Centralités urbaines et concentrations de commerces

Quelle richesse, quelle diversité, peut renfermer une ville ! Qu’il s’agisse du Paris natal de Julien Green magnifié dans un essai qui devient éloge , où de toute autre ville, nous sommes toujours aux prises avec cet envahissement de sensations qui font de la ville un espace qui se définit par sa complexité. C’est toute cette nébuleuse inextricable de composantes qui forge ce que l’on nomme urbanité.

Complexe, l’espace urbain l’est assurément en raison des nombreux éléments qui le composent, des maints pôles qui le structurent, des multiples activités qui s’y trouvent. Espace de l’humain, de l’artificiel diront d’autres, poussé à l’extrême, la ville ne peut chercher son identité qu’à travers cette humanité. « Une ville n’existe [donc] que par les activités humaines qui la traversent », pour reprendre les mots de l’architecte Ricardo Bofill .

Ces activités humaines, c’est ce qu’on recouvre communément sous l’appellation de « fonctions urbaines ». La ville est tout à la fois agrégat et interrelations fonctionnels. Une fonction seule ne peut suffire à faire la ville, toutes participant à la centralité de l’ensemble urbain. En dépit de cet enchevêtrement des fonctions urbaines, les études s’intéressant plus particulièrement à l’une d’entre-elles sont pléthore.

Ce que nous vous proposons dans cette thèse, c’est un travail d’approche consacré à une fonction urbaine, mais en cherchant à ce que les logiques internes décelées ne nous fassent pas oublier les interactions avec les autres fonctions urbaines.

Ce n’est pas la fonction en elle-même, prise de façon abstraite, qui va nous intéresser au premier chef : c’est avant tout sa matérialisation en des lieux dans la ville où elle semble plus présente. Il va s’agir pour nous de connaître la place et le rôle de la concentration de commerces dans la ville, eu égard à la centralité qu’elle génère.

Une étude du commerce de détail
Parmi ces activités, l’activité commerciale est en effet l’une des plus marquantes. Les commerces font de la ville tout à la fois un espace de vie, un espace économique, un espace de sociabilité. Les commerces font aussi de la ville un pôle d’attraction incontournable pour les résidents des campagnes environnantes, voire des villes moins bien équipées sur ce plan. La ville est un marché permanent qui draine un large espace, qui définit au mieux ce qui correspond à la zone d’influence globale urbaine. Est-ce un hasard si les villes réputées comme étant les plus en crise sont aussi souvent celles où la densité commerciale est la plus faible ? Mais, si le commerce est incontournable dans l’approche de l’urbanité, même si la ville avant tout est une concentration commerciale, elle ne peut se résumer à cela. D’autres fonctions, d’autres activités, d’autres forces, forgent sa spécificité, son identité. Ainsi, si nous partons du constat de l’importance de la fonction commerciale, nous ne pouvons néanmoins affirmer d’emblée sous aucun prétexte qu’elle serait quelque élément fédérateur qui en ferait le concentré d’urbanité par excellence. La ville ne se résume pas à une simple place marchande, aussi important cet aspect soit-il. Le commerce n’est qu’un élément parmi d’autres de cette nébuleuse de l’urbanité dont nous parlions précédemment. Par ailleurs, s’il est incontestable que la fonction commerciale a son importance pour caractériser le fait urbain, il l’est non moins qu’elle n’est pas uniformément répartie à l’échelon intraurbain. Des lieux dans la ville accueillent plus de magasins ; ce sont ces espaces particuliers que nous qualifierons par la suite de concentrations de commerces. S’intéresser à ces dernières signifie pour nous un changement d’échelle : d’une fonction qui contribue à la puissance urbaine, nous passons à une fonction qui répond à des logiques de ségrégation intra-urbaines, à l’émergence de lieux centraux dans la ville. La ville est espace de centralités, mais, pour nous, tout au long de cette thèse, elle est surtout espaces de centralités. Précisons que dans le cadre de notre recherche nous limiterons nos investigations au commerce de détail. Sous cette appellation nous retenons toute activité marchande sédentaire destinée aux particuliers. De fait, vente par correspondance ou en ligne d’une part, commerces itinérants et autres marchés d’autre part, ne font pas partie intégrante de notre étude. En revanche, seront pris en compte tant les services marchands ayant pignon sur rue que les commerces, l’entité marchande localisable étant notre unité d’étude.

