Caractéristiques générales des enceintes double paroi
L’enceinte de confinement est la troisième barrière de protection des bâtiments réacteurs (BR). Elle doit assurer deux types de fonctions : – une première fonction de résistance, que ce soit vis-à-vis d’agressions physiques extérieures (chute d’avion, explosion, séisme) ou des effets du temps (durabilité, vieillissement) ; – une seconde fonction de confinement des éléments radioactifs, que ce soit en fonctionnement normal d’exploitation ou en situation accidentelle avec montées en pression et température de l’enceinte pendant une durée plus ou moins longue. En France, deux technologies d’enceintes sont utilisées pour les BR actuellement en exploitation : – les enceintes à simple paroi, dont la fonction de résistance est assurée par une enceinte en béton armé précontraint et la fonction d’étanchéité par une peau métallique interne (aussi appelée liner) ; – les enceintes à double paroi (EDP), dont la fonction de résistance est assurée par une enceinte externe (EE) en béton armé et la fonction d’étanchéité par un double système : • passif, avec une enceinte interne (EI) en béton armé et précontraint sans peau d’étanchéité métallique, • actif, avec une dépression permanente de l’espace entre enceintes (EEE). Cette deuxième famille d’enceintes est l’objet d’étude principal de ces travaux de thèse. Elle a été mise en service à partir de 1984 et regroupe 24 des 58 réacteurs français et concerne les paliers : – P4 à 1300 MWe, réacteurs de Flamanville (2), Paluel (4) et Saint-Alban (2) ; – P’4 à 1300 MWe, réacteurs de Belleville (2), Cattenom (4), Golfech (2), Nogent (2) et Penly (2) ; – N4 à 1450 MWe, réacteurs de Chooz B (2) et Civaux (2). Le principe constructif du système de double enceinte est identique pour les trois paliers P4, P’4 et N4 et est illustré en Fig. 1.1. Dans le cas d’un BR du palier P’4, structure de référence de ce manuscrit, un radier de 3 m d’épaisseur, précontraint en partie supérieure, supporte les deux enceintes interne et externe et comporte en périphérie de l’EI des galeries permettant l’ancrage des câbles de précontrainte. L’enceinte externe a un diamètre intérieur de 49,8 m et une hauteur de 67,6 m. Sa paroi en béton armé fait 55 cm d’épaisseur au niveau du fût et 40 cm au niveau du dôme. 6 Problématique scientifique et enjeux opérationnels Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires Fig. 1.1 : Schéma de principe d’une EDP de type P’4 (coupes verticale et horizontale [43]) L’EI a un diamètre intérieur de 43,8 m et une hauteur de 65,2 m. Sa paroi en béton armé et précontraint fait 1,2 m d’épaisseur au niveau du fût et 82 cm au niveau du dôme. La précontrainte verticale est réalisée par la mise en tension de 57 câbles verticaux purs et 98 câbles gamma (verticaux qui se prolongent dans le dôme). La précontrainte horizontale est assurée par 122 cerces faisant le tour du fût et ancrées dans deux nervures verticales diamétralement opposées. Le principe de ces trois types de câbles est illustré en Fig. 1.2. 18 câbles supplémentaires sont utilisés pour le dôme de l’EI. Cette précontrainte, globalement bidirectionnelle et injectée au coulis de ciment, a pour rôle principal d’éviter, en toutes circonstances, les zones tendues et donc une fissuration potentielle. Elle est dimensionnée pour que le béton de l’EI reste comprimé à au moins 1 MPa en situation accidentelle sur toute sa durée de vie. L’EEE correspond à l’espace libre entre enceintes interne et externe, séparées de 1,8 m au niveau de la jupe. Il assure une fonction de sas intermédiaire entre l’environnement extérieur et le volume intérieur du BR. Cet EEE est ventilé mécaniquement pour maintenir une dépression permanente de 1,5 kPa qui doit permettre de récolter et filtrer les fuites avant rejet dans l’atmosphère en cas d’accident (système EDE). Contexte industriel 7 Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires Les jupes des deux enceintes sont traversées par des ouvertures permettant le passage du personnel (deux traversées de 3,5 m de diamètre), du gros matériel (une traversée de 8 m de diamètre appelée tampon d’accès matériel ou TAM), des matériels techniques (câbles, gaines, tuyauteries,…) et du combustible. L’épaisseur de béton autour du TAM est localement plus importante (3 m au lieu de 1,2 m afin de reprendre les contraintes dues à la déviation des câbles). Fig. 1.2 : Principe du système de précontrainte de l’EI d’une EDP [25] En conditions de fonctionnement habituel, les températures et humidités relatives sont de l’ordre de 35 °C et 40 % dans le volume interne et 15 °C et 60 % dans l’EEE, générant des gradients dans l’épaisseur de béton de l’EI.
