Caractéristiques de l’approche historique et de l’approche sociologique

Méthodologie

Approche sociohistorique

Noiriel suggère que l’histoire et la sociologie se définissent comme deux sous éléments de l’approche sociohistorique, car cette dernière est fondée, à la fois, sur « les principes fondateurs de l’histoire et de la sociologie » (Noiriel, 2006 : 3). Guibert et Jumel, de leur côté, évoquent le caractère interdisciplinaire de ces deux sciences qui se traduit par le principe « no man’s land frontalier (terre frontière d’aucun homme) ». Ce principe mentionne l’absence de la suprématie entre ces deux sciences permettant ainsi à l’histoire et à la sociologie de conserver leurs spécificités et d’apporter une certaine lumière sur une variété de thèmes. L’histoire se définit par la reconstitution et la compréhension « des évènements d’après les traces, sur le temps long », alors que la sociologie se définit par l’élaboration « des lois et rend compte des causes, sur le temps court » (Guibert et Jumel, 2002 : 3-4). Noiriel indique que l’approche sociohistorique « se définit plutôt comme une sorte de méthode historique » (Noiriel, 2006 : 6).

L’étude historique, selon Kochan, constitue une caractéristique majeure des relations industrielles qui affirme que les problèmes à étudier ne sont pas temporaires (Kochan, 1998 : 35-36). Certains chercheurs (p. ex. Commons, Durkheim, Weber et Marx) donnent également à l’histoire une grande importance dans leurs analyses. Durkheim, par exemple, a utilisé une étude historique comparative pour étudier la division sociale du travail et l’évolution du corporatisme (Willemez, 2014). Les deux Webb (1895) ont fait une étude sur l’histoire du syndicat et Commons (1909) a fait une étude historique sur les cordonniers (Kochan, 1998 : 35-36). Marx, de son côté, s’est basé sur une analyse historique pour tracer l’évolution des modes de production et ses conséquences sur les relations sociales. Il a fini par affirmer « que les phénomènes historiques, qui sont la seule réalité de l’histoire, ne sont pas autre chose que des formes (diverses, complexes) de la lutte des classes » (Balibar et Macherey, 2008 : 416). Plus précisément, Marx a défini « l’histoire de l’humanité comme un processus de très longue durée dont la direction est indiquée par le développement des “forces productives”, l’accumulation des richesses et la transformation des modes de production » (Noiriel, 2006 : 15).

Malgré la grande importance accordée à l’histoire par certains auteurs, elle a été marginalisée par d’autres chercheurs en relations industrielles (Patmore, 1998 : 214 ; 225). Lyddon et Smith (1996)162 mentionnent que la publication d’articles historiques a été très rare depuis 1979 dans « Industrial Relations Journals » en GB et aux États-Unis. Patmore indique également que durant la période 1990-1994, seulement 19 % des articles ont utilisé des données historiques parmi les articles publiés dans : Journal of Industrial Relations in Australia, Industrial and Labor Relations Review in United State et British Journal of Industrial Relations (Patmore, 1998 : 214-215). Même les chercheurs britanniques et américains qui ont adopté la recherche historique préfèrent la méthode quantitative au détriment de la recherche qualitative. Cette marginalisation est expliquée par la forte influence provenant des économistes du travail qui se focalisent, plus, sur les concepts mesurables (Patmore, 1998 : 215, 226)163.
Dans ce qui suit, nous présentons, en premier lieu, les principes fondateurs de chaque approche et les objectifs de l’approche sociohistorique. En second lieu, nous présentons les outils de l’approche sociohistorique.

Caractéristiques de l’approche historique et de l’approche sociologique et objectifs de l’approche sociohistorique

Dans cette sous-section, en nous basant sur les idées de Noiriel (2006), nous exposons d’abord les caractéristiques de l’approche historique et de l’approche sociologique. Puis, nous énonçons les objectifs de l’approche sociohistorique.
Sur le sujet de « l’histoire », Noiriel suggère que la première caractéristique de la méthode historique repose sur un examen critique des « choses » (ex. les institutions, les bâtiments, les archives) qui sont le produit « des activités humaines du passé ». Cette analyse critique a comme objectif l’identification des acteurs créateurs de ces « choses ». Comme deuxième caractéristique, Noiriel propose le rejet de « la démarche spéculative Hegelienne ». Enfin, l’auteur mentionne que la méthode historique s’appuie sur la « démarche empirique » basée sur les documents historiques conservés pour expliquer la réalité « des choses » vécues dans le passé (Noiriel, 2006 : 3-4, 8-9)164. Patmore, de son côté, suggère que la recherche historique adopte une vision de long terme pour éviter les pièges de l’analyse instantanée et s’intéresse à l’évolution des faits. Ainsi, l’auteur évoque que la recherche historique mène vers l’élaboration des cadres théoriques plus dynamiques que statiques (Patmore, 1998 : 211-212).

