L’agression sexuelle (AS) est un acte criminel qui fait chaque année un nombre important de victimes partout dans le monde. L’AS est d’ailleurs considérée comme une problématique de santé publique depuis bon nombre d’années au Canada et dans plusieurs autres pays à travers le globe (OMS, 2012). Selon Hébert, Tourigny, Cyr, Mcduff, et Joly (2009), ce serait environ un homme sur dix (9,7%) et un peu plus d’une femme sur cinq (22,1%) qui auraient vécu au moins une agression à caractère sexuel avant d’atteindre l’âge de 18 ans au Québec. Ces résultats s’avèrent très semblables à ceux retrouvés sur le plan international. En effet, selon les résultats de deux métaanalyses regroupant les résultats d’études de prévalence de l’AS provenant de nombreux pays (Pereda, Guilera, Forns, et Gomez-Benito, 2009; Stoltenberg, Van Ijzemdoorn, Euser, et Berkmans, 2011), ce serait environ 8% des hommes et 18 à 20% des femmes qui auraient vécu une AS avant l’âge de 18 ans. D’ailleurs, parmi toutes les victimes d’AS (dans l’enfance ou à l’âge adulte), ce sont les enfants et les adolescents qui sont les plus représentés. À titre d’exemple, selon le Ministère de la Sécurité publique du Québec (2011), les victimes mineures d’AS représentaient 64% de toutes les victimes d’AS au Québec en 2011.
Enfin, les résultats recueillis lors de l’étude canadienne sur l’incidence des cas de violence et de négligence envers les enfants en 2008 montrent que 51 % des cas répertoriés d’AS portaient sur des incidents multiples et 49 % portaient sur un incident isolé. Malgré les études de prévalence ayant une méthodologie rigoureuse (Ministère de la Sécurité publique du Québec, 2011; Hébert et al., 2009; Pereda et al., 2009), il demeure difficile d’estimer avec justesse le nombre réel de victimes d’AS dans une société ainsi que la fluctuation de cette problématique dans le temps, car il existe une différence importante entre le nombre d’AS commises et le nombre de victimes qui les dévoilent (MacMillan, Jamieson, et Walsh, 2003). Afin d’en arriver au précédent constat, plusieurs études ont porté un regard sur la prévalence du dévoilement des AS. Les résultats de ces études suggèrent qu’une grande proportion des victimes d’AS ne dévoile pas. En effet, selon une étude réalisée auprès d’un échantillon de la population québécoise par Hébert et al. (2009), les victimes d’AS seraient moins d’une sur cinq à dévoiler l’agression. De plus, selon une méta-analyse effectuée par Stoltenborgh et al. (2011) regroupant les résultats de 217 études publiées entre 1980 et 2008 portant sur les AS envers les enfants, le nombre de victimes d’AS durant l’enfance serait plus de 30 fois plus élevé dans les études autorapportées que les données observées par les services de la protection de la jeunesse et par la police. Enfin, une étude menée au Canada auprès d’adolescents et d’adultes a démontré que seulement 8% des cas d’AS envers des mineurs avaient été rapportés aux services de protection de la jeunesse (MacMillan, et al., 2003).
L’agression sexuelle (AS) se définit comme: « un geste à caractère sexuel, avec ou sans contact physique, commis par un individu sans le consentement de la personne visée ou, dans certains cas, notamment dans celui des enfants, par une manipulation affective ou par du chantage. Il s’agit d’un acte visant à assujettir une autre personne à ses propres désirs par un abus de pouvoir, par l’utilisation de la force ou de la contrainte, ou sous la menace implicite ou explicite. Une agression sexuelle porte atteinte aux droits fondamentaux, notamment à l’intégrité physique et psychologique et à la sécurité de la personne » (Gouvernement du Québec, 2010). Cette définition fait donc état de tous les comportements sexuels perpétrés sans le consentement d’une personne ayant pour effet de brimer l’intimité, l’intégrité et la sécurité de cette dernière. La nature de ces comportements peut être très variée allant de l’exhibitionnisme, en passant par les attouchements sexuels inopportuns et allant jusqu’aux attaques sexuelles avec blessure physique grave (Code criminel Canadien, 2014).