Epreuves enceinte et retour d’expérience
Visites décennales
Les réacteurs du parc français sont arrêtés et inspectés tous les dix ans. Ces visites décennales (VD) durent une centaine de jours environ et permettent le rechargement du combustible nucléaire, la vérification des matériels et des structures du BR ainsi que leur maintenance et réparation éventuelles. Trois essais principaux sont conduits : – une épreuve hydraulique du circuit primaire ; – une inspection de la cuve du réacteur ; – une épreuve enceinte (ou essai de type A). L’épreuve enceinte a pour but de tester l’étanchéité et la résistance de l’EI, en la soumettant à sa pression interne de dimensionnement (supérieure de 5 à 10 % par rapport à la pression maximale en cas d’accident de perte de réfrigérant primaire ou 8 Problématique scientifique et enjeux opérationnels Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires APRP). Au cours de cette épreuve, les déformations de l’enceinte ainsi que son taux de fuite global sont mesurés et comparés aux valeurs de la VD précédente pour contrôler leurs évolutions. Une identification visuelle des défauts et principaux points de fuite est aussi effectuée en paroi externe de l’EI (extrados). Le test de mise sous pression, durant environ quatre jours, n’est pas identique pour chaque BR. Son principe est illustré en Fig. 1.3 et se déroule de la manière suivante [43] : – palier initial à pression atmosphérique pour vérifier les apports d’air et fuites parasites ; – augmentation de pression de 1 bar pendant quelques heures ; – palier de 12 h à 2 bars absolus, pour contrôler et analyser les apports d’air parasites, cette fois-ci en pression ; – un palier intermédiaire à 2,9 bars absolus peut être nécessaire ; – nouvelle augmentation de pression de 2,8 bar (P4), 3,2 bar (P’4) ou 3,3 bar (N4) pendant 12 h, pour atteindre la pression nominale de l’essai (respectivement 4,8, 5,2 et 5,3 bars absolus) ; – palier de 24 h à cette pression de dimensionnement, avec mesure du taux de fuite global, des fuites transitantes et relevé de la localisation précise des zones fuyardes à l’extrados de l’EI ; – diminution de la pression pendant environ 36 h jusqu’à 1,5 bars absolus ; – retour à la pression atmosphérique en quelques heures. Fig. 1.3 : Chargement en pression interne au cours d’une VD (palier P’4)
Typologie des fuites
L’ensemble de la fuite se sépare en deux composantes principales, les fuites transitantes, c’est-à-dire débouchant dans l’EEE, et les fuites non transitantes 0 1 2 3 4 5 6 0 24 48 72 96 120 144 Pression absolue (bar) Temps (h) Contexte industriel 9 Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires pouvant se retrouver directement dans l’environnement extérieur. Ces types de fuites sont illustrés en Fig. 1.4 et comprennent : – pour les fuites transitantes (notées Ft) : • une composante diffuse à travers la porosité du béton, • une composante localisée au niveau des défauts ou fissures, détectée par aspersion d’eau savonneuse en paroi externe de l’EI. Ces défauts se situent en général près du TAM, des sas personnel, du gousset reliant la base du fût au radier et de la ceinture torique reliant le fût au dôme, • une composante liée à une mauvaise étanchéité des joints entre l’acier des traversées et le béton de l’EI ; – pour les fuites non transitantes (notées Fnt) : • une composante correspondant au gaz piégé dans l’épaisseur de béton et qui n’est pas retourné dans le volume interne de l’EI ou sorti par l’EEE en cours d’essai, • une composante passant par les traversées, • une composante diffuse à travers le radier. Fig. 1.4 : Différents types de fuites au cours d’une épreuve enceinte (d’après [25] et [117])
Critères de sûreté