Une étude cadrée
Notre travaillerons à l’échelle intra-urbaine. Il ne s’agit pas de voir en quoi les concentrations de commerces participent à l’urbanité globale. Il ne s’agit pas non plus de voir en quoi le commerce participe à l’image et à l’assise de la ville sur son hinterland ou vis-à-vis des autres polarités urbaines. Dès lors, il va plus s’agir de définir des lieux marchands dans la ville et de s’intéresser aux polarités qui structurent la ville et ses quartiers. De même, nous ne considérerons pas non plus les relations qui s’établissent entre la fonction commerciale et les autres fonctions urbaines prises individuellement. Ces dernières participent au cadre global du commerce de détail qui lui seul nous intéressera. Nous chercherons plus en effet à dégager les constantes dans les rapports de la fonction commerciale aux autres fonctions, qu’à extraire systématiquement des éléments spécifiques à chacune de ces fonctions. L’analyse exhaustive de la diversité de ces dernières nous éloignerait de nos buts initiaux. Envisager concentrations de commerces et centralités urbaines, c’est étudier une centralité parmi d’autres, à travers les lieux qu’elle induit. Nous devrons illustrer notre propos par l’examen de cas. Nous préférons, et nous devrons justifier ce choix, choisir un nombre restreint de sites d’étude urbains. En effet, notre étude ne saurait dissocier théorie et étude de cas, les hypothèses émises devant être validées par l’examen de situations concrètes. Le site d’étude doit tout à la fois être support d’observation en amont de la réflexion théorique, et cadre d’application des outils de mesure de la centralité marchande que nous devrons développer.

Synopsis
Cette étude va dès lors suivre un cheminement logique censé au mieux coller à cette objectif :
1. Dans le livre premier du présent ouvrage, intitulé « La centralité commerciale. Plurielle parmi d’autres », il faudra d’abord nous méfier de cette notion de « centralités urbaines » qui fait tant parler d’elle , mais que des ambiguïtés patentes rendent délicate à manier. C’est pourquoi, avant même de débuter notre quête de la centralité commerciale dans la ville, ou même notre approche théorique de la notion de concentration de commerces, ce sont toutes les contradictions soulevées par cette notion de centralité en général, puis de centralité urbaine, qu’il nous faut organiser. La notion de centralité, prise d’abord indépendamment de tout a priori géographique, doit inévitablement, pour acquérir toute la rigueur nécessaire à un bon emploi ultérieur, faire l’objet d’une réflexion préalable. Ce préambule, plus qu’un simple cadrage formel, est une épreuve indispensable qui va orienter, nous le verrons, toute notre étude, et pas uniquement sur un simple plan terminologique. Cela suppose, plus que de faire une énumération des fonctions susceptibles d’être des vecteurs de centralité, de voir quels peuvent être les attributs qui rendent une fonction centrale. Nous pourrons alors voir quelle place accorder à l’étude d’une fonction centrale dans l’appréhension des centralités urbaines. Alors seulement nous pourrons véritablement nous intéresser à ces lieux qui, dans la ville, accueillent le commerce. Cela sera l’occasion d’une mise au point terminologique sur les composantes du commerce, et par là-même de justifier l’emploi de la formule inédite de concentration de commerces. Dès lors, c’est tout ce travail de cadrage qui doit constituer la première partie de la présente étude : justifications du libellé du sujet, des espaces d’étude et d’illustration, mises au point sur les concepts engagés. La mise en relation entre les deux pendants du sujet, à savoir « concentrations de commerces » et « centralités urbaines » ne peut être viable qu’à ce prix.