Concernant la sociologie, Noiriel évoque d’abord la décomposition « des entités collectives (ex. l’entreprise, l’État, l’Église) » pour mettre en lumière la nature du « lien social (les relations entre les divers acteurs) ». Deuxièmement, l’auteur expose le « caractère conflictuel des relations entre les individus », car « l’histoire de l’humanité montre que les quantitative dans respectivement 90 % et 62 % des articles historiques dans les recherches en relations industrielles (Patmore, 1998 : 215).
164Gabriel Monod indique que l’objectif de « la revue historique », qui a été créée en France en 1876, est « de rechercher la vérité » (Noiriel, 2006 : 10-11) luttes de concurrence et les compétitions entre les hommes pour acquérir des richesses, du pouvoir ou des honneurs ont toujours été une dimension centrale des rapports sociaux ». Troisièmement, comme dans le cas de l’histoire, l’auteur mentionne que la sociologie se présente « comme une science empirique » reposant sur le passé pour « comprendre le fonctionnement des sociétés humaines » et nie la démarche spéculative (Noiriel, 2006 : 4-5, 12, 36).

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Noiriel, à partir de son analyse des « principes fondateurs de l’histoire et de la sociologie », identifie deux objectifs de l’approche sociohistorique. Le premier objectif, qui est à caractère historique, concerne la clarification de la genèse historique des phénomènes, et ce, dans le but de « mieux comprendre comment le passé pèse sur le présent » (Noiriel, 2006 : 4) et de chercher « à comprendre et non à juger les actions humaines » (Noiriel, 2006 : 14). Le deuxième objectif, à caractère sociologique, se focalise sur l’impact des « formes d’indépendance (ex. la monnaie, les progrès techniques, les techniques bureaucratiques, les médias) » sur les relations entre les individus. Cela étant dit, l’approche sociohistorique cherche à mettre en lumière la relation entre le développement des moyens d’action à distance et le renouvellement des relations de pouvoir. Ainsi, elle a comme objectif « d’étudier les relations de pouvoir et les liaisons à distance qui lient les individus entre eux » (Noiriel, 2006 : 3-6, 14).

Outils de l’approche sociohistorique

Les sociohistoriens, selon Guibert et Jumel, peuvent utiliser, à la fois, les outils de l’histoire et de la sociologie, car ils « peuvent opportunément être associés » (Guibert et Jumel, 2002 : 2-3). Les outils de l’histoire se définissent par les sources orales portant sur le développement des évènements vécus par le témoin ; par les sources écrites et littéraires : les biographies et les journaux intimes ; par les sources archivistiques ; par les sources statistiques (méthode quantitative) : les tableaux de données, les graphiques, les histogrammes et les régressions pour tester les hypothèses ; par les sources visuelles à savoir les films, les video-tapes et les photographies (Guibert et Jumel, 2002 : 22, 24, 27, 30-31)165. Patmore indique que dans le monde du travail, la source de la « culture matérielle » est définie par les machines, les outils des travailleurs, le « drapeau » des syndicats, le bâtiment (Patmore, 1998 : 223-225). Concernant les outils de la sociologie, ils se caractérisent par les témoignages provoqués, l’entretien semi-directif qui est alors jugé « à la fois souple et contrôlé » ; par les témoignages disponibles (autobiographie, le récit de vie) et par les documents écrits (les documents archivistiques et statistiques officiels et privés) (Guibert et Jumel, 2002 : 36, 38, 41-43)166.

L’approche sociohistorique a été souvent utilisée pour expliquer en profondeur et chronologiquement une problématique en l’attachant au contexte historique, sociétal et culturel qui la nourrit et l’influence. Plusieurs études et recherches sociétales reposent sur une telle méthodologie. Barry a utilisé l’approche sociohistorique dans le but d’expliquer l’émergence des conflits ethniques dans les pays africains au sud du Sahara et les causes qui ont rendu les conflits sociaux en Afrique à nature ethnique (Barry, 1997 : I-II). Dans son étude, l’auteur a procédé à une étude diachronique de la Guinée (1958-1989) tout en effectuant une étude synchronique dans un contexte comparatif avec les autres pays du sud du Sahara. Cette étude diachronique et synchronique de type documentaire est basée sur des sources primaires (le Journal officiel, les journaux nationaux et étrangers, les tracts et les publications des ministères guinéens) et des sources secondaires (les monographies, les travaux thématiques et les travaux spécialisés) (Barry, 1997 : 5). Maury (2001 : ii, 2), en utilisant la même approche méthodologique, a cherché à « démontrer comment l’altérité [la particularité ou la qualité de ce qui est l’autre] dans le roman africain est construite dans une dialectique du colonisateur/colonisé et du dominant/dominé ». Dans son raisonnement, il a adopté une vision afrocentrique où l’Autre est l’Européen et le Blanc. Selon Maury, l’approche sociohistorique lui a permis de comprendre les conditions qui ont influencé, déterminé le discours romanesque en Afrique et de comprendre les éléments essentiels ayant défini le climat littéraire de l’époque étudiée (Maury, 2001 : ii, 2).

Enfin, Ndiaye (2007 : 15), en citant le cas du Sénégal, se demande si l’émergence de l’entrepreneuriat communautaire se limite aux stratégies de gestion de crise ou si elle est basée sur la prédiction d’une dynamique d’autopromotion socio-économique visant la création de richesses et de reconfiguration du mode de régulation. Selon l’auteur, l’approche sociohistorique, qui détermine les conditions d’émergence et d’évolution, lui a permis de déterminer les diverses stratégies de politique publique adoptées depuis l’indépendance (1960) jusqu’à l’année 2004, les acteurs émergents, les décisions et les caractéristiques entrepreneuriales, et ceci, par « la structure de production ainsi que du système de représentation et d’organisation sociale qui leur confèrent sens et cohérence » (Ndiaye, 2007 : 22, 26, 153, 163, 210).

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