CESAR ET L’AFRIQUE DE 49 A 44 AVANT J. C
La Position géostratégique de l’Afrique du Nord
L’aspect géographique de l’Afrique du Nord a varié selon les époques. Strabon est, de tous les géographes anciens, celui qui en a le mieux déterminé les bornes, en les indiquant à l’époque de leur plus grande étendue. Nous avons dans la Numidie « les deux royaumes des Massyliens et des Massésyliens. Le premier royaume se termine à la Tusca, à l’est, et le second à la rivière Molochat, à l’Ouest ; au nord de la Méditerranée. Au sud de la Gétulie ; les derniers sommets de l’Atlas et la région des sables, en complètent les limites41 ». Par conséquent, à une époque, surtout du temps de sa grandeur, la Numidie regroupait toute la partie occidentale de la Maurétanie, la plus grande partie du territoire africain de Carthage qu’elle s’était annexée mais également la meilleure partie de la fertile région des côtes septentrionales du continent. Selon Salluste dans la division du globe terrestre, on fait généralement de l’Afrique la troisième partie du monde ; quelques auteurs n’en comptent que deux, l’Asie et l’Europe, et rattachant l’Afrique à cette dernière. Elle a pour limites à l’Ouest le détroit qui unit notre mer à l’Océan42, à l’Est un large plateau incliné, que les habitants nomment Catabathmos43. À part les Libyens et les Gétules, on trouva en Afrique du Nord les Phéniciens, les uns pour décharger leur pays d’un surpeuplement, d’autres pour venir faire la conquête, rangeant de leur côté la plèbe et les gens avides de gloires. Ils fondèrent sur la côte d’Hippone (Confer Salluste, Jugurtha, XVII), Hadrumète (Confer Salluste, Jugurtha, XVII), Leptis, et d’autres villes beaucoup plus prospères . Les autres régions jusqu’à la Maurétanie sont occupées par les Numides ; les plus près de l’Espagne sont les Maures. Au-dessus de la Numidie se trouvent, dit-on, les Gétules, qui vivaient les uns dans des huttes, les autres, plus barbares, en nomades ; derrière eux, les Éthiopiens48. Ce sont des régions embrassées par le soleil. Théodore Mommsen, dans son Fondation plus ancienne que Carthage, aujourd’hui Sousse, en Tunisie méridionale. Confer Salluste, Jugurtha, XVII-XVIII. 46Salluste, Jugurtha, XVII. Deux villes portaient ce noms, Leptis minor au sud d’Hadrumète, aujourd’hui Lempta, et Leptis magna, aujourd’hui Lebda. 47Salluste, Jugurtha, XIX. 48Salluste, Jugurtha, XX. 18 ouvrage intitulé Histoire romaine, délimitait le royaume numide « du fleuve Molochat à la grande Syrte49 ». L’emplacement de Cirta offre de grands avantages, les environs sont bien arrogés, la végétation riche et variée et elle « se trouve dans une presqu’ile50 ». De nos jours, la ville de Cirta est assimilée, par les modernes, à Constantine. Parmi les autres villes de l’Afrique du Nord, d’autres comme Rusicada ont conservé jusqu’aujourd’hui quelque importance, « Rusicada connue présentement sous le nom de Stora, près de laquelle est le nouveau port de Philippeville ; Hippo-Regius aujourd’hui Bône ; Collops Magnus ou Collo51 ». L’Afrique protohistorique ou l’Afrique romaine52 est traditionnellement vue comme dénuée d’unité, déchirée par de continuelles guerres entre ses peuples d’une part et contre Rome d’autre part. Selon Gilbert-Charles Picard, l’Afrique romaine serait une