Champ d’application de la loi
Hormis son article 2, alinéa 1, qui précise que l’opération visée par le législateur doit nécessairement « s’inscrire dans le rachat d’un emprunt ou d’une créance sur un État », la loi de 2015 contient très peu de précisions quant à son champ d’application. Sur cette base,
certains en ont conclu, à tort selon nous, que la loi visait tous les engagements souscrits par un État On ne saurait partager cette analyse, les travaux préparatoires sont d’ailleurs très clairs à cet égard.
En effet, ceux-ci précisent que pour qu’« un rachat de créance sur un État endetté soit concerné, il faut que d’autres circonstances s’ajoutent pour que l’opération apparaisse condamnable ». Ainsi, l’ensemble des établissements financiers dont le comportement diffère des fonds vautours, en ce sens qu’ils agissent de bonne foi sur les marchés financiers, sont exclus de son champ d’application.
De plus, il ne fait aucun doute que le législateur n’a pas voulu viser les créances acquises par les créanciers originaires sur le marché primaire de la dette.
Enfin, seules les actions en justice qui auront été introduites dix jours après la publication de la loi au Moniteur belge rentrent dans son champ d’application rationetemporis. Il faut donc prendre en compte la date à laquelle les fonds vautours ont introduit leur requête en justice et non pas celle à laquelle ils ont acquis leurs créances
Une loi conforme au droit de l’Union européenne ?
Le législateur belge a entendu depuis quelques années s’engager dans la lutte contre les fonds vautours. Il a ainsi choisi de développer un ordre juridique qui prenne en compte l’exigence de l’intérêt général, ayant estimé qu’il était temps de mettre un terme au comportement immoral des fonds vautours sur les marchés financiers et ce, afin de garantir les perspectives de développement des populations les plus défavorisées Néanmoins, un tel choix, qui semble dicté par des considérations d’ordre purement moral et qui restreint considérablement le droit des créanciers, est-il conforme aux instruments européens, en particulier au droit de propriété garanti par la Convention européenne des droits de l’homme (ci-après « Convention ») et au règlement 1215/2012 « concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale »(ci-après « règlement Bruxelles Ibis ») ? Afin de répondre à cette question, nous nous baserons sur les principes d’interprétation qui ont été dégagés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après« CEDH ») en matière de droit de propriété.
Par ailleurs, il conviendra de s’interroger sur la conformité de la loi avec le règlement Bruxelles Ibis et l’interprétation qui en est faite par la Cour de justice de l’Union européenne (ci-après « CJUE »).
Le droit de propriété
L’invocation d’une violation de l’article 1 du Protocole n°1 de la Convention suppose une ingérence qui porte atteinte aux « biens » d’une personne (ou d’une catégorie de personnes). La première étape de l’analyse consistera donc à s’interroger sur le champ d’application de la notion de « bien » au sens de la Convention.