Organisation de la posture et du mouvement
Le contrôle postural est la capacité du corps à maintenir dans un alignement approprié les différents segments corporels en relation avec la gravité, en condition quasistatique ou en mouvement, notamment lorsque le corps subit des changements de position et d’orientation (Massion, 1994 ; Amblard et al. , 1994) La posture est définie comme la position à un moment donné des différents segments corporels (Massion, 1994). Pour Cauquil et al. (1998), elle est le reflet d’un programme moteur ou un ensemble d’instructions adressées par le système nerveux aux muscles en vue d’obtenir une géométrie corporelle désirée. Fourment et al. (1995) l’expriment par la position relative des pièces du squelette se disposant suivant une attitude d’ensemble et correspondant à un état d’équilibre du corps. Globalement, la posture est considérée comme une géométrie segmentaire particulière dépendant de mécanismes nerveux qui régulent les variations d’ attitude corporelle. Ce contrôle postural participe à l’élaboration des représentations spatiales, assure l’équilibre et fournit une base stabilisée à l’action (Pérennou et al., 2001). Les postures envisageables pour l ‘homme sont celles qui présentent le maintien de la projection du centre de gravité au sol dans le polygone de sustentation. Dans ces conditions, la stabilité posturale s ‘observe (Aalto et al., 1988) et son maintien nécessite une régulation posturale (Massion, 1992). Elle implique une sollicitation des fonctions musculo-squelettique et articulaire en relation avec le vecteur gravitaire sous le contrôle du système nerveux. La capacité d’adapter le tonus postural dans le but de maintenir la stabilité posturale se caractérise par différents mécanismes (Tableau 1). Issues des boucles proprioceptives médullaires, vestibulo-oculaires, vestibulo-nucales ou oculo-coliques d’origine réflexe, présentant des réactions de redressement, de soutien ou de stabilisation, l’organisation et l’adaptation du tonus postural antigravitaire sont régulées au niveau de la moelle épinière et du tronc cérébral et peuvent s’appliquer à un segment corporel, a une partie ou à l’ensemble du corps (Hue, 2003).
Pour qu’un corps soit en équilibre, la somme des forces exercées sur ce corps ainsi que la somme de leurs moments doivent s’annuler. Dans le cas de la posture érigée, l’équilibre est maintenu lorsque la verticale de gravité passe à l’ intérieur du polygone de sustentions. Le centre des pressions plantaires est le point d’ application de l’ensemble des forces de résistance du support opposé à la force de pesanteur issue de la projection au sol du centre de gravité. Dans le maintien de la station debout, le centre des pressions plantaires reste dans d’étroites limites, bien inférieures à celles du polygone de sustentions. Chez l’enfant en bas âge, le contrôle postural se développe suivant différentes étapes, (i.e. , changement d’environnement, force musculaire, etc.) et s’ obtient de façon associée avec le développement psychomoteur. Cette expression d’un contrôle fin de la posture implique un système de référence, basé sur le développement de l’individu et sur sa représentation interne de la verticale subjective de gravité ou bien sur un schéma corporel postural (Gage y, 1993), auquel s ‘ajoute un système de détection d’erreurs d ‘ origine sensitivosensorielle et un système de correction résultant de programmes moteurs réflexes (Nashner et al., 1989).
La précision de cette régulation dépend d ‘ajustements posturaux, soit en réponse à une perturbation où l’ équilibre postural doit être rétabli, soit dans l’anticipation d’un mouvement volontaire ou ils précèdent l’action (Béraud & Gahéry, 1995; Gahéry & Nieoullon, 1978; Ledin & Odkvist, 1991). La fonction d’ équilibration requiert le traitement des informations fournies par les systèmes vestibulaire, visuel, proprioceptif et extéroceptif avant leur intégration. La figure 1 est une modélisation des différentes afférences sensitivo-sensorielles dans leur rôle informatif et comme éléments contribuant à l’ équilibration et aux mouvements. Ces afférences sensitivo-sensorielles, par leur rôle informatif, contribuent aux finalités de la posture qui sont la stabilisation et l’orientation. La fonction d’équilibration en est la liaison et s’exprime par le tonus des muscles antigravitaires. Cette activité est sous la dépendance d’ une organisation centrale souvent présentée en raison de sa complexité par niveaux anatomo-fonctionnels (Pérennou et al., 2001 ; Bruyneel et al., 2008; Perrin & Lestienne, 1994). Aussi, la figure 2 est une modélisation de l’ organisation centrale de l’ équ i li bre postural.