œuvre des politiciens romains. Sa frontière politique s’avance, surtout dans l’est de la Berbérie, jusqu’aux marges du Sahara ; mais remonte sensiblement vers le nord au-delà de l’Aurès, et se tient dès lors parallèle à la côte, à une distance qui ne dépasse pas 150 kilomètres53 . Les guerres contre l’Afrique du Nord avaient au moins permis aux Romains de constater que l’Afrique était tout autre qu’un pays désolé par la fièvre et la soif. Néanmoins, il n’y a pas eu de changements fondamentaux dans l’attitude des gouvernants romains à son égard, ni de volonté manifeste de la conquérir. L’intérêt que comporte la conquête romaine est qu’elle a, pour plusieurs siècles présidés à « la destinée du monde méditerranéen ». En effet, l’isolement de l’occident méditerranéen avec une population individualiste vouée à « une vie moins rudimentaire et cloisonnée » ne sera définitivement absout qu’avec Rome et par ses conquêtes. C’est ainsi qu’elle va assurer une intégration de ces peuples épars à une communauté plus vaste en vue de satisfaire « aux conditions élémentaires d’une unité méditerranéenne ». Selon St. Gsell la contrée dont nous proposons d’étudier l’histoire ancienne, « s’étend au Nord, entre le détroit de Gibraltar et l’extrémité Nord-est de la Tunisie, au Sud, entre 49Th. Mommsen, op. cit., p. 807. 50M. L. Lacroix, in « Histoire de la Numidie et de la Maurétanie », in Dureau de La Malle et alii (dir.), Afrique ancienne, Paris, Firmin-Didot, 1922, p. 5. 51M. Lacroix, op. cit., p. 5.. 52L’Afrique romaine ressemble à la Tchécoslovaquie actuelle, elle a la forme d’un dauphin, mais ce qui représente la tête est tourné vers l’est. À l’intérieur de cette zone, des lignes de forts jalonnent les limites des réserves où se perpétuaient des modes de vie archaïques. Elle est un Maghreb arabisé où l’on retrouve les dialectes et les mœurs berbères, confer E. Albertini, op. cit., p. 10. 53Gilbert Charles-Picard, La civilisation de l’Afrique romaine, Paris, Plon, p. 3. 19 l’Anti-Atlas et le golfe de Gabès ». Nous utilisons pour la désigner le terme conventionnel d’Afrique du Nord ; on l’a aussi nommé la Berbérie ou Afrique Mineure. Nous y joindrons, comme une sorte d’annexe, le littoral du fond des Syrtes. Dans l’Antiquité, cette lisière du Sahara a été rattachée à l’État carthaginois, puis à l’Afrique romaine54 . Il ajoute : « Vaste quadrilatère, baigné par la mer à l’Ouest, au Nord et à l’Est, bordé par le désert, au Midi, l’Afrique du Nord est isolée comme une ile. Les Arabes l’appelèrent l’île de l’Occident55 ». C’est cet isolement qui fait son unité. Elle est composée d’un ensemble de régions disparates56. Au Sud, une longue dépression qui fut un détroit à l’époque miocène comme l’a dit Gentil), orienté de l’Est à l’Ouest, établit une communication facile entre l’Algérie et la côte atlantique57 . En Afrique du Nord antique, nous notons l’existence d’excellentes terres pour la culture des céréales, des pluies abondantes et un élevage prospère. Ces avantages des régions d’Afrique attiraient les Romains qui cherchaient de quoi nourrir sa population. C’est ce que Stéphane Gsell nous dit en ces termes : Le long des côtes sur une profondeur majeure de 70 kilomètres, cette région est suffisamment arrosée par des pluies qu’amène le vent d’Ouest. Il