2. Cela va nous amener à une étude introvertie, nécessaire pour connaître les modes de fonctionnement des concentrations de commerces, leurs origines, leurs objectifs, leurs formes. Dès lors, il s’avère nécessaire de bien les cerner indépendamment de leur contexte. Bien appréhender les types et caractéristiques de ces espaces, s’avère être une autre condition sine qua non, préalable à toute confrontation aux centralités urbaines. Cela suppose donc de nous attarder sur la forme et le contenu même des concentrations de commerces. Mais, il ne s’agit pas d’une mise en abîme pour s’autoriser une étude monofonctionnelle : il s’agit d’emblée de penser aux répercussions que pourraient avoir la concentration de commerces sur son environnement en terme de centralité.

En effet, l’objectif principal de ce livre second, intitulé « le poids d’une offre » est de tenter d’évaluer d’une part la centralité générée par l’offre marchande, et, d’autre part, la mise en valeur de cette offre au sein des concentrations de commerces. Evaluer la centralité générée par l’offre commerciale, c’est d’une part être capable de proposer une mesure de l’offre (prenant en compte tant ses caractéristiques qualitatives que quantitatives) puis d’autre part pouvoir estimer la qualité de l’écrin commercial formé par la concentration de commerces. Les concentrations de commerces sont des structures d’accueil privilégiées des commerces, mais dont la forme, la cohésion contribuent à orienter l’impact commercial sur la ville et la mise en valeur de l’offre.

3. Dans un troisième temps, il faudra mieux voir les interactions entre commerce et ville. Une fois la centralité commerciale évaluée et le potentiel des concentrations de commerces appréhendé, nous pourrons envisager leur impact sur la ville. C’est-à dire qu’il nous faudra sortir la concentration de commerces de son rôle strictement économique : cela signifie qu’il faudra envisager son rôle dans la lecture et l’aménagement urbains, comme outil d’urbanité. Bien sûr, l’impact prévisible de la concentration de commerces sur la ville sera a priori d’autant plus grand que la centralité qu’elle renferme sera fort. Mais nous devrons de surcroît prendre en considération toute une série d’éléments relatifs non à l’offre elle-même mais aux relations entre la concentration de commerces et son espace d’intégration.

