Changement climatique actuel et questions posées sur le futur
Le climat est un système d’interactions complexes entre atmosphère, hydrosphère, cryosphère et biosphère (IPCC, 2007) qui semble avoir été perturbé par les activités humaines comme l’indique l’augmentation récente de la température, considérée comme anormale (c’est-àdire en dehors d’une gamme et d’un rythme explicable par des causes naturelles seules .
L’élément commun aux compartiments qui interagissent au sein de la machinerie climatique est l’eau qui est l’un de ses rouages essentiels à travers les transferts de matière et d’énergie. Il existe donc un lien très étroit entre climatologie et hydrologie. En d’autres termes, un changement climatique se traduit de manière systématique par un changement dans le cycle hydrologique (IPCC, 2007 ; Dansgaard, 1964 ; Gleixner et Mügler, 2007). Les changements climatiques et hydrologiques ont eu, à travers les temps géologiques, des conséquences majeures sur l’évolution des milieux continentaux (voir par exemple Finney et al., 2002 ; Liu et Yang, 2010) et, au moins durant l’Holocène, des impacts significatifs sur l’évolution des sociétés humaines (i.e. Tinner et al., 2003 ; Turney et al., 2006 ; Magny et al., 2009).
Le changement climatique actuel se traduit par exemple par des extrema de températures (Thomson, 1995 ; Stine et al., 2009) mais également par des modifications de l’humidité des sols et de l’évapotranspiration (Jung et al., 2010 ; Figure 2).
La végétation naturelle n’est, bien entendu, pas la seule pouvant être affectée. Les plantes cultivées sont également impactées puisque d’importantes conséquences sont à prévoir sur les agrosystèmes (Levrault, 2010 ; Rosenzweig et Parry, 1994). Les conséquences d’un changement climatique sur les plantes cultivées pourraient donc directement affecter les sociétés humaines, via des diminutions ou augmentations du rendement, un décalage des dates de récolte… Les mécanismes d’adaptation des sociétés aux changements à venir (via, par exemple, un changement de plantes cultivées ou un décalage des dates de semis et récoltes ; Levrault, 2010) doivent s’inspirer des expériences passées, c’est-à-dire des changements climatiques qui sont survenus dans des temps plus ou moins reculés et des impacts que ces changements ont eu sur les écosystèmes et les populations.
L’étude présentée dans ce manuscrit participe a un effort général qui vise à évaluer l’ampleur des changements climatiques passés et les impacts qu’ils ont pu avoir sur les sociétés humaines anciennes et ceci afin d’anticiper les conséquences du changement climatique actuel et de proposer des solutions d’adaptation (Rosenzweig et Parry, 1994 ; IPCC, 2007). L’approche rétrospective fourni des données qui alimentent et contraignent les modèles numériques afin de simuler in silico les conséquences du changement climatique actuel. Les modèles sont en effet peu documentés pour le milieu continental (Terray et al., 2010), alors que les écosystèmes continentaux concernent au premier plan les sociétés humaines qui les exploitent ou y vivent.
Changement climatique et changement hydrologique
L’eau est un élément clé du système climatique à travers ses diverses propriétés : contribution à l’effet de serre, à l’albédo selon qu’elle est sous forme vapeur/liquide (nuage) ou glace/neige, aux transferts de chaleur, de solutés et de particules (Pierrehumbert, 2002 ; Le Hir et al., 2007). Ainsi, toute modification dans le cycle hydrologique aura un impact sur le cycle climatique et réciproquement. L’exemple le plus marquant d’une variation climatique associée à un changement radical du cycle hydrologique est le concept de « Snowball Earth », en français, la terre boule de neige (Figure 3), qui a été mis en évidence à partir de la présence de sédiments d’origine glaciaire sur tous les endroits du globe il y a quelques 600-700 millions d’année (Hoffman et al., 1998).
Ce type de transition climatique, bien qu’illustrant de manière extrême le lien entre climat et eau, s’est produit à l’échelle des temps géologiques, c’est-à-dire des échelles de temps de plusieurs millions d’années (Pierrehumbert, 2004), temps qui sont imperceptibles à l’échelle d’une génération humaine.
L’Holocène (les 10 derniers milliers d’années) est une période classiquement considérée comme stable d’un point de vue climatique, notamment lorsqu’elle est comparée aux épisodes glaciaires et interglaciaires qui se sont succédés durant le Quaternaire. Ainsi, alors que les différences de température entre périodes glaciaires et interglaciaires peuvent atteindre plus de 15 °C (Berger, 1992), la courbe de température de l’Holocène est remarquablement stable (Figure 4).