y a là d’excellentes terres, surtout les sols noirs auxquels on a donné le nom indigène de tirs et dont l’origine est encore très discutée. Cette partie dépourvue d’arbres est très propice à la culture des céréales ; elle offre aussi de riches pâturages au gros bétail ; chevaux et bœufs. À l’Est de la grande Kabylie et jusqu’à Bône, la Méditerranée est bordée presque partout par des massifs. Cette région élevée et bien exposée aux vents humides, les pluies entretiennent de belles prairies et des vergers prospères autour de nombreuses sources58 . Une double ouverture sur l’Océan Atlantique et la Méditerranée, sa proximité des civilisations sud-européennes et moyen-orientales lui ont valu dès l’Antiquité, une originalité indéniable, qu’elle devait à l’attachante personnalité de sa population autochtone. À l’ouest de l’Afrique du Nord, des rivages de l’Atlantique jusqu’au fleuve Ampsaga, le long d’une étroite bande dont la largeur dépassait rarement 100 km vivaient plusieurs peuples ou tribut que l’on a habitude d’appeler les « Maures59 », Maurisiiou Mauri, d’où le terme Mauritania pour 54St. Gsell, op. cit, tome 1, p. 5. 55Djezerat ci Maghrith. 56Elisée Reclus, Nouvelle géographie universelle, tome 8, 1880. 57St. Gsell, op. cit., tome 1, p. 5. 58 Id. Ibid, p. 6-10. 59Salluste, Jugurtha, XX. 20 désigner les contrées africaines les plus proches de l’Espagne. Cette partie de l’Afrique du Nord est appelée la Berbérie occidentale et centrale. Quant à la Berbérie orientale ou Africa, elle se situe au-delà de l’Ampsaga et jusqu’à l’autel des Philènes à l’est, dans la région des Syrtes. L’occupation romaine remontait pour une partie de cette province, à 146 av. J.-C. On y rencontre quatre types principaux de Berbères : – Les sédentaires, habitant non seulement les plaines côtières et les collines, mais aussi certains massifs montagneux (haut Atlas, Rif tellien, Aurès et Dorsales tunisiennes) ; – Les grands nomades des lisières septentrionales du Sahara ; – Les semi-nomades de la Tunisie centrale et méridionale ; – Les transhumants du haut et du moyen Atlas et de l’Aurès60 . La Berbérie appartient à la Méditerranée occidentale. C’est avec les deux péninsules européennes qui s’avancent vers elle, l’Italie et l’Espagne, qu’elle a eu les relations les plus nombreuses et les plus étroites. Les anciens la plaçaient en Europe61 . Les sources, nombreuses à la lisière des plaines, permettent la création de beaux jardins. Tlemcen, admirablement située à plus de 800 mètres d’altitude, tournée vers la mer, dont elle reçoit les brises rafraichissantes, défendue des vents brillants du sud par le vaste talus auquel elle est adossée, s’appelait à l’époque romaine Pomaria (les Vergers), et ce nom serait encore très justifié. Sur les gradins, il y a des forêts étendus, mais clairsemés ; quelques zones marneuses qui sont propres à l’agriculture62. L’Afrique du Nord est isolée au sud du centre du continent par un immense désert, qui existe depuis de longs siècles. L’Afrique du Nord fut soudée jadis à l’Europe. Le détroit de Gibraltar ne date que du début de l’époque pliocène63 . La Tunisie a peut-être été reliée à l’Italie pendant une partie de l’époque quaternaire, dans des temps où ces deux contrées pouvaient être déjà habitées par des hommes.