Table des matières

INTRODUCTION
PLURIELLE PARMI D’AUTRES
CHAPITRE PREMIER. CENTRE, CENTRALITE, URBANITE
1. DU CENTRE A LA CENTRALITE
1.1. Centre et centralité
1.1.1 Pluralité du centre
1.1.1.1 Centre extraverti et centre introverti
1.1.1.2 Le centre : un lieu qui se détache des autres
1.1.2 Une relation ambiguë
1.1.2.1 Le suffixe –ité
1.1.2.2 Le lieu et la fonction
1.1.2.3 Plus que le fait d’être central
1.1.3 Repenser les liens centre-centralité
1.1.3.1 Centre et lieu de centralité
1.1.3.2 La centralité efficace
1.2. Structure des centralités : la place de la fonction
1.2.1 Cause ou conséquence, offre et demande : la dérive fonctionnaliste
1.2.1.1 Offre et demande : indépendance ou interdépendance
1.2.1.2 La fonction auto-responsable
1.2.1.3 Offre et territoire : en quoi le territoire est plus qu’un débouché fonctionnel ?
1.2.1.4 Quels types de liens entre contenu et usage ?
1.2.2 Réhabiliter la fonction sans risque fonctionnaliste
1.2.2.1 Ordre et réciprocité
1.2.2.2 Quel crédit accorder à l’accumulation ?
1.2.2.3 Etre fonctionnel
1.2.3 Quel bilan pour quels objectifs ?
2. DE LA CENTRALITE A L’URBANITE
2.1. La ville, lieu de centralité
2.1.1 Qu’est-ce qui fait la ville ?
2.1.1.1 Comptez les hommes, vous aurez la ville
2.1.1.2 Cernez les fonctions, vous aurez la ville
2.1.1.3 Cernez la vie, vous aurez la ville
2.1.2 La ville, espace central
2.1.2.1 Centralité urbaine : un pléonasme ?
2.1.2.2 Le tout ou la partie
2.2. La ville, ensemble de lieux de centralité
2.2.1 Les centres dans la ville : de la ville centrée à la ville émergente
2.2.1.1 Centre-ville
2.2.1.2 La ville émergente : ou une autre vision des espaces centraux dans la ville
2.2.2 Besoin de repères
2.2.2.1 Non-centration, centration, décentration
2.2.2.2 La ville hétérogène
3. DES CENTRALITES URBAINES A L’ETUDE D’UNE FONCTION
3.1. Grilles de lectures de la centralité : l’irruption de l’immatériel
3.1.1 Les dimensions de la centralité
3.1.1.1 Contenu et mobilité : deux éléments associés
3.1.1.2 La centralité : plus que le contenu et la mobilité
3.1.2 Centralité et gravité
3.1.2.1 La gravité, un attribut de la centralité
3.1.2.2 L’éclairage donné par l’attribut gravité à la fonction
3.1.3 Centralité et pouvoir
3.1.3.1 Le pouvoir, un attribut de la centralité
3.1.3.2 L’éclairage donné par l’attribut pouvoir à la fonction
3.1.4 Centralité et exclusivité
3.1.4.1 L’exclusivité, un attribut de la centralité
3.1.4.2 L’éclairage donné par l’attribut exclusivité à la fonction
3.1.5 Centralité et patrimoine
3.1.5.1 Le patrimoine, un attribut de la centralité
3.1.5.2 L’éclairage donné par l’attribut patrimoine à la fonction
3.2. Les cadres d’étude d’une fonction centrale
3.2.1 Etude localisée, étude spécialisée, étude générale
3.2.1.1 L’éloge de la transversalité
3.2.1.2 De la difficulté d’étudier une fonction replacée dans son contexte
3.2.2 Moyens et choix d’une étude viable
3.2.2.1 Une série de mises en garde
3.2.2.2 Appréhender la ville dans sa totalité
CHAPITRE DEUXIEME. CENTRALITE COMMERCIALE ET CONCENTRATIONS DE COMMERCES
1. REPOSITIONNER LA CENTRALITE COMMERCIALE
1.1. Le commerce, de l’urbanité exprimée
1.1.1 La prégnance du commerce, axiome ou a priori ?
1.1.2 L’effet vitrine
1.2. Le commerce : plus qu’une fonction
1.2.1 Offre fonctionnelle et besoin immatériel
1.2.2 Du produit au lieu marchand : plus que de la fonctionnalité
2. LES CONCENTRATIONS DE COMMERCES, ESPACES DE LA FONCTION MARCHANDE
2.1. Concentrations de commerces : une indispensable formule
2.1.1 Les faiblesses de la formule « centre commercial »
2.1.1.1 Le centre commercial, groupement de commerces
2.1.1.2 Centre commercial et espace commerçant : le centre commercial comme espace
conçu pour et autour du commerce
2.1.1.3 Centre commercial et centre commercial intégré : approche large, approche restrictive
2.1.1.4 Une terminologie étrangère aussi ambiguë
2.1.2 La formule « concentration de commerces »
2.1.2.1 Une seule acception
2.1.2.2 Centralité et polarité
2.2. Cerner les concentrations de commerces
2.2.1 L’unicité de perception : condition sine qua non de la délimitation
2.2.1.1 La perception, élément d’approche géographique
2.2.1.2 La « loi de proximité »
2.2.1.3 La « loi de similarité »
2.2.1.4 La « loi de continuité »
2.2.1.5 Géographie et perceptions des espaces
2.2.2 Densité commerciale et concentrations de commerces
3. DECRIRE LES CONCENTRATIONS DE COMMERCES
3.1. Le degré d’homogénéité de la concentration de commerces
3.1.1 Le dosage entre petits et grands commerces
3.1.1.1 Des commerces globalement de même taille
3.1.1.2 Une ou des locomotives incontestées
3.1.2 Le dosage entre secteurs marchands
3.2. Le degré de mixité de l’ensemble d’accueil
3.2.1 Dilution de la concentration marchande dans la ville
3.2.2 Polyactivité de l’ensemble marchand
3.3. Vers une typologie des concentrations de commerces
CONCLUSION

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