CONFLIT ARMÉ ET RECONFIGURATION DES RAPPORTS DE GENRE EN CASAMANCE
Les dimensions genrées du conflit de Casamance
Cette partie inscrit la problématique genre et conflits armés dans le contexte spécifique de la Casamance. Elle vise à rendre compte de la complexité socioculturelle de cette entité géographique afin de mieux saisir le cadre de l’étude (la Basse Casamance) ainsi que les dynamiques de genre hétérogènes qu’on y constate, même si des constantes se dégagent. Cette hétérogénéité est consécutive d’une part à la problématique que soulève l’ethnonyme « diola », et d’autre part à l’introduction des religions révélées, de la colonisation puis à la décolonisation. D’où l’adoption d’une perspective socio-historique comme méthode d’analyse, conformément à la grille de lecture de Georges Balandier en ce qui concerne les contextes africains : « La situation présente des sociétés africaines est le produit d’une triple histoire qui a cumulé ses apports. Aussi faut-il distinguer les éléments provenant de l’époque précoloniale, des éléments modernistes résultant de la colonisation puis de la décolonisation, le tout avec une perspective historique (…). L’analyse de Jean-Loup Ams elle va également dans ce sens « La perspective historique permet de prendre en compte l’ensemble des déterminants qui pèsent sur un espace social donné et permet de mettre l’accent sur les réseaux de forces à la fois « externes » et « internes » qui le structurent » . Après avoir analysé la complexité de la société casamançaise et décrit la pertinence d’un intérêt pour la Basse Casamance, nous exposerons les formes d’arrangement de genre dans cette sous région pendant la période précoloniale, pendant la période coloniale et durant la période postcoloniale. Ces deux dernières périodes inaugurent une ère de modernité qui reconfigurera en profondeur les rapports de genre. Une attention sera enfin portée au traitement genré du conflit de Casamance dans la littérature. Il s’agit d’inscrire l’analyse de genre dans une historicité afin qu’elle puisse être une catégorie « utile d’analyse » en sociologie. Dans un souci d’objectivité et de précision scientifique dérogeant à une tendance à la généralisation, des études de cas ont été réalisées en zone rurale (dans le Bayot et dans le Fogny) afin d’analyser de manière plus précise les changements profonds opérés par les religions révélées, la colonisation, la décolonisation puis le conflit armé. Ils seront étudiés la Partie III. Georges Balandier, Sens et puissance : les dynamiques sociales, Paris, Presses Universitaires de France, 1986. 218 J.-L. Amselle et E. M’Bokolo, Au coeur de l’ethnie, op. cit. Page 104 sur 408 I. Comprendre la Casamance : société plurielle ou Nation fabriquée ? 1. Géographie des Casamance La Casamance occupe 1/7 de la superficie totale du Sénégal, soit environ 15% du pays219. Elle compte 2.011.766 habitants, soit près de 14% de la population du Sénégal (chiffres ANSD 2019)220. Depuis le déclenchement du conflit en 1982, une série de réformes administratives ont été entreprises par l’État du Sénégal pour organiser la région. D’abord en 1984, elle a été divisée en deux régions : Ziguinchor et Kolda. En 2008, une réforme administrative scinde de nouveau la Casamance, cette fois-ci en trois régions : Ziguinchor, Sedhiou et Kolda. Depuis 2008, ce découpage administratif distinguant trois régions est de rigueur. Jean-Claude Marut analyse ces réformes comme une décision stratégique des autorités sénégalaises : il fallait fragmenter la région pour réduire le sentiment d’une commune appartenance géographique et identitaire (un des arguments clé de la revendication sécessionniste) et ainsi forcer ou renforcer l’intégration nationale221. De ce fait, les découpages administratifs interviennent quelques années après le déclenchement du conflit (1984) puis lors d’une énième reprise des hostilités, en 2008. En tout état de cause, à ce jour, on ne parle de Casamance qu’en référence à une « région naturelle » partagée entre la Basse Casamance (Ziguinchor), la Moyenne Casamance (Sédhiou) et la Haute Casamance (Kolda)222 . La Casamance « naturelle » tire sa spécificité de son peuplement hétéroclite. À chaque région correspond un groupe socioculturel dominant, sans pour autant s’y résumer. La difficulté de retracer les origines historiques du peuplement de ces régions, en particulier