est dominée par des prairies (53 %) et des forêts (15 %). Les cultures intensives sont accessoires mais l’activité d’élevage y est cependant très développée (Agence de l’Eau Loire-Bretagne, 2007). Les roches sont principalement des diatextites, granites, anatextites et migmatites. Cette lithologie est très proche de celle du bassin versant de la retenue de Queuille. En amont de Rochebut, les teneurs en arsenic sont naturellement importantes en relation avec la nature de ces roches granitiques et elles ont gêné la production d’eau potable (SAGE Cher amont, Évaluation environnementale, 2013). Plusieurs stations-services, garages, dépôts de liquides inflammables ainsi que quelques industries impliquant du matériel métallique sont répertoriés dans la base de données BASIAS (BRGM) dans le bassin versant de la retenue de Rochebut. Cependant, de même que pour les retenues des Mesches et de Queuille, les sédiments pollués accumulés dans le réservoir sont liés à la présence d’anciens sites miniers. L’exploitation aurifère a été intense dans cette zone au 20ème siècle, principalement sur les sites des mines du Châtelet (commune de Budelière) et de Villerange (commune de Lussat), mais d’autres sites ont aussi existé dans le bassin versant, plus en amont sur les affluents de la Tardes et à proximité du Cher (Figure II-13; Tableau II-1). La mine du Châtelet a produit au total 11 tonnes d’or entre 1905 et 1955 (Jacquemin, 2014). L’extraction se faisait par plusieurs puits et galeries. Le traitement des minerais par des procédés de chauffage et de cyanuration permettait ensuite de fixer l’or, présent exclusivement en substitution de l’As dans le réseau de l’arsénopyrite (Johan et al., 1989; Manlius et al., 2009). Cette exploitation a engendré 300 000 m3 de remblais et stériles regroupés sur une zone de 5 ha au niveau de l’ancien site de traitement (Figure II-14; BASOL n°23.0004, BASIAS LIM2300044), à proximité immédiate de la Tardes et à une douzaine de kilomètres en amont du barrage de Rochebut. En 1998, l’étude de risques menée par l’ADEME sur ces résidus non confinés a révélé de fortes teneurs en arsenic, soulignant le risque de transfert de cet élément vers les eaux de surface. Le site a été réhabilité en 2010-2011 : les déchets dont la teneur en As dépassait 0,5 % (5 g/kg) ont été recouverts d’un revêtement étanche, avec encapsulage pour les plus chargés en As (>30 %) et une digue a été construite pour limiter les risques d’entraînement des résidus miniers vers la Tardes (Figure II-14). Rejeté dans l’environnement, l’arsenic peut entrer dans la chaîne trophique (formes organiques) et/ou s’accumuler dans les sédiments sous des formes inorganiques (Manlius et al., 2009). Rarement sous forme natif, l’arsenic est associé à d’autres éléments dans plus de deux cents minéraux (Smedley et Kinniburgh, 2002), et se combine en particulier facilement au soufre pour former des sulfo-arséniures et l’arsénopyrite (FeAsS), principal minéral porteur de l’arsenic (Dictor et al., 2004). L’arsenic se rencontre dans des gisements très variés car il est souvent associé à des éléments d’intérêt économique (or, argent, bismuth, cadmium, fer, zinc, cuivre…). Dans les années 1960 une association quasi-systématique de l’arsénopyrite avec l’or est établie, à tel point que ce minéral a fini par devenir un marqueur de gisements d’or (Laperche et al., 2003; Bonnemaison, 2005). Le fond géochimique en arsenic des eaux de surface en France est de 0,73 μg/L et les rejets d’origines anthropiques sont supérieurs aux contaminations géogènes (Bonnemaison, 2005). Les principales sources industrielles pour ces eaux seraient les industries extractives (environ 2 300 kg/an en 2006 soit près de 50 % des rejets annuels) alors même qu’elles ne correspondent plus qu’à des anciens sites miniers (Gouzy et Brignon, 2008).