Hémophilie et contrôle postural
De nombreux adultes atteints d’hémophilie grave présentent des lésions permanentes à une ou plusieurs articulations (Morais et al., 2016). La maladie articulaire peut entraîner une perte de l’amplitude articulaire, une atrophie musculaire (affaiblissement), une douleur et une limitation de la mobilité (Souza et al. , 2013). Certaines articulations sont plus susceptibles d’être touchées par les saignements que d’autres, notamment les genoux, les chevilles et les coudes, puisqu’elles sont des articulations charnières et qu’elles sont peu protégées des tensions latérales (RodriguezMerchan, 2016a). Les articulations sphériques, comme les épaules ou les hanches, sont bien protégées par les grands muscles et sont construites de façon à pouvoir bouger dans de nombreuses directions sans risque de blessure. La survenue de douleurs chez les hémophiles s’explique par la présence d’hématomes en périphérie des structures nerveuses (Rodriguez-Merchan, 2016a; Rodriguez-Merchan & Valentino, 2016a; Pulles et al., 2017). Chez les enfants atteints d’ hémophilie sévère, la première hémarthrose survient généralement lorsque l’enfant commence à nager ou à marcher souvent avant l’âge de deux ans, mais cela peut se produire plus tard. S’ ils ne sont pas correctement traités, les saignements répétés provoquent une détérioration progressive des articulations et des muscles, des pertes fonctionnelles graves en raison de la perte d’amplitude du mouvement, d’une atrophie musculaire, d’une douleur, d’une déformation articulaire, et des contractures au cours des deux premières décennies de la vie (Souza et al., 2013; Blobel et al., 2015). Feam et al. (2010) ont montré une déficience modérée dans la performance d’équilibre chez les hémophiles. Ce résultat était observé chez 20 participants hémophiles d’un âge moyen de 39,4 ans et des participants sains d’ un âge moyen de 40,3 ans.
Les participants étaient testés en posture debout standardisée pendant 10 secondes sur une plateforme de force, selon 4 modalités: (i) yeux ouvert, surface stable, (ii) yeux fermés, surface stable, (iii) yeux ouvert, surface mousse, (iiii) yeux fermés, surface mousse. D’autres tests comme un test de limite de stabilité et un test de marche ont également été réalisés. Les résultats indiquent que le taux de chute chez les hémophiles est plus élevé et qu’une différence significative est relevée au niveau de l’équilibre en position bilatérale dynamique. Souza et al. (2013) ont observé une différence significative de la vitesse moyenne de déplacement du centre de pression entre des participants hémophiles et des participants sains chez 20 enfants hémophiles d’âge moyen de 10,3 ans et 20 enfants sains d’un âge moyen de 10,4 ans. La comparaison des résultats des deux groupes qui ont été testés en posture debout sur une plateforme de force dans les mêmes conditions que l’étude Feam et al. (2010) montre une différence significative du quotient proprioceptif (au niveau de la surface de l’ellipse de confiance) obtenu par le rapport entre celui de la condition (iii) et (i). Les participants hémophiles ont une valeur plus élevée du quotient comparée à celle des participants sains signifiant moins de stabilité posturale. De plus un déséquilibre était observé dans les directions antéro-postérieure et medio-Iatérale.
Problématique et hypothèse
Des problèmes physiques communs ont été identifiés dans la littérature chez les personnes atteintes d’hémophilie et incluent des saignements intra-articulaires et intramusculaires qui peuvent provoquer une arthrite articulaire, une douleur aux membres, une faiblesse musculaire, une atrophie musculaire, une perte de proprioception et un manque de flexibilité articulaire (Hilberg et al. , 2001 ; Fearn et al., 2010; Hurz et al. , 2012). Il a été suggéré que ces déficiences, en particulier celles liées aux membres inférieurs, peuvent modifier le contrôle postural conduisant à un dysfonctionnement de l’équilibre (Hilberg et al. , 2001; Buzzard, 1998; Gallach et al., 2008). À notre connaissance, seules quatre études ont étudié les effets de l’hémophilie sur le contrôle postural (Hilberg et al., 2001; Gallach et al. , 2008; Fearn et al., 2010; Souza et al., 2013). Toutes ces études ont rapporté que la stabilité posturale est affectée par l’hémophilie chez les adultes (Hilberg et al., 2001 ; Gallach et al., 2008; Fearn et al. , 2010) et chez les enfants (Souza et al. , 2013). Les auteurs de ces études ont émis l’hypothèse que l’altération du contrôle postural observé chez leurs participants hémophiles pourrait être liée à un déficit des informations proprioceptives impliqués dans l’organisation du contrôle postural. Afin d’ étudier les effets de l’hémophilie sur le contrôle de la posture, cette recherche évaluera la station debout chez des adolescents hémophiles dans des conditions ou la vision et la proprioception seront perturbées. En effet, la manipulation d’une information sensorielle donne une estimation sur l’importance de cette information pour le contrôle de la posture tout en indiquant d’une part comment le système nerveux central adapte et réorganise l’information fournie par les sources restantes d’information sensorielle (Teasdale et al., 1991), et que d’autre part, l’hémophilie pourrait être reliée à un déficit de l’information proprioceptive nécessaire au contrôle de la posture, nous émettons l’hypothèse que les adolescents hémophiles auront nettement plus de difficultés à contrôler leur station debout que les adolescents asymptômatiques dans des conditions visuelles et proprioceptives altérées.
JURY D’IDENTIFICATION DU MÉMOIRE |