Caractéristiques associées à l’acte du filicide paternel
Trois caractéristiques associées à l’acte du filicide paternel sont présentées, soit les motivations associées au délit, les méthodes utilisées et le suicide suite à l’homicide. Motivations. Tout comme pour le filicide maternel, diverses motivations sont associées au filicide paternel. Un trouble mental, plus précisément un trouble dépressif majeur ou un trouble psychotique, est la motivation dans près de 64 % des filicides paternels selon Bourget et Gagné (2005). Hatters Friedman et al. (2005) rapportent que 10 % des pères ont tué leur enfant pendant une crise psychotique. Dubé et al. (2004) et Liem et Koenraadt (2008) indiquent qu’une psychose est la motivation dans respectivement Il % et 14 % des filicides paternels. Une motivation altruiste est présente chez 8 % (Liem & Koenraadt, 2008), chez 14 % (Dubé et al., 2004) et chez 60 % des pères (Hatters Friedman et al., 2005), dépendamment des études. Marleau, Poulin et al. (1999) indiquent qu’une motivation altruiste est présente dans 20 % des filicides et un suicide élargi 1 dans 30 % des cas. Ils précisent que dans 30 % des cas la motivation du suicide élargi est altruiste.
La vengeance envers la conjointe est trouvée dans 4 %, 39 %, 24 % et 10 % des filicides paternels selon respectivement Bourget et Gagné (2005), Dubé et al. (2004), Liem et Koenraadt (2008) et Marleau, Poulin et al. (1999). Les auteurs mentionnent que cette vengeance fait souvent suite à une séparation conjugale, qu’elle soit anticipée, imaginée ou réelle. Il peut aussi s’agir d’un contexte de violence conjugale ou d’une perte de garde parentale. Selon Léveillée et al. (2007), dans les filicides non suivis d’un suicide, la vengeance envers la conjointe, suite à une séparation conjugale, est la motivation pour 13 % des pères, alors que dans les cas de filicides suicides elle l’est dans 57 % des cas. Les abus physiques menant à la mort de l’enfant sont présents chez 27 à 50 % des filicides paternels (Dubé et al., 2004; Kauppi et al., 2010; Léveillée et al., 2007; Liem & Koenraadt, 2008; Wilczynski, 1995). Selon Bourget et Gagné (2005), les abus physiques mortels représentent la motivation dans 24 % des cas. Par ailleurs, Adinkrah (2003) indique qu’un châtiment physique conduisant à la mort, une rage violente contre la mère, de la négligence avec des abus répétés et des coups portés pour faire cesser un enfant de pleurer sont présents dans chacun 16,6 % des filicides.
Méthodes utilisées
Les pères utilisent diverses méthodes pour commettre le filicide, mais selon West et al. (2009), les méthodes utilisées impliquent fréquemment de la violence causant des blessures telles que battre l’enfant à mort, le poignarder ou tirer sur lui avec une arme à feu. De plus, ils ajoutent que les traumatismes à la tête sont fréquents. Les pères ont utilisé une arme à feu dans 75 % des filicides selon l’étude de Hatters Friedman et al. (2005), alors que dans celle de Liem et Koenraadt (2008), seulement 4 % des pères ont choisi cette méthode. Les auteurs ne mentionnent pas si cela a un lien avec l’accessibilité des armes à feu. Cependant, il est possible de le croire puisque ces études proviennent de pays différents. Selon Kauppi et al. (2010), une arme à feu a été utilisée par les pères dans 56 % des cas de filicides suicides et dans 17 % des cas de filicides. Bourget et Gagné (2005) et Léveillée, Marleau et al. (2010) notent qu’une arme à feu est utilisée dans 34 % et 28 % des filicides. Marleau, Poulin et al. (1999) mentionnent que la méthode la plus utilisée est de poignarder l’enfant et cette méthode est utilisée par 12 % des pères selon Bourget et Gagné (2005) et par 25 % selon Liem et Koenraadt. De plus, Bourget et Gagné (2005) indiquent que l’enfant a été battu à mort dans 22 % des cas et étranglé dans 10 % des cas. Adinkrah (2003) et West et al. (2009) rapportent aussi l’étranglement comme méthode utilisée par les pères. Liem et Koenraadt et Kauppi et al. (2010) précisent que 23 % et 28 % des pères utilisent la strangulation. D’autres méthodes telles que la noyade, l’empoisonnement, le feu ou l’utilisation d’un objet contondant sont aussi rapportées par les auteurs comme étant utilisées par les pères filicides. En effet, un objet contondant est utilisé par 36 % des pères (Kauppi et al., 2010) et par 9 % des pères (Liem & Koenraadt, 2008).
Compréhension théorique du passage à l’acte filicide
Bien qu’il y ait peu d’auteurs ayant publié sur la compréhension théorique du passage à l’acte filicide, certains ont tenté d’y apporter un éclairage théorique. Cette section présente brièvement certains éléments de compréhension de ce type d’homicide. Durif-V arembont (2013) mentionne qu’une accumulation de pertes et de ruptures d’étayage est souvent présente dans le contexte précédent le passage à l’acte filicide. Cette accumulation crée une situation de stress vécue comme une impasse par le parent qui a par la suite de la difficulté à se sortir de cette impasse. Le parent peut alors se sentir isolé et désespéré et en venir à croire que le filicide est la seule option possible. Verschoot (2013) explique aussi que le filicide survient souvent dans un contexte de séparation réelle ou supposée. Pour les parents filicides, la présence réelle de l’objet (l’enfant) est ce qui soutient leur narcissisme défaillant. Ces parents n’arrivent pas à concevoir psychiquement la séparation puisque leur existence psychique repose sur la présence réelle de l’objet.
Cette présence de l’objet comble un vide interne, alors lorsqu’il disparait, ces parents se sentent anéantis et désespérés. Dans la perte, l’enfant qUI comblait un vide devient alors objet de la haine et est condamné à être détruit. Selon Marleau, Roy et al. (1999), chez les filicides, la présence d’une perception au sujet des mauvais traitements, que ce soit des abus physiques, psychologiques ou de la négligence, subis de leurs propres parents est souvent notée. Cette perception s’avère parfois juste, mais elle résulte souvent d’une fausse vision chez des personnes présentant une structure de personnalité fragile ou souffrant d’une psychopathologie. L’aide apportée par les proches qui tentent d’aider la personne lui renvoie, de façon projective, une image d’agresseur, comme s’il était un ennemi qui la harcèle. Cela arrive davantage chez les parents filicides présentant des traits de personnalité paranoïdes, narcissiques ou limites et chez qui les frontières du moi sont floues et chez qui on retrouve souvent des mécanismes projectifs. Étant donné une structure de personnalité fragile, certains parents filicides peuvent privilégier le passage à l’acte comme mécanisme de défense principal, dont la fonction est de réduire la souffrance subjective.
Pour Durif-Varembont (2013), le passage à l’acte homicide dans la famille peut être considéré comme une tentative désespérée de vouloir contrôler l’autre à tout prix