Pour garantir l’étanchéité de l’EI des EDP, le décret d’autorisation de création (DAC) impose règlementairement un taux de fuite maximum de 1,5 % de la masse Bâtiments EEE Radier EE Ft Fnt TAM SAS EI 10 Problématique scientifique et enjeux opérationnels Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires de gaz (air et vapeur d’eau) contenue dans le volume libre du BR (c’est-à-dire le volume interne diminué du volume de tous les équipements), par jour et en situation accidentelle de type APRP. Toutefois, les conditions réelles d’un tel accident sont difficilement reproductibles techniquement (variations fortes de pression et température, présence de vapeur d’eau) car ce chargement endommagerait le BR. Des essais normalisés en air sec (dits essais de type A) sont alors réalisés périodiquement pour vérifier étanchéité et résistance mécanique de l’EI du BR : – un essai pré-opérationnel après précontrainte de l’enceinte interne noté VC0 ; – un essai au premier chargement de combustible après environ trois ans VC1 ; – puis un essai tous les dix ans noté VDi (pour i-ième visite décennale). Une transposition du critère du DAC est donc nécessaire pour effectuer un test d’étanchéité « équivalent » en air sec. Plusieurs études ([117], [14], [106] et [65] par exemple) ont été menées ces dernières années pour déterminer expérimentalement le coefficient de transposition, défini comme le ratio de fuite entre essai en air sec et essai en air humide avec température. Elles tendent à montrer que ce ratio pourrait être supérieur à l’unité, mais l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) conserve une marge de sécurité en imposant sa valeur à 1. À cette limite règlementaire du taux de fuite, EDF s’impose un coefficient de sécurité supplémentaire lié au vieillissement de la structure. Il vient diminuer le critère du DAC et vaut 0,75 pour les visites préopérationnelles (dans ce cas, la perte en masse par jour ne doit pas dépasser 1,125 % du volume interne du BR). Sa valeur, comprise entre 0,75 et 1, doit être calculée pour chaque VD en prenant en compte la quantité de réparations effectuées sur la paroi. Un critère de sûreté supplémentaire impose que la partie non transitante du débit de fuite ne représente pas plus de 10 % de la fuite totale. Si au cours du premier palier de 24 h à la pression nominale, le débit de fuite global ou le débit des fuites non transitantes dépassent leur critère respectif, le palier peut être prolongé de 24 h supplémentaires avec l’accord de l’ASN afin de réitérer toutes les mesures radier noyé. Ces conditions ont pu permettre de s’affranchir de fuites en air non représentatives d’une situation accidentelle type APRP.
Dispositifs de mesures Mesures courantes
L’instrumentation des EI [26], dont le principe est illustré en Fig. 1.5, permet d’avoir accès (régulièrement tout au long de la vie de l’ouvrage et de manière plus fréquente en cours d’épreuve) : Contexte industriel 11 Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires – aux déformations tangentielles et verticales, grâce à des extensomètres à cordes vibrantes noyés à différentes hauteurs et génératrices dans le fût ; – aux déplacements globaux, radialement grâce à des pendules et verticalement grâce à des fils Invar ; – aux variations de température grâce à des thermocouples noyés au droit des extensomètres (permettant d’en corriger les données brutes) ; – aux pertes de précontrainte dans certains câbles gainés-graissés grâce à des dynamomètres ; – aux tassements différentiels du radier et à la rotation de la structure grâce aux pendules et par nivellement optique ; – aux fuites par les traversées (système SEXTEN). Fig. 1.5 : Schéma de principe de l’instrumentation d’auscultation d’une EI [39] 12 Problématique scientifique et enjeux opérationnels Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires Mesure du taux de fuite global Lors d’une VD, le plateau à la pression maximale est maintenu au minimum 24 h pour permettre une mesure du taux de fuite global, en considérant que l’écoulement est laminaire et a atteint son régime permanent. Le dispositif spécifique de cette mesure comprend : – 44 sondes de température disposées dans le volume libre de l’EI ; – 10 sondes hygrométriques pour mesurer la pression partielle