celle de la Basse Casamance, a été soulignée entre autres par Paul Pélissier, Christian Roche, Dominique Darbon et Marie-Christine Cormier Salem : « L’identité humaine des Rivières du Sud est difficile à fonder en raison de la faiblesse, sinon de l’absence des sources d’information. Avant l’arrivée des Portugais, les sources sont lacunaires. Les sites archéologiques, les traditions orales et la linguistique constituent les principaux matériaux. Si les traditions orales témoignent de 219 C. Roche, Histoire de la Casamance, op. cit. 220 http://www.ansd.sn/ 221 Jean-Claude Marut, « Le dessous des cartes casamançaises: une approche géopolitique du conflit casamançais » dans Comprendre la Casamance: chronique d’une intégration contrastée, sous la direction de F.G Barbier-Wiesser, Paris, Karthala, 1994, p. 500. 222 Division effectuée par l’administration coloniale française lors de leur acquisition du territoire en 1886, afin de délimiter géographiquement la diversité socio-culturelle de la région (cf Rapport Charpy in Barbier-Wiesser 1993) Page 105 sur 408 l’importance des migrations, elles sont souvent trop imprécises pour en reconstituer les phases, les itinéraires, les compositions et recompositions socioculturelles et linguistiques. L’inventaire systématique de toutes les sources et leur interprétation restent donc largement à faire »223 . En Basse Casamance (région de Ziguinchor) on trouve majoritairement les diolas, linguistiquement intégrés dans le groupe sénégalo-guinéens mais dont les origines sont peu certaines. Issus de vagues de migrations venues du nord et dans une moindre mesure de la dislocation de l’empire Gaabu, ils se sont installés entre le fleuve Casamance et le fleuve Rio de Cacheu, jusqu’aux rives du Soungrougrou . En Moyenne Casamance (région de Sédhiou) se trouvent surtout des Mandingues, originaires de l’empire du Mali et de la dislocation de l’empire du Gaabu. Des guerriers de l’empire du Mali comme Soundjata Keita, Tiramaklan Traoré ou Fodé Kaba ont entrepris la conquête de ce territoire dès le 13e siècle et jusqu’à la fin du 19e siècle avec les débuts de la pénétration coloniale française (1883) (idem). La Haute Casamance est davantage peuplée par de peulhs originaires du Fula et du Fouta Toro qui s’installeront dès le 15e siècle, notamment en menant des guerres de conquêtes et de résistance contre les Mandingues, guerres dirigées par des guerriers comme Alpha Molo, Moussa Molo ou encore Koli Tenguela jusqu’en 1865. D’autres groupements peulhs comme les Foulacounda originaires du Macina, les peulh Gaabu de Guinée Bissau, les peulhs de Guinée Conakry et les peulh Diéyabés ont été intégrés par la suite (idem). Toutefois, le peuplement de la Casamance naturelle ne se limite pas aux diolas, aux mandingues et aux peulhs. On compte également les Baïnounk, qui se réclament être les autochtones originels de la Basse Casamance, et les Balant, originaires de la frontière bissau-guinéenne, qui sont solidement établis dans le Balantacounda. À partir de 1930, sous l’impact de la colonisation, d’autres groupes dits « ethniques » originaires de la partie nord du Sénégal afflueront en Casamance : les toucouleurs (pour l’élevage et la pêche), les lébous (pêche) les wolofs (fonctionnaires et agents des maisons de commerce). Les manjaques et les mancagnes, issus de la Guinée Bissau, afflueront également avec le développement des cultures de rente comme le caoutchouc et l’arachide, ainsi que les débuts de la guerre de libération en Guinée Bissau. 223 M.-C. Cormier-Salem, Rivières du Sud, op. cit., p. 12. 224 P. Pélissier, Les paysans du Sénégal, op. cit. ; Dominique Darbon, L’administration et le paysan en Casamance: essai d’anthropologie administrative, Paris, Editions A. Pedone, 1988, 222 p. Page 106 sur 408 De même, la présence des diolas, des mandingues et des peulhs ne se limite pas à leur aire géographique ; on trouve donc des peulhs et des mandingues à Ziguinchor, des mandingues à Kolda etc. Comme le résume Dominique Darbon : « La Casamance, de par sa situation géographique, constitue une zone intermédiaire. Dans la région, sont en effet mis en contact des populations guinéennes et des populations soudannaises. De même, sont mis en contact des modes d’organisation sociales acéphales et « égalitaires » (diola, balant) et des systèmes plus formalisés et plus hiérarchisés (mandingues, peulh, toucouleur). Enfin se trouvent mises en relation des populations implantées sur le terroir depuis très longtemps (diola, balant, mandingues, foula) et d’autres venues beaucoup plus récemment, ceci créant d’inévitables tensions » 225 . 