PRÉLÈVEMENTS
De l’eau et des sédiments ont été prélevés sur chacun des sites pour l’ensemble des mesures et des expériences de resuspension. Ces prélèvements ont été réalisés en juin 2015 dans la retenue des Mesches et en avril 2016 dans les retenues de Queuille et de Rochebut. L’eau a été prélevée depuis la berge à l’aide d’une pompe pour piézomètre, puis filtrée sur des cartouches en céramique de coupure 0,4 µm. Elle a ensuite été répartie dans des bidons de vingt litres stockés en chambre froide. Quelques millilitres ont été stockés séparément pour l’analyse des éléments traces (acidification par quelques gouttes d’acide nitrique concentré), des ions majeurs et de l’alcalinité. La température, le pH et la teneur en oxygène dissous de l’eau ont été mesurés sur place au moyen d’un appareil multiparamètre Hach. Les sédiments (10-15 premiers centimètres) ont été prélevés dans chaque retenue par carottage de surface avec un carottier d’interface (UWITEC-CORER, Figure III-1) manipulé à partir d’un petit zodiac. Les sédiments extraits du carottier ont été immédiatement transférés dans des bocaux en verre étanches. Ces bocaux sont rapidement ré-ouverts sur la berge, afin de mesurer le potentiel redox des sédiments, puis ils sont refermés et stockés dans une glacière jusqu’au laboratoire. Au laboratoire, les sédiments de chaque point de prélèvement sont homogénéisés et répartis en souséchantillons sous azote dans la boîte à gants. Les sous-échantillons sont conservés en chambre froide dans de plus petits bocaux, qui sont ouverts pour les expériences de resuspension. Pour une meilleure représentativité, les sédiments ont été prélevés en trois points de chaque retenue. Chaque point a fait l’objet de mesures, mais un seul a été retenu pour réaliser les expériences de resuspension. Une partie des sédiments est utilisée pour les expériences de resuspension, une autre est destinée aux analyses de la phase solide, une dernière est centrifugée afin de mesurer les concentrations en ETM dissous dans l’eau porale.
LES MESCHES
Trois points (Nord, Central, et Sud; Figure III-2) ont été échantillonnés dans la retenue des Mesches. À l’œil nu, les textures et les couleurs des échantillons sont apparues homogènes. Le point Nord, à environ 12 m de profondeur, montrait un potentiel redox de +245 mV. Les expériences de resuspension ont été réalisées avec les sous-échantillons des sédiments de ce point. Le potentiel redox mesuré dans les sédiments prélevés au point central, à 10 m de profondeur, était de +248 mV. Enfin, une plus petite quantité de sédiment a été prélevée dans une zone plus proche de la rive Sud du lac, du côté de l’embouchure de la Minière (« Point Sud »). Le prélèvement a été difficile dans cette partie, le carottier ne pénétrant que très peu dans le sédiment.
QUEUILLE ET ROCHEBUT Trois prélèvements ont été réalisés dans chacune des retenues de Queuille et Rochebut, à des profondeurs respectivement comprises entre 20 et 22 m et 21 et 25 m (Figure III-3 et Figure III-4).
EXPÉRIENCES DE REMISE EN SUSPENSION DES SÉDIMENTS DE BARRAGE
Huit expériences de resuspension ont été réalisées au total : 4 pour Les Mesches, 2 pour Queuille et 2 pour Rochebut (Tableau III-1). Les sous-échantillons de sédiments utilisés sont ceux du point Nord pour Les Mesches (sous-échantillons ME-1 à 4), du point 2 de Queuille (QU2-1 et QU2-1) et du point 3 de Rochebut (RO3-1 et RO3-2; Figures III-2 à 4)
DESCRIPTION DE L’APPAREILLAGE
Les expériences de remise en suspension des sédiments sont réalisées dans un système de bioréacteur Applikon constitué d’une cuve en verre1 de 3 litres, fermée par un couvercle en acier inoxydable, et d’un moniteur de mesure des variables (ez-Control; Figure III-5). Une pompe avec un tuyau d’aération et un bulleur d’aquarium ont été ajoutés au système pour l’aération. Le couvercle soutient un moteur qui entraine une tige à deux hélices pour l’agitation (jusqu’à 200 rpm). Un agitateur magnétique est également placé sous la cuve comme système d’agitation supplémentaire. Un tube inséré dans le couvercle permet de réaliser des prélèvements 4 cm au-dessus du fond de la cuve (Figure III-6). Il est prolongé au-dessus de la cuve par un tuyau souple auquel est raccordée une seringue. Quatre sondes sont fixées sur le couvercle et servent à mesurer à continu : le potentiel redox et en même temps la température (Hamilton, Polilyte Plus ORP Arc 225); la température seule (PT100 sensor); la quantité d’oxygène dissous (AppliSens 235mm); le pH (AppliSens Gel 235mm). La sonde pH est calibrée avant chaque expérience à l’aide de trois solutions tampon de pH 4, 7 et 10. La mesure de potentiel redox est contrôlée à l’aide d’une solution pour laquelle Eh= 220mV. Hormis pour le potentiel redox, les mesures sont directement lisibles sur l’écran du moniteur de contrôle ez-Control relié à l’ordinateur. Les données sont écrites dans des fichiers sur l’ordinateur par le biais des logiciels Hamilton Device Manager (HDM) et BioXpert Lite (BXL) qui enregistrent respectivement le potentiel redox et la température d’une part et le pourcentage d’oxygène dissous, le pH et la température d’autre part. Les valeurs de potentiel d’oxydoréduction sont relatives à l’électrode à hydrogène de référence.