de vapeur dans l’EI ; – 1 baromètre de mesure de pression dans l’EEE ; – 2 manomètres de mesure de la pression de l’EI. Toute masse d’air quittant le volume interne du BR est considérée comme fuite. En moyennant les valeurs des différents capteurs de température 𝑇 (en K) et de pression partielle de vapeur 𝑃𝑣 (en Pa), la masse d’air sec 𝑚𝑎 (en kg) contenue à l’intérieur de l’enceinte se calcule à partir de la loi des gaz parfaits : 𝑚𝑎 = 𝑀𝑎𝑃𝑎𝑉𝑖𝑛𝑡 𝑅𝑇 , 𝑃𝑎 = 𝑃 − 𝑃𝑣 (1.1) Où 𝑃 est la pression totale dans l’EI, 𝑉𝑖𝑛𝑡 est son volume libre (en m3 ), 𝑀𝑎 est la masse molaire de l’air (28,965∙10-3 kg∙mol-1 ) et 𝑅 la constante universelle des gaz parfaits (8,314 J∙mol-1 ∙K -1 ). En négligeant la variation de volume, le taux de fuite 𝑓𝑔 (en %/j) est le taux d’accroissement de masse sur 24 h (positif en cas d’apport, négatif en cas de fuite) et s’obtient par dérivation logarithmique de l’équation (1.1) : 𝑓𝑔 = Δ𝑚𝑎 𝑚𝑎 (𝑡0 ) = Δ𝑃𝑎 𝑃𝑎 (𝑡0 ) − Δ𝑇 𝑇(𝑡0 ) , Δ𝑋 = 𝑋(𝑡0 + 24ℎ) − 𝑋(𝑡0 ) (1.2) Où 𝑡0 est l’instant initial de mesure. Ce taux de fuite peut être converti en débit de fuite 𝑄𝑉 (en m3 ∙h -1 ) : 𝑄𝑉 = 𝑓𝑔 24 ∙ 100 𝑉𝑖𝑛𝑡 (1.3) Pour s’affranchir des conditions de température et pression de chaque essai de gonflement et pouvoir comparer les résultats obtenus entre différents BR, ce débit volumique est normalisé, c’est-à-dire exprimé aux conditions normales de pression (𝑃 𝑛𝑜𝑟𝑚 = 101325 Pa ou 1 atm) et température (𝑇 𝑛𝑜𝑟𝑚 = 273 K ou 0 °C) : 𝑄𝑉 𝑛𝑜𝑟𝑚 = 𝑃𝑎 𝑃𝑛𝑜𝑟𝑚 𝑇 𝑛𝑜𝑟𝑚 𝑇 𝑄𝑉 (1.4) Où 𝑄𝑉 𝑛𝑜𝑟𝑚 est le débit normalisé (en Nm3 ∙h -1 ). Ainsi, pour une enceinte du palier P’4 dont le volume interne libre est d’environ 70500 m 3 et dont l’essai en air se ferait à 20 °C, le critère de fuite maximum de 1,5 %/j correspond à un débit de fuite global normalisé de 210,7 Nm3 ∙h -1 . Contexte industriel 13 Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires D’un point de vue pratique, la variation de masse d’air est suivie pendant 14 h et le débit est calculé grâce à la pente moyenne de la courbe obtenue durant les quatre dernières heures, une fois le régime d’écoulement stabilisé (Fig. 1.6). Les 10 h suivantes permettent d’effectuer les inspections visuelles décrites ci-après. Fig. 1.6 : Variation de la masse d’air et de la pression interne (Golfech 1 VD2, [43]) Mesure des fuites transitantes L’espace entre enceintes est instrumenté avec un dispositif analogue à celui de l’EI, appelé SUGTEN (SUivi du Gonflement en conTinu des Enceintes Nucléaires), permettant d’étudier l’évolution de la masse d’air à l’intérieur de l’EEE et prenant en compte les apports par l’enceinte externe. Pour rappel, ces apports extérieurs sont dus à la légère dépression de 1,5 kPa maintenue en permanence dans l’EEE et n’influencent donc pas le débit de fuite de l’EI. Le système SUGTEN n’est opérationnel que lorsque les sas des enceintes interne et externe sont fermés. Comme l’EE est ouverte au cours du plateau à pression maximale pour effectuer les inspections visuelles, le débit dans l’EEE ne peut être mesuré qu’en phase de montée ou descente en pression. Les mesures de fuite par SUGTEN sont représentées en fonction de la variation du carré de pression entre EI et EEE, un exemple en phase de montée en pression est représenté en Fig. 1.7. Sans modification du régime d’écoulement, potentiellement due à l’ouverture d’une fissure importante, les courbes SUGTEN restent quasi- 14 Problématique scientifique et enjeux opérationnels Modélisation et prévision du comportement thermo-hydro-mécanique d’une paroi en béton Application au cas des enceintes de confinement des bâtiments réacteurs nucléaires linéaires. Deux mesures de débit de fuite total de l’EEE sont obtenues à pression nominale, c’est-à-dire en fin de montée et en début de descente en pression (abscisse maximale en Fig. 1.7). Des valeurs proches du débit de fuite total mesuré dans l’EI signifient que le régime permanent d’écoulement à travers l’ensemble de la structure est atteint et que les fuites non transitantes sont faibles.