Caractéristiques du dévoilement de l’AS
À la lumière de la littérature scientifique récente sur le sujet, il apparaît clair qu’une importante proportion des victimes d’AS ne dévoile pas et que les autorités telles que la police ou le personnel médical ne semblent pas être les premiers intervenants vers qui les victimes d’AS se tournent afin d’effectuer leur dévoilement (Fisher et al., 2003). À ce sujet, des études ont démontré qu’il existe certaines tendances dans le choix du receveur du dévoilement de l’AS. Ces études ont mis en lumière que les victimes d’AS tendent à dévoiler davantage à des gens représentant un soutien informel tels que leurs amis et leur famille plutôt qu’à des gens représentant un soutien formel tels que la police ou les intervenants sociaux (Fisher, Daigle, Cullen, et Turner, 2003; Siegel, Sorenson, Golding, Audrey, et Stein, 1989; Ullman, et Filipas, 2001). Plus précisément, les enfants plus âgés et les adolescents auraient davantage tendance à dévoiler l’AS à des pairs alors que les enfants plus jeunes se tourneraient davantage vers des adultes significatifs tels que les parents ou les grands-parents afin d’effectuer leur dévoilement (Hershkowitz, Lane, et Lamb, 2007; Kogan, 2004).
Malgré certaines différences dans le choix du receveur en fonction de l’âge de la victime, il semblerait qu’une importante proportion des enfants victimes d’AS se tournent vers leur mère afin d’effectuer leur dévoilement (Malloy, Brubacher, et Lamb, 2013; Schaeffer, Leventhal, et Asnes, 2011). En effet, les résultats de l’étude de Schaeffer et al. (2011) portant sur le receveur du dévoilement de l’AS montrent que 54,7% des enfants participant à l’étude ont choisi de dévoiler l’AS pour la première fois à leur mère alors que 69% des enfants de l’étude de Malloy et al. (2013) ont fait de même.
Afin de comprendre davantage les différents enjeux liés au dévoilement de l’AS, plusieurs auteurs ont tenté de le conceptualiser en déterminant des caractéristiques communes aux dévoilements des victimes d’AS. Ces auteurs ont proposé des patrons qui pourraient regrouper la grande majorité des dévoilements effectués par les victimes d’AS (Fontanella, Harrington, et Zuravin, 2000; Sorenson, et Snow, 1991). Ceux-ci proposent une typologie du dévoilement comptant deux types bien définis. Ces deux types de dévoilement sont le dévoilement volontaire (le dévoilement est fait de façon intentionnelle avec le désir de révéler l’existence de l’AS) et le dévoilement accidentel (dévoilement effectué sans réflexion ou intention de révéler l’existence de l’AS). Campis, Hebden-Curtis, et Demaso (1993) ont ensuite repris les deux premiers types et y ont ajouté un troisième type de dévoilement qu’ils ont qualifié de dévoilement précipité (dévoilement suite à un évènement qui fait resurgir des souvenirs ou des émotions reliées à l’AS).
Bien que cette typologie tripartite du dévoilement s’applique toujours à l’heure actuelle, certaines études ont affiné les connaissances sur le sujet en proposant certains facteurs pouvant inciter une victime d’AS à dévoiler (Alaggia, 2004). C’est alors qu’ont vu le jour d’autres modèles de dévoilement tels que la tentative de dévoilement comportementale (tentative de dévoilement intentionnel à l’aide de signaux non verbaux) et verbale indirecte (utilisation d’indices verbaux comme tentative de dévoilement), le dévoilement intentionnellement retenu et le dévoilement déclenché (dévoilement déclenché par la reviviscence de souvenirs ou d’émotions) (Alaggia, 2004). Schaeffer et al. (2011) ont poursuivi dans le développement des connaissances sur la catégorisation du dévoilement de l’AS chez les enfants et les adolescents. Leur étude a démontré que les enfants et les adolescents identifient généralement trois facteurs caractérisant leur dévoilement de l’AS : 1) le dévoilement résultant d’un stimulus interne (p. ex., un enfant qui fait des cauchemars suite à l’AS), 2) le dévoilement facilité par des influences externes (p. ex., l’enfant est questionné à propos de l’AS) et 3) le dévoilement résultant de preuves directes de l’AS (p. ex., quelqu’un a été témoin de l’AS). Cette catégorisation du dévoilement, bien qu’encore débattue à l’heure actuelle, permet de mieux comprendre la mécanique qui se trouve derrière le dévoilement de l’AS chez les enfants et les adolescents et d’y apposer une étiquette. Toutefois, elle ne permet pas de comprendre intégralement le dévoilement de l’AS dans toute sa complexité et de cerner les raisons qui poussent autant de victimes d’AS à ne pas dévoiler l’incident.
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