2. La Basse Casamance : formes d’homogénéités Notre étude s’intéresse à la Basse Casamance, où est géolocalisé et géocentré le conflit même s’il a connu des débordements en Moyenne et Haute Casamance. La Basse Casamance, où est majoritaire l’ethnie diola (d’où la tendance à ethniciser le conflit), se distingue par le caractère hétérogène de son peuplement et ainsi la difficulté de toute appréhension « globale » et homogénéisante lorsqu’on en fait un objet d’étude. En réalité, l’ethnonyme diola pose la problématique de l’ethnicité en sciences sociales226 . L’ethnicité « est une forme d’organisation sociale, basée sur une attribution catégorielle qui classe les personnes en fonction de leur origine supposée, et qui se trouve validée d ans l’interaction sociale par la mise en œuvre de signes culturels socialement différenciateurs » 227 . Dans sa préface à l’ouvrage Théories de l’ethnicité de Frederik Barth, Philippe Poutignat souligne les limites de ces catégorisations ethniques « La notion d’ethnicité, le type d’appartenance sociale qu’elle désigne, reste une notion polythétique, sa définition n’obéit à aucun critère à la fois nécessaire et suffisant. Si certains éléments tels que la culture, l’origine, la langue, sont généralement reconnus comme plus centraux, ils ne sont pas essentiels » (pIX). Ainsi pour saisir le caractère heuristique de l’ethnicité en tant que catégorie analytique, Barth souligne son caractère dynamique et non statique qui, comme toute identité personnelle ou collective, se construit et se transforme dans l’interaction des groupes sociaux par des processus d’inclusion et d’exclusion qui établissent des limites entre ces groupes, définissant des « Nous » par rapport à « Eux » ; « L’ethnicité n’est pas un ensemble intemporel, immuable de « traits culturels » (croyances, valeurs, symboles, rites, règles de conduite, langue, code de politesse, pratiques vestimentaires ou culinaires etc) transmis tels quels de génération en génération dans l’histoire du groupe ; elle résulte des actions et réactions entre ce groupe et les autres dans une organisation sociale qui ne cesse d’évoluer » (idem, préface p11). Pourtant, comme le développe Jean Loup Amselle, le concept d’ethnicité, emprunté à la bibliothèque coloniale, a été promu par les disciplines telles que l’anthropologie et l’ethnologie qui ont eu tendance à figer les individus dans des catégorisations fixes et immuables228. Jean Loup Amselle démontre que l’ethnicité est non une essence mais un construit colonial ; il montre comment l’action du colonisateur s’est exercée dans le découpage et l’identification fictive des sociétés locales qui, à l’époque précoloniale, étaient vraisemblablement englobées dans un réseau de relations continues formant une « chaine de sociétés » plus qu’une « juxtaposition de petits groupes repliés sur eux-mêmes » (p59). Il précise ainsi : « L’adoption du terme ethnie, comme celui de tribu, pour référer aux « sociétés primitives » à la place du terme « Nation » antérieurement employé et désormais réservé aux « États civilisés » va de pair en effet avec la négation de l’historicité de ces sociétés ; en ce sens les notions « d’ethnie » et de « tribu » sont liées aux autres distinctions par lesquels s’opère le grand partage entre anthropologie et sociologie : société sans histoire / société à histoire, société préindustrielle / société industrielle, communauté / société »229 . Dans l’Afrique précoloniale, la notion a en réalité servi d’outil politique et d’outil de domination opérant différents systèmes de classement apparentés à des signes de reconnaissance pour regrouper les populations afin de mieux les administrer, les contrôler, les dominer. Dans Au cœur de l’ethnie, les auteurs de l’ouvrage s’appuient sur le cas des Bété en Côte d’Ivoire (J.P Dozon), des Hutus et Tutsis au Rwanda et au Burundi (J.P Chrétien et C. Vidal) et les bambaras au Mali (J. Bazin) entres autres pour démontrer la pertinence de cette analyse et nuancer la valeur absolue de ces attributions catégorielles. Précisons toutefois que si ces taxinomies ethniques peuvent être établies par l’État colonial, elles