Relations entre Rome et l’Afrique avant César
À partir de 123 avant J.-C., l’Afrique se trouva prise dans la tourmente de désordres provoqués par la politique romaine, des guerres civiles et des guerres étrangères76 .Avant que César ne décide d’implanter une province romaine en Afrique, les Africains eux-mêmes étaient en rapport avec les Romains77. Ceci veut dire qu’avant l’arrivée de Jules César en Afrique, il y avait de fortes relations entre les Africains et la République romaine. 1-De Massinissa à Jugurtha Pendant le deuxième siècle av. J.-C., Rome entretenaient des relations étroites avec la province d’Africa surtout sur le plan militaire et économique. Pendant la troisième guerre punique, Utique combattait dans le camp romain78 alors que cette guerre opposait Romains et l’Afrique du Nord. Alors durant cette guerre, le roi des Numides Massinissa obtint une alliance avec les Romains par l’intermédiaire du général romain P. Scipion79. Ses talents dans l’armée l’on rendu célèbre et il était d’une grande importance pour la victoire romaine sur les Carthaginois. Alors en récompense, après la défaite de Carthage et la capture de Syphax, le peuple romain donna au roi allié tous les territoires et villes qu’il avait conquis de sa propre main. Ces relations entre Romains et Africains étaient devenues plus intenses au milieu du deuxième siècle av. J.-C. Ainsi, « le roi numide Massinissa avait tenté par tous les moyens d’étendre son territoire aux dépens des Carthaginois, vaincus de la deuxième guerre punique80 » ; alors il avait plus que jamais besoin d’une alliance avec les Romains pour réaliser son rêve. En 148, il mourut et demanda à Scipion de régler les affaires de la Numidie dans son testament81. Par la suite, son fils Micipsa régna seul de 148 à 118 lorsque la maladie emporta ses deux frères cadets Mastanabal et Gulussa. Il continua la politique de son père et resta fidèle à l’alliance avec les Romains en laissant les marchands italiens se répandirent dans son pays82. Pendant le siège de Numance, Rome demanda aide au roi. Micipsa envoya Jugurtha. En réalité c’était dans l’intention de le faire tuer, mais ce dernier s’était rendu célèbre pour ses exploits durant la guerre. À la suite de la prise de Numance, Scipion renvoya ses auxiliaires. Toutefois, il continua à garder le corps des Numides en témoignant hautement sa satisfaction83. Il donna une lettre à Jugurtha pour Micipsa où il dit : « Ton cher Jugurtha a montré dans la guerre de Numance une valeur sans égal ; chose qui j’en suis sûr, te réjouira. Ses mérites nous l’ont rendu cher, et nous travaillerons de toutes nos forces à partager nos sentiments au Sénat et au peuple romain. Pour toi, je te félicite au nom de notre amitié. Tu as là un homme digne de toi et de son grand-père Massinissa84 ». Cette lettre loin de combler Micipsa de bonheur augmenta ses craintes sur son neveu. Mais il n’y avait plus de doute, il fallait dès lors considérer ce Jugurtha comme son propre fils pour éviter le soulèvement de la population numide, car par ses qualités personnelles et son habile conduite, il s’était rendu cher aux Numides et aux Romains85. Après la guerre, Micipsa traita Jugurtha à l’égal de ses propres enfants et sur son lit de mort, il convoqua ses amis, ses parents et ses deux fils. Devant cette assemblée, il dit à Jugurtha et à ses deux fils de vivre en paix et venaient toujours en aide si l’un d’entre eux en avait besoin. Il pria Jugurtha de prendre soin de ses cousins, en lui faisant savoir qu’il n’avait rien de plus solide que les liens du sang. Mais dès la mort du roi, sa famille était accablée de tous les maux qu’il avait prévus86 . À sa mort en 118, Micipsa laissa deux fils, Adherbal et Hiempsal I87 à qui il aurait souhaité de réserver la succession toute entière du trône de la Numidie « écartant ainsi les autres princes de la famille de Massinissa88 ». Mais il dut se résigner à prendre sa décision autrement. Son frère Mastanabal avait deux fils, Gauda, né d’une épouse légitime89 et Jugurtha issu d’une concubine90 et de ce fait non qualifié pour accéder au trône. Ainsi Hiempsal dit que Jugurtha ne devait pas être roi car il était né d’une concubine et que le royaume avait été partagé entre lui et son frère depuis 83 ans. Ces mots blessèrent profondément Jugurtha, rongé de colère et de honte, il prépara une vengeance à l’endroit de celui qui l’a offensé. Pendant que les notables négociaient pour réconcilier les deux frères, 83 Y. Le Bohec, op. cit., p. 39. 84Salluste, Jugurtha, IX. 85Y. Le Bohec, op. cit., p. 39. 86Ibidem. 87Salluste, Jugurtha, V. 88St. Gsell, op. cit., tome 7, p. 138. 89Salluste, Jugurtha, LXV. 90Ibidem. 25 Jugurtha envoya un assassin qui tua Hiempsal91 . Voici ce qu’a dit Salluste : « Les soldats de Jugurtha cherchèrent Hiempsal I qui se cacha dans une case d’esclave. Ils finirent par le trouver et rapportèrent sa tête à Jugurtha92 ». La nouvelle de ce meurtre se répandit rapidement dans toute l’Afrique93. Adherbal et les anciens sujets de Micipsa se sentaient de plus en plus menacés par les avancées de Jugurtha94. La Numidie se divisa en deux parties. Le plus grand nombre des Numides fut déclaré pour Adherbal mais Jugurtha possédait les meilleurs soldats. Jugurtha commença à assiéger la ville et se veut seul roi de toute la Numidie. Adherbal députa des gens de son parti à Rome pour l’instruire du meurtre de son frère mais aussi de la situation dans laquelle il se trouvait. Au premier combat, Adherbal vaincu, se réfugia dans la province d’Africa et par là passa à Rome.