L’Holocène a pourtant été ponctué de nombreux évènements climatiques, comme la surprise climatique datant de 8 200 ans, et de variabilités qui semblent plus ou moins périodiques (Broecker, 1997 ; Alley et Agustsdottir, 2005).
Pour les périodes les plus récentes, les climatologues s’accordent à définir des modes de variabilités (moussons africaine et asiatique ; oscillation australe, oscillation nord-Atlantique – NAO) qui sont le jeu d’interactions entre l’océan et l’atmosphère et qui modulent la météorologie et le climat de différentes zones du globe terrestre. Par exemple, la NAO est définie par un indice annuel calculé à partir de différences de pression entre l’Islande et les Açores (voir Hurrell, 1995 ; Figure 5). Elle est également décrite au jour le jour par la distribution des masses d’air en Atlantique Nord. Les modes NAO+ ou NAOvont contrôler la trajectoire des vents d’ouest et donc agir sur la distribution des précipitations en Europe (Hurrell, 1995 ; Cane, 2005).
Les variations d’intensité de la mousson ou les variations de précipitations dues aux oscillations impacteront directement les organismes vivants dans les zones sous influence de la mousson (Holmgren et al., 2001).
Quelques exemples d’interactions passées entre climat et sociétés
A travers tous les continents, les phases de croissance et de déclin des civilisations ont été interprétées comme résultant d’ouvertures et de fermetures de niches écologiques qui ont résulté de modifications de la disponibilité des ressources naturelles (IPCC, 2007 ; Terray et al., 2010 ; Lite et al., 2005) résultant, dans certains cas, de changements climatiques (Binford et al., 1997 ; Yasuda et al., 2004 ; Terwilliger et al., 2012 ; IPCC, 2007 ; Terray et al., 2010 ; Lite et al., 2005). Deux civilisations se développant sur un même site seront ainsi en concurrence pour les ressources de la même façon que les autres espèces vivantes. Un des cas les plus marquants de civilisations en concurrence est celui de l’île de Pâques. Cette île située dans le Pacifique, a subi une première colonisation pendant le premier millénaire (colonisation polynésienne) avant une colonisation européenne lors du 18ème siècle (découverte par les européens le 5 avril 1722). Cette île étant isolée, les ressources disponibles pour les populations sont restreintes et les différentes civilisations sont en concurrence pour ses ressources (Mann et al., 2008). Avant l’apparition des Hommes-Oiseaux sur cette île (à partir du 14ème et jusqu’au 18ème siècle), une période de sécheresse affecta la disponibilité des ressources naturelles, en particulier le bois, avec des arbres se raréfiant du fait d’un mauvais renouvellement et d’une exploitation par l’homme afin de construire des bâtiments. Afin de ne plus surexploiter les ressources de l’île, il fut décidé d’allouer principalement les ressources à un clan. Une compétition fut ainsi mise en place qui voyait s’affronter des représentants des différentes tribus et dont le vainqueur était désigné HommeOiseau. Le clan du vainqueur se voyait allouer l’utilisation des ressources environnementales (œuf d’oiseaux, bois et terres arables) jusqu’à la prochaine compétition. Cependant ce procédé n’a pas empêché le déclin de la civilisation de l’île de Pâques. La question est donc de savoir si ce déclin résulte d’une réduction des ressources naturelles du fait d’un changement climatique (Mieth et Bork, 2010 ; Mann et al., 2008) ou d’un épuisement des ressources naturelles par les activités humaines (Mieth et Bork, 2010).
En Ethiopie, Terwilliger et al. (2012) ont montré une corrélation entre des phases de changements hydrologiques et les crises sociétales telles que les phases de déclin des Royaumes. Ces mêmes types de corrélation ont pu être mis en évidence en Chine, avec les travaux de Zhang et al. (2006) qui ont montré que les variations d’intensité de la mousson d’été sont corrélées à la variabilité solaire, aux températures de l’hémisphère Nord et de Chine, au retrait des glaciers, mais aussi aux changements des dynasties chinoises (Figure 6). La plupart des changements de dynastie sont survenus lors de périodes de sécheresse et/ou d’intensité de moussons moins importantes telles que retranscrites dans une stalagmite par des valeurs de δ¹⁸ O qui augmentent.
CHAPITRE I – INTRODUCTION |