sont souvent reprises cité dans Poutignat et Streiff-Fenart 1999. Page 108 sur 408 par l’État postcolonial d’une part, et par les populations elles-mêmes d’une autre part : « Les ethnonymes sont des labels, des bannières, des emblèmes onomastiques qui sont « déjà là » et que les acteurs sociaux s’approprient en fonction des conjonctures politiques qui s’offrent à eux »230. Dans cette perspective, les individus eux-mêmes peuvent intérioriser ces attributions ethnonymiques, notamment en la transformant pour mieux s’y identifier. L’analyse catégorielle de Frédérik Barth231 soulignant la relation dialectique entre définition exogène (processus d’étiquetage et de labellisation par lesquels un groupe se voit assigner de l’extérieur une identité ethnique) et endogène (processus par lequel les individus se définissent eux-mêmes en tant que groupe) de l’appartenance ethnique a été reprise par Paul Diedhiou pour analyser le contexte casamançais. Paul Diedhiou opère une déconstruction de l’ethnonyme « diola » et démontre comment le fait de s’y appuyer pour analyser le conflit casamançais est insuffisant, lacunaire et surtout réducteur232. En réalité, les populations dites diolas se désignaient elles-mêmes par le terme « Adjamat » (endoperception), qui veut dire « ceux qui parlent la langue » donc « les humains », par opposition aux animaux et aux objets233. C’est l’exoperception coloniale qui leur a attribué l’ethnonyme « diola », utilisé alors par les mandingues pour décrire la loyauté de ces populations en matière de commerce (ils utilisaient plus exactement le mot « djorlas » qui veut dire en langue mandingue « celui qui paie ses dettes »). Cette attribution catégorielle a notamment été adoptée par les colonisateurs français pour pallier à l’hétérogénéité de ce groupement socio culturel. En effet, au sein des diolas même de la Basse Casamance existe une grande diversité ; ainsi « diola » est plus utilisé par référence géographique que biologique234. Comme le souligne Odile Journet dans sa préface de l’ouvrage L’Identité joola en question : « Le fractionnement dialectal, l’instabilité des unités territoriales et leurs relations, l’effet éminemment contrasté des mouvements historiques qui les affectèrent – les populations de Basse Casamance235 – rendent impossible toute généralisation » (p9). En effet, les sociétés de Basse Casamance sont constituées de « chaînes de villages indépendants » qui ont développé des formes de coopération tantôt amicales tantôt conflictuelles (idem p52). D’un village à l’autre, la langue ainsi que les pratiques cultuelles et culturelles peuvent être très 230 Amselle et M’Bokolo 2009 p15. 231 P. Poutignat et J. Streiff-Fenart, Théories de l’ethnicité. Suivi de « Les groupes ethniques et leurs frontières » de Fredrik Barth, op. cit. 232 P. Diédhiou, L’identité jóola en question, op. cit. 233 Extrait d’entretien avec l’auteur, octobre 2018 234 P. Pélissier, Les paysans du Sénégal, op. cit. 235 Ndlr Page 109 sur 408 différentes voire opposées ; ainsi, « Parler d’unité politique ou religieuse dans le milieu joola de Basse Casamance, c’est reconnaitre l’existence d’un pouvoir central qui déterminerait différents villages. Or chaque village est indépendant » (idem p53). Toutefois, une forme de classification socio-linguistique a été établie par Louis Vincent Thomas, différenciant du côté de la rive nord les diolas Blouf et les diolas Fogny, et du côté de la rive sud les diolas Kasa, les diolas Adjamat, les diolas Flup, les diolas Bayot et les diolas Bandial236 . Des formes de caractéristiques communes peuvent cependant être dégagées dans ces sociétés hétérogènes de Basse Casamance. Tout d’abord, la forme d’organisation politique : les sociétés diolas sont qualifiées d’acéphales et d’égalitaires237, avec des formes d’organisation sociopolitique axées sur trois structures : la chefferie animiste traditionnelle, les classes d’âge et la parenté238. Françoise Ki-Zerbo utilise ainsi la notion de « système pyramidal tronqué » qui dégage certaines formes de hiérarchisation sociale en fonction de la classe d’âge et des autorités religieuses qui détiennent les cultes239 . Toutefois, selon L-V Thomas, « La nature de la chefferie est très variable. Les rois n’existent pas partout (ils sont surtout présents dans le Kasa à Oussouye et dans le Bandial à Enampor) et ces rois sont plus des rois prêtres