Les relations entre Rome et l’Afrique durant la première guerre civile
Définition de la guerre civile
Nous distinguons trois guerres civiles dans l’histoire romaine : la première guerre civile entre Sylla et Marius (88-82 av. J.-C.), la deuxième guerre civile entre César et Pompée (49-45 av. J.-C.) et la troisième guerre civile entre Antoine et Octave. La guerre civile est un des maux du monde Antique. On parle de guerre civile lorsqu’il y a un conflit interne et mettant aux prises une partie de la population contre l’autre. La guerre civile est la situation qui existe lorsqu’au sein d’un même État, une lutte armée oppose les forces régulières à des groupes armés identifiables, ou des groupes armés entre eux, dans des combats dont l’importance et l’intensité dépassent la simple révolte ou l’insurrection. Pour qu’une guerre soit considérée comme civile, il faut que les hostilités atteignent un certain degré d’intensité et se prolongent pendant un certain temps. Ce sont ces deux critères qui permettent de distinguer la guerre civile des « troubles intérieurs » qui peuvent se caractériser par des actes de violence similaires mais qui ne représentent pas les particularités d’un conflit armé113 . À Rome, les guerres civiles remontaient au deuxième siècle de la République avec l’opposition entre optimates et populares mais surtout, l’assassinat en 133 d’un des frères Gracques qui instaura l’irruption claire de la violence dans la République. À cela s’ajoutent les conflits pour le pouvoir entre les grands généraux ou imperatores. En d’autres termes, « les guerres civiles de la République romaine sont le fait d’hommes de premier plan, que leurs ambitions et leur idéologie ont conduit à se dresser l’un contre l’autre et qui entretenaient avec eux leur armées et leurs clients 114». Pour Appien, les guerres civiles commencent à Rome avec le conflit opposant Marius115 à Sylla116 entre 88 et 82. Dès lors, le principe selon lequel la République était une et tous veillaient sur elle et il n’y avait de ligue que contre les ennemis de Rome et chaque personne de la société employait ses talents et ses forces pour la patrie et non pour ses ambitions personnelles disparaît117. Ces dissensions qui mettaient en opposition des citoyens romains étaient condamnées par ces derniers car ils les considéraient comme « impies » et immorales118 . La guerre civile est un état de chose en vertu duquel chaque belligérant groupe autour de lui des partisans liés à lui par un serment individuel119 et recrutés parmi ses clients ou ses vétérans, tient évidemment à la nature de la société romaine et, en particulier, au fait que les chefs adverses, comme la majeure partie de leurs officiers, appartiennent tous au cercle étroit de la noblesse romaine120. Ainsi, quelque meurtrière et acharnée que soit la guerre civile, elle n’en prend pas moins sa source dans des jalousies, des brouilles individuelles, des rivalités de personnes, toujours susceptibles de raccommodements. La lutte est provoquée et entretenue dans bien des cas par une « dignitatis contentio », une « gloriae contentio » où ni l’un ni l’autre des chefs en présence ne veut céder121 . La guerre civile est une guerre impie et injuste selon les Patres. Elle est vivement condamnée dans l’antiquité romaine. C’est dans cette optique, que Lucain dit : « Nous chantons des guerres plus que civiles dans les champs de l’Émathie, le crime devenu un droit, un peuple puissant tournant son bras victorieux contre ses propres entrailles, deux armées de même sang, et, rompant l’unité de l’Empire, toutes les forces de l’univers ébranlées en lutte pour un commun forfait, les enseignes se heurtent à des enseignes hostiles, des aigles aux prises, et les pilums menaçant les pilums122 ». Les modernes nous dit Paul Jal, semblent avoir d’autant moins, pendant longtemps, donné une signification précise de la guerre civile que celle-ci n’avait pas d’existence juridique à leurs yeux. Longtemps, la guerre civile est restée en dehors des études des juristes, écrit A. Rougier, parce que le droit international ne s’intéressait qu’à des personnes ou à des États souverains. La lutte armée entre eux fut appelée guerre internationale ou guerre tout court123 . 