cellules cancéreuses en utilisant un dispositif de pince optique
Cancer et propriétés biomécaniques des cellules
Le cancer est l’une des principales causes de décès dans le monde (WHO, 2011). Les cancers du poumon, du côlon et de la prostate pour les hommes, du sein, des bronches et du rectum pour les femmes, sont les types de cancer les plus fréquents de nos jours. Chez les femmes, le cancer du sein est la tumeur la plus répandue et la métastase représente la cause de décès la plus fréquente chez les patients atteints de cancer (Parkin, Bray, Ferlay, & Pisani, 2001). Lors des dernières décennies, il y a eu de nombreux efforts pour comprendre les mécanismes qui régissent le développement du cancer et la progression vers la métastase. L’objectif est de trouver des marqueurs moléculaires pour un diagnostic précoce et des cibles biologiques pour traiter le cancer. Les altérations génétiques et moléculaires bien connues qui caractérisent les cellules cancéreuses ne peuvent pas expliquer seules, de manière complète, le processus de transformation des cellules normales en cellules malignes et invasives. Par conséquent, les biologistes du cancer ont commencé à reconnaître qu’un élément critique du processus de transformation néoplasique implique des modifications spécifiques dans les propriétés mécaniques des cellules cancéreuses et leur microenvironnement (la matrice extracellulaire, les cellules incorporées) (Kumar & Weaver, 2009). Ces changements se reflètent dans les nombreuses fonctions de la cellule, y compris la croissance, la motilité, le métabolisme, la communication, la signalisation et le remodelage (Ben-Ze’ev, 1985); (Alberts, et al., 2002). Par conséquent, une caractérisation détaillée des modifications des propriétés mécaniques des cellules cancéreuses serait bénéfique pour la compréhension des événements moléculaires sous-jacents qui conduisent à des métastases. Elle pourrait fournir des marqueurs potentiels sur la base des mesures mécaniques plutôt que des diagnostics moléculaires. Dans ce chapitre, la maladie du cancer et l’évolution vers un stade de métastase seront tout d’abord présentées. Les facteurs qui caractérisent la transformation de cellules normales en cellules cancéreuses et métastatiques seront ensuite décrits dans une seconde partie et la pathologie du cancer du sein dans une troisième. La dernière partie de ce chapitre permettra de discuter l’implication des propriétés mécaniques des cellules cancéreuses dans la progression du cancer.
Cancer et métastase
Le cancer est une maladie qui résulte d’un dysfonctionnement des cellules biologiques. Les cellules malades prolifèrent de manière incontrôlée et peuvent perturber 14 le tissu jointif, provoquant la formation de tumeur. Une tumeur peut être bénigne, maligne ou métastatique. Une tumeur bénigne est caractérisée par des cellules néoplasiques qui restent regroupées ensemble et forment une seule masse. Dans ce cas, une guérison complète peut être obtenue en supprimant la masse par voie chirurgicale. Cependant, des altérations génétiques dans ces cellules néoplasiques peuvent causer le passage de tumeur bénigne à tumeur maligne, donc au cancer. Figure 1.1 – Cascade métastatique. Certaines cellules cancéreuses sélectionnées peuvent affaiblir leur adhérence cellule-cellule, traverser la limite de la tumeur comprenant la membrane basale autour de la tumeur primaire, pénétrer dans le microenvironnement tel que la matrice extracellulaire du tissu conjonctif et transmigrer à travers la membrane basale des vaisseaux sanguins ou lymphatiques (pénétration intra vasculaire). Ces cellules, transportées à travers le système vasculaire, peuvent adhérer à la paroi et se développer comme une tumeur secondaire ou, par extravasation, former une tumeur secondaire dans le tissu ciblé (Mierke, 2015). La progression de la tumeur maligne conduit à la métastase. Le processus de métastase implique la propagation des cellules malignes d’une tumeur primaire vers des sites distants et constitue le pire scénario dans un cancer car elle est la cause principale (à 90%) de décès par cette maladie (Chaffer & Weinberg, 2011). Le processus complexe par 15 lequel une cellule saine se transforme en un dérivé métastatique comporte plusieurs étapes reflétant les modifications génétiques de la cellule elle-même (Hanahan & Weinberg, 2000). Le processus de métastase comprend de nombreuses étapes consécutives, appelées «cascade métastatique» (Geiger & Peeper, 2009). La cascade métastatique commence par la propagation des cellules cancéreuses de la tumeur primaire. Les cellules migrent ensuite dans le microenvironnement tumoral local. Ces cellules cancéreuses transmigrent par la suite dans le sang ou les vaisseaux lymphatiques (pénétration intra vasculaire) et sont transportées à travers le flux du vaisseau. Elles sont capables d’adhérer à la paroi du vaisseau, de croître et de former une tumeur secondaire dans le vaisseau. Ces cellules peuvent éventuellement transmigrer dans la matrice extracellulaire du tissu conjonctif à travers la paroi du vaisseau endothélial (par extravasation). Ces cellules cancéreuses migrent ensuite davantage en profondeur dans le tissu ciblé, se développent et forment une tumeur secondaire, ce qui signifie que la tumeur a métastasé (Figure 1.1). Malgré les recherches intensives en oncologie, l’invasion du cancer et les métastases restent mal connues (Chaffer & Weinberg, 2011). Le mécanisme responsable du processus métastatique n’est toujours pas complètement élucidé.
Circuits de régulation pour une cellule pro-cancer
Les tumeurs sont plus que des masses insulaires de cellules cancéreuses qui prolifèrent ; au contraire, elles sont des tissus complexes, composés d‘une multitude de types distincts de cellules qui interagissent (Figure 1.2). Afin de mieux décrire la transformation maligne des cellules néoplasiques et révéler le chemin fonctionnel qui permet aux cellules cancéreuses de favoriser la progression du cancer et des métastases, huit caractéristiques classiques du cancer ont été proposées (Hanahan & Weinberg, 2000); (Hanahan & Weinberg, 2011) : – le maintien de la signalisation proliférative ; – l’évasion des suppresseurs de croissance ; – l’activation de l’invasion et la métastase ; – l’habilité à une immortalité réplicative ; – l’induction de l’angiogenèse ; – la résistance à la mort cellulaire ; – la reprogrammation du métabolisme énergétique ; l’évasion à la destruction immunitaire. – 16 Figure 1.2 – Caractéristiques du cancer. Les sous-groupes sont associés à des événements qui mettent en évidence l’apparition et la progression du cancer. Adaptée de (Mierke, 2015) (Hanahan & Weinberg, 2011). Ces huit caractéristiques classiques du cancer décrivent les aspects biologiques des cellules cancéreuses dans la progression tumorale, mais aussi les contributions du microenvironnement à la tumorigenèse. Les altérations génétiques et moléculaires des cellules cancéreuses sont bien étudiées, mais elles ne suffisent pas à elles seules pour expliquer le processus complexe de transformation maligne et celui de l’invasion. La capacité des cellules néoplasiques de se transformer et former une tumeur secondaire est accompagnée de diverses altérations moléculaires. Celles-ci influent sur les propriétés mécaniques des cellules envahissantes du cancer, leurs microenvironnements tels que la matrice extracellulaire (ECM), les cellules voisines telles que les cellules endothéliales, les macrophages associés au cancer et les fibroblastes (Rami-Conde, Drasdo, Anderson, & Chaplain, 2008) (Canetta, Duperray, Leyrat, & Verdier, 2005). Toutefois, le processus de modification des propriétés mécaniques dans le microenvironnement de la tumeur induite par la transformation des cellules saines vers des cellules malignes n’est pas encore entièrement compris (Fischer, Myers, Gardel, & Waterman, 2012) (Mierke, 2014). Par 17 conséquent, l’intérêt des biologistes pour l’étude des propriétés mécaniques du cancer s’est développé. Ils en sont arrivés à la conclusion que les modifications observées dans le phénotype mécanique de la cellule et son microenvironnement peuvent jouer un rôle important dans le processus de transformation néoplasique, l’invasion du cancer et les métastases (Kumar & Weaver, 2009) (Suresh, 2007) (Geiger & Peeper, 2009) (Makale, 2007) (Guz, Dokukin, Kalaparthi, & Sokolov, 2014) (Ketene, Schmelz, Roberts, & Agah, 2012). Ainsi, ces huit caractéristiques classiques du cancer nécessitent l’inclusion d’une neuvième, décrivant les altérations dans les propriétés mécaniques des cellules cancéreuses et de leurs microenvironnements, ainsi que des cellules incorporées (Mierke, 2014). Mierke (Mierke, 2015) a proposé que ces neuf caractéristiques puissent être classées en trois groupes, qui sous-tendent le chemin moléculaire qui conduit à la métastase (Figure 1.2). Il s’agit du groupe concernant la formation de néoplasme, celui concernant la transformation des cellules cancéreuses en cellules agressives et invasives et, enfin, le groupe concernant la croissance tumorale (Mierke, 2013). Sur la Figure 1.2, l’auteur représente la neuvième caractéristique décrivant les changements dans les propriétés mécaniques des cellules cancéreuses par « Changing cell and ECM ».
Formation de néoplasme
Le développement normal des cellules humaines est favorisé par des proto-oncogènes qui sont impliquées dans la division cellulaire et leur croissance (Weinstein & Joe, 2006). La transformation des cellules normales en cellules cancéreuses fait intervenir deux groupes de gènes : les oncogènes et les gènes suppresseurs de tumeur. Un oncogène est la forme mutante d’un proto-oncogène normal, elle est impliquée dans la stimulation de la division cellulaire, l’inhibition de la différenciation cellulaire et la réduction de la mort cellulaire. Par contre, un gène suppresseur de tumeur est un gène normal qui ralentit la division cellulaire, répare les erreurs dans l’ADN ou indique aux cellules quand elles doivent mourir. L’initiation et la progression du néoplasme sont associées à l’activation d’oncogènes et l’inactivation de gènes suppresseurs de tumeur. Ces altérations génétiques conduisent à une prolifération cellulaire incontrôlable et à un cancer. Les oncogènes et les gènes suppresseurs de tumeur sont responsables des caractéristiques acquises par la plupart des types de cancer humain (Weinberg, 1996 ). Les processus qui interviennent dans la formation de néoplasme peuvent être catégorisés en trois groupes différents, comme mentionnes sur la figure 1.2: a) Pour proliférer, les cellules normales reçoivent des signaux de croissance mitogéniques [Glossaire]. Ces signaux sont transmis dans la cellule par les récepteurs 18 transmembranaires qui se lient à des classes distinctes de molécules de signalisation : les facteurs de croissance, les composants de la matrice extracellulaire et les molécules d’adhérence ou d’interaction de cellule à cellule. Dans les cellules cancéreuses, les mutations oncogéniques agissent en simulant la signalisation de la croissance normale, ce qui leur permet de générer leurs propres signaux de croissance, perturbant ainsi le mécanisme homéostatique normal (Sustaining proliferative signaling). b) Dans les cellules normales, les signaux antiprolifératifs fonctionnent pour maintenir l’homéostasie [Gloss.] du tissu cellulaire ; ils régulent les décisions des cellules à proliférer. Les signaux anti-croissance fonctionnent de diverses manières pour limiter la croissance des cellules. Ils peuvent bloquer la prolifération par deux mécanismes distincts. Dans le premier, les cellules peuvent être forcées de quitter le cycle prolifératif actif et d’entrer dans un état de repos (G0) à partir duquel elles peuvent réapparaître, ultérieurement, lorsque les signaux extracellulaires le permettent. Dans le second mécanisme, les cellules peuvent être incitées à abandonner définitivement leur potentiel prolifératif pour entrer dans des états postmitotiques, généralement associés à l’acquisition de traits de différenciation spécifiques. Les cellules cancéreuses, cependant, échappent à ces signaux antiprolifératifs (Evading growth suppressors). c) La théorie de la surveillance immunitaire suggère que les cellules sont constamment surveillées par un système immunitaire d’alerte qui est responsable de la reconnaissance et de l’élimination des anomalies. Les cellules cancéreuses qui apparaissent semblent donc avoir réussi à éviter la détection par les différentes branches du système immunitaire, ou bien sont en mesure de limiter ou de désactiver des composants du système immunitaire ayant été dépêchés pour les éliminer, échappant ainsi à l’éradication (Avoiding immune destruction).
Transformation des cellules cancéreuses en cellules agressives et invasives
En principe, une seule cellule cancéreuse peut être suffisante pour provoquer la progression du cancer malin. Cependant, certaines de ces cellules cancéreuses subissent un processus de transition ou de sélection afin de pouvoir suivre, la série des étapes du progrès métastatique. Les processus accompagnant la transformation des cellules cancéreuses sont discutés dans les paragraphes suivants: a) Les tissus normaux sont composés de cellules qui sont étroitement reliées entre elles par des structures jonctionnelles reliées aux filaments d’actine du cytosquelette [Gloss.]. Dans le cancer, la tumeur primitive et son microenvironnement peuvent modifier les conditions 19 de survie et les propriétés cellulaires d’un certain type de cellules cancéreuses. Celles-ci vont soutenir la suite de la sélection d’un sous-type agressif (très invasif) de cellules cancéreuses. Par conséquent, les cellules cancéreuses très invasives sont capables de briser les adhérences aux cellules voisines affectant ainsi les propriétés mécaniques de celles qui interagissent et de migrer à travers la limite de la tumeur primaire (comprenant la membrane basale entourant la tumeur) pour ensuite envahir le stroma [Gloss.] de la tumeur locale. Il est connu que ces cellules subissent une transformation qui est similaire à la transition épithéliale mésenchymateuse [Gloss.] (EMT), procédé qui altère la structure du cytosquelette cellulaire et modifie la membrane cellulaire (Changing cell and ECM). b) Dans les tissus normaux, plusieurs classes de protéines sont impliquées dans les structures jonctionnelles des cellules à leur entourage. Dans les cellules épithéliales normales, l’adhésion cellule-cellule est réglementée par le récepteur E-cadhérine, alors que le récepteur qui régularise l’adhérence des cellules au substrat extracellulaire est l’intégrine (Bauer, Mierke, & Behrens, 2007) (Sawada, et al., 2008). Dans le cancer, la modification la plus largement observée dans les interactions celluleenvironnement implique l’E-cadhérine. Ainsi, la fonction du récepteur E-cadhérine est apparemment perdue dans la majorité des cancers épithéliaux, par des mécanismes qui comprennent l’activation mutationnelle de l’E-cadhérine ou une réduction de son expression (Cavallaro & Christofori, 2004). En conséquence, les cellules acquièrent la capacité de migrer et d’échapper à la tumeur primaire (Activating invasion and metastasis).
Croissance de la tumeur
Plusieurs étapes morphogénétiques distinctes interviennent au cours du développement tumoral dans le site métastatique. a) Les cellules normales sont capables de passer à travers un nombre limité de cycles successifs de croissance et de division cellulaire en raison de deux barrières distinctes contre la prolifération cellulaire : la sénescence, qui est décrite comme un état de nonprolifération cellulaire, et la crise, qui implique la mort cellulaire. Ces états sont régis par les télomères, dont les fonctions sont de protéger les extrémités de l’ADN chromosomique des fusions d’une extrémité à l’autre. Les télomères raccourcissent progressivement au cours du cycle cellulaire, processus qui assure un nombre fini de réplications possibles de l’ADN. Dans les cellules cancéreuses, les télomères ne sont pas perturbés et, par conséquent, la réplication de l’ADN se poursuit indéfiniment (Enabling replicative immortality). 20 b) Dans les cellules normales, l’oxygène et les nutriments fournis par le système vasculaire sont essentiels pour la fonction et la survie cellulaires, ce qui oblige les cellules à résider dans un tissu d’une certaine taille. Les cellules cancéreuses, caractérisées par la prolifération des cellules, font accroitre le tissu cellulaire à une taille plus grande que celle du tissu normal. Par conséquent, pour assurer la subsistance nécessaire (pour leur fonction et la survie) afin de progresser vers une plus grande taille, les néoplasies naissants doivent développer la capacité d’induire et de maintenir l’angiogenèse (Inducing angiogenesis) (Gimbrone M. A., Leapman, Cotran, & Folkman, 1972 ) (Gimbrone M. A., Leapman, Cotran, & Folkman, 1973 ). c) Le programme de la mort cellulaire est présent sous forme latente dans tous les types de cellules. Les cellules cancéreuses acquièrent une résistance à la mort cellulaire en utilisant une variété de stratégies. La plus courante est la perte ou la mutation du gène suppresseur de tumeur TP53, qui agit comme un capteur pour les dommages de l’ADN, provoquant ainsi l’inactivation du régulateur de la mort cellulaire. Alternativement, les cellules cancéreuses peuvent augmenter l’expression des régulateurs contre la mort cellulaire ou des signaux de survie ou réguler à la baisse des facteurs pour la mort cellulaire (Resisting cell death). d) Afin de favoriser la division et la croissance cellulaire, les cellules cancéreuses modifient leur métabolisme énergétique. Les cellules normales, dans des conditions aérobies, transforment le glucose d’abord en pyruvate via la glycolyse dans le cytosol ensuite en dioxyde de carbone dans les mitochondries. Par contre, dans des conditions anaérobiques, la glycolyse est favorisée et relativement peu de pyruvate est envoyé aux mitochondries consommant de l’oxygène. S’agissant du cancer, les cellules peuvent reprogrammer leur métabolisme énergétique, même en présence d’oxygène, et donc leur production d’énergie, en limitant leur métabolisme énergétique en grande partie à la glycolyse, conduisant à un état qui a été appelé « glycolyse aérobie » (Deregulating cellular energetics).
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