RINÇAGE DES PAROIS DU RÉACTEUR
Les parois de la cuve, les tubes de prélèvement et d’aération et l’hélice, ainsi que les seringues en plastique et en verre servant à prélever les échantillons sont soigneusement lavés à l’acide nitrique 5 %. Tout le matériel est ensuite rincé à l’eau milliQ à plusieurs reprises. En fin de rinçage, la cuve est remplie d’eau milliQ, fermée avec le couvercle, et les sondes et l’agitation et l’aération sont mises en marche. Le pH est contrôlé afin de vérifier que l’acide nitrique a bien été rincé. Si ce n’est pas le cas, les étapes de rinçage à l’eau milliQ et remplissage pour le contrôle sont répétées. L’adsorption des ETM sur la paroi en verre pendant les expériences de resuspension était potentiellement un biais qu’il fallait tester. Il n’a cependant pu être testé qu’après avoir réalisé les premières expériences (quatre sur les Mesches, une sur Queuille, et une sur Rochebut). À l’issue de celles-ci, une expérience spécifique de resuspension a été refaite avec les sédiments des Mesches dans les mêmes conditions que les autres expériences réalisées (sous-échantillon ME-5; 4,7 g/L de sédiments en suspension pendant 120h; Tableau III-1). La paroi en verre a été rincée plusieurs fois à l’eau ultra-pure avant et après resuspension, puis de nouveau avec 250 mL d’acide nitrique 2 mol/L. Les concentrations en ETM ont été mesurées dans ces solutions de rinçage acides. Il est important de noter que les éléments ainsi récupérés sur la paroi après resuspension ne sont pas forcément des éléments dissous adsorbés sur le verre, il peut également s’agir de particules colloïdales ou de petites particules solides mal rincées avec l’eau ultra-pure. Pour les deux dernières expériences de resuspension réalisées avec les sédiments des retenues du Massif Central (Queuille 5.3 g/L et Rochebut 4.9 g/L; Tableau III-1), la cuve en verre du réacteur a été remplacée par des bouteilles de mêmes dimensions en HDPE-fluoré, plus inerte que le verre vis à vis de l’adsorption des ETM. Le haut des bouteilles a été découpé pour pouvoir y poser le couvercle du réacteur qui porte les sondes et le moteur relié aux hélices. Pour ces deux expériences de resuspension, la mesure des quantités d’ETM récupérés sur les parois des bouteilles a été réalisée de la même façon que pour la cuve en verre (ci-dessus), par analyse des solutions de rinçage acide avant et après chaque expérience de resuspension. Le volume de ces solutions a cependant été abaissé à 100 mL au lieu de 250 mL.
REMISE EN SUSPENSION
Trois litres d’eau de la retenue filtrée à 0,4 µm sont placés dans la cuve puis l’agitation et l’aération sont mises en marche. L’enregistrement des mesures débute avec des pas de temps de 5 secondes pour le potentiel redox et de 1 minute pour le pH, l’oxygène dissous et la température. Le système s’équilibre pendant quelques heures sous aération et agitation le temps que les sondes se stabilisent et que l’eau qui était conservée en chambre froide se réchauffe à température ambiante. Lorsque les mesures sont stables, un premier prélèvement est réalisé puis une masse de sédiment humide est ajoutée dans la cuve. Le pot de sédiment est ouvert juste avant l’ajout et posé sur une balance. Le sédiment est mélangé rapidement puis la masse voulue est introduite dans la cuve à l’aide d’une spatule simplement en soulevant le couvercle, sans arrêt de l’agitation ni de l’aération ni interruption des mesures par les sondes. Le couvercle est ensuite refermé (Figure III-7). Le pH et le potentiel redox de l’eau porale du sédiment dans le bocal sont mesurés avec les sondes de terrain plongées dans les sédiments. Un peu de sédiment est ensuite réparti dans des pots préalablement pesés, et mis à l’étuve pour le calcul de leur teneur massique en eau. L’heure d’ajout du sédiment est considérée comme le temps t0 de l’expérience. Des prélèvements d’eau dans le bioréacteur sont réalisés avec une seringue en verre pour le DOC et une seringue en plastique pour les autres analyses à 2, 5, 10, 30 minutes puis 1h, 1h30, 2h, 5h, 15h, 24h, 48h, 72h, 96h, 120h et enfin 160h après l’ajout du sédiment (hormis pour les premières expériences qui étaient stoppées à 120h).
CHAPITRE I : INTRODUCTION GÉNÉRALE. |