117Salluste, Lettres à Jules César, Historiens de la République, Paris, Gallimard, 1968, I, 10. 118J. C Fredouille, Dictionnaire de la civilisation romaine, Sv : la guerre civile. A. Rougier note d’ailleurs que les premières définitions données, aux XVIIIème et XIXème siècles, de la guerre civile notamment celle qui en fait une ‘‘guerre entre les membres d’un même État’’ sont injustes ; l’un des belligérants en présence est (en effet) toujours un État125 ; sinon, c’est une simple opération de police… Le juriste moderne compte pour sa part quatre sortes de guerres civiles : les guerres civiles sociales, les guerres civiles politiques, la guerre civile religieuse et les guerres civiles de races126 . Si on suit A. Rougier les guerres civiles sociales opposaient deux fractions d’une même société. Les guerres civiles religieuses opposaient deux confréries d’un même peuple, celles politiques mettaient aux prises deux partis politiques et enfin les guerres civiles de races mettaient en conflit deux ethnies d’un même pays. Paul Jal indique aussi que : « La guerre civile est dépourvue d’honneurs officiels. Elle est inutile, ne donne aucune récompense, ni triomphe au vainqueur, car il a versé durant les combats le sang de ses frères. Une victoire dépourvue de triomphes, de ‘‘supplications’’ et d’acclamations impériales : on sait qu’en principe le ‘‘ius triumphandi’’ (le droit de triomphe), minutieusement règlementé à Rome, était refusé aux vainqueurs des guerres civiles. Ceux-ci [Cicéron127, Plutarque128 et Dion Cassius129 le soulignent à propos de Pharsale-] : n‘osent même pas, après leur succès envoyer à Rome le traditionnel rapport au Sénat ; ni demander par lettre des supplications130 ». Il ajoute : « À plus forte raison, ces guerres sont, comme l’écrit Lucain des ‘‘bella nullos habitura triumphos131’’, c’est-à-dire ce sont des guerres dépourvues de triomphes. Valère Maxime132 donne sur ce point des indications précieuses : si éclatants et avantageux pour la République que fussent les succès d’un général dans une guerre civile, déclare-t-il, ils ne lui ont pas valu le titre d’imperator’’, ni le vote de ‘‘supplications’’, ni le char de triomphe : c’est que de telles victoires, quelque nécessaires qu’elles fussent, ont toujours semblé lugubres, parce qu’elles étaient acquises au prix du sang des citoyens, non du sang étranger ». Les guerres civiles allaient en porte à faux avec les valeurs traditionnelles de Rome et ne méritaient que l’oubli. La guerre civile ne constituait qu’une honte pour les Romains et non une gloire militaire d’après l’analyse de nos sources. b- Les relations En 88, Sylla et Marius qui se disputaient le commandement de la guerre contre Mithridate, étaient arrivés à déclencher une guerre civile à Rome. Sylla réussit à soumettre Rome et proscrit Marius et onze de ses partisans134. Toutefois, la guerre se prolongea jusqu’en 80 et Pompée après avoir soumis la Sicile, se rendit en Afrique pour stopper les Marianistes qui s’y rassemblèrent. C’est ainsi que l’Afrique intervint dans le conflit entre Marius et Sylla. Marius s’était alors enfui en Afrique du Nord où il espérait l’aide de Hiempsal II, roi de la Numidie. Mais Hiempsal était acquis à la cause de Sylla par l’intermédiaire du gouverneur de la province d’Afrique. Sylla partit pour la guerre contre Mithridate. À ce moment, on était loin de la paix à Rome. Les deux partis se querellèrent soit par intérêt soit pour défendre la République romaine. La guerre éclata à la suite d’un malentendu entre les deux consuls, Cinna et Cn. Octavius en 87 av. J.