que des rois chefs. Il leur incombe un ensemble d’obligations sociales et cultuelles très lourdes (vivre isolé en abandonnant sa famille et ses rizières, ne pas pouvoir se marier pour un tems ou devoir renier ses épouses antérieures, interdiction de manger en public etc) et leur pouvoir est partagé avec le conseil des notables240 . Ainsi « Le pouvoir n’existe que parce qu’il est souhaité par les populations et ne persiste que tant qu’il est fonctionnel, c’est-à-dire s’il parvient à assurer la protection effective des boekin241 sur les membres du groupe. En somme, le pouvoir et l’organisation sociale n’ont pas d’existence en tant que tels, et ne se perpétuent que par leur efficacité mystique. Le principe d’autorité apparaît donc dans tous les groupes diola comme une obligation dont on essaie de se prémunir » (Darbon 1988 p32). Aussi, « l’autorité des rois ne s’exerce que dans les limites du village ou d’un ensemble de villages. La fonction s’apparente plus à une charge qu’à un avantage, et elle est souvent exercée sous la contrainte. Par ailleurs, la répulsion à tout principe d’autorité se conjugue à l’absence d’une hiérarchie développée. Les sociétés diolas s’apparentent ainsi à une association de groupes 236 Louis-Vincent Thomas, Les Diola : Essai d’analyse fonctionnelle sur une population de Basse-Casamance, I.F.A.N., Sénégal, 1959, 821 p. 237 D. Darbon, L’administration et le paysan en Casamance: essai d’anthropologie administrative, op. cit. ; C. Roche, Histoire de la Casamance, op. cit. ; P. Diédhiou, L’identité jóola en question, op. cit. 238 P. Pélissier, Les paysans du Sénégal, op. cit. 239 F. Ki-Zerbo, Les sources du droit chez les Diola du Sénégal, op. cit. 240 L.-V. Thomas, Les Diola : Essai d’analyse fonctionnelle sur une population de Basse-Casamance, op. cit. 241 Lieux de culte ou bois sacrés en langue diola (cf glossaire). Page 110 sur 408 indépendants ; cet « associativisme » se traduit au niveau de la prise de décision, par la participation de tous les adultes aux discussions, par le rôle effectif des femmes, par l’absence de caste originaire ou de groupes sociaux d’esclave, par l’inexistence d’une division sexuelle du travail rigide et le partage égalitaire des biens entre les fils » (idem p35-36). L’organisation sociale est également sensiblement semblable. En réalité, « le village ne constitue pas une société et encore moins une institution, mais un site géographique à but défensif » (idem). La structure fondamentale est la concession, tandis que le ménage constitue l’unité de production et de consommation au sein de celle-ci. « Ces structures parentales présentent deux fonctions essentielles : une fonction de protection (cohésion du groupe) et une fonction économique (gestion des biens de production et de consommation). Ainsi, seule la famille (clan) constitue une cellule sociale, encore que, chaque homme devenu majeur s’émancipe de l’autorité du père chef de famille pour constituer son propre groupe, lequel sera éventuellement le rival de celui dont il est issu. L’autorité du chef de famille est donc d’autant plus réduite qu’elle se limite à son seul clan et que celui-ci peut constituer une structure particulièrement instable (idem). Trois valeurs essentielles fondent ainsi la culture diola : un fort sentiment d’individualisme, un esprit d’indépendance et un sens profond de la solidarité et du besoin de vie communautaire (idem). D’un côté, l’individualisme garantit à l’individu sa liberté et d’autre part, la solidarité lui assure la protection sociale, civile, religieuse, économique et militaire « Profondément individualiste, le diola ne vit pourtant que par rapport aux autres. En tant qu’individu, il se mesure aux autres par sa force et sa richesse, et comme membre d’un groupe, il valorise au maximum l’orgueil ethnique qu’il peut manifester par des expressions spontanées de violence. C’est d’ailleurs l’une des spécificités des sociétés « sans Etat » qui compensent leur faible structuration par une pression sociale diffuse secrétée par le groupe, et obligeant l’individu à se conformer aux valeurs sociales » (idem p36). Dans ce prolongement, Françoise Ki-Zerbo développe le concept paradoxal « d’individualisme solidaire » ou « d’interdépendance fonctionnelle » pour qualifier ces sociétés dans leur système de relations sociales.
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