-C. Cinna avait décidé sans consulter Octavius de rappeler tous les bannis y compris Marius et ses compagnons. Octavius s’y opposa et la bataille s’engagea entre les deux consuls. Rome était encore plongée dans la guerre. La nouvelle de cette guerre était parvenue à Marius, il recruta en Afrique du Nord des cavaliers maures135, qu’il joignit à ses vétérans établis en Numidie à la suite de sa victoire en 105 sur Jugurtha. Il débarqua à Rome où il apporta son aide à Cinna. Octavius et ses partisans furent vaincus et le 1er Janvier 86 Cinna et Marius prirent possession du consulat. Marius était alors élu consul pour la septième fois . Les Romains savaient désormais que pour ses guerres civiles, les Africains pouvaient apporter une aide non négligeable. Ces informations montrent qu’à partir du deuxième siècle de la République romaine, les Africains ne restèrent jamais neutres dans les conflits qui opposèrent les Romains. 134J. En 85, Sylla termina avec gloire la guerre contre Mithridate. « Il ne pensait » dit Carcopino qu’à l’Italie, à écarter du pouvoir les démocrates qui s’en étaient emparés après lui un pouvoir suprême que lui-même voulait conquérir138. Il débarqua à Rome en 83, la menace d’une guerre inévitable planait sur Rome. En 82 éclata la première guerre civile entre Syllaniens et Marianistes. Ces derniers perdirent la partie, leur chef Domitius s’enfuit en Numidie. Comptant sur l’aide des Numides pour revenir en force à Rome. Il s’allia à un certain Hierbas aspirant au pouvoir en Numidie et le poussa à détourner Hiempsal II, père de Juba139 vers son camp. Il mit ainsi au pouvoir celui dont il pouvait espérer le soutien pour la guerre. Mais son plan devrait être déjoué par Sylla140 . En 81, Sylla dépêcha Pompée en Afrique pour neutraliser le groupe des démocrates. Pompée réussit à vaincre les démocrates et remit Hiempsal II sur son trône141. À ce moment, la Numidie représentait une force à laquelle les deux partis tenaient compte lors de leurs luttes armées. Les chefs des partis romains se souciaient toujours de l’apport de la force numide pendant leurs conflits, ce qui est à l’origine des alliances avec les différentes factions de l’Afrique du Nord. Alors si la puissance numide était si importante, il n’est pas inutile d’en faire une estimation. Dans l’armée de la Numidie comme dans celle des Maures, il y avait un groupe composé de troupes permanentes qui formaient la garde des rois, faisaient la police du royaume et fournissaient les auxiliaires qu’ils mettaient au service de Rome quand elle en avait besoin. À ce groupe s’ajoutait la masse des contingents mobilisés quand éclatait une guerre et licenciés aussitôt après les batailles142 . En somme, nous pouvons dire que la Numidie représentait une force dont les deux partis tenaient compte lors de leurs luttes armées. En effet, aussi bien le parti aristocratique, que le parti démocrate étaient conscients de l’importance de cette puissance numide et du rôle qu’elle pouvait jouer dans leurs luttes. D’après plusieurs informations recueillies au cours de nos lectures, nous pouvons en déduire que durant la première guerre civile les Africains ne restèrent pas neutres. Chaque parti romain comptant sur un allié en Afrique du Nord pour espérer une victoire à la fin de la guerre et ce phénomène de relations entre les généraux romains et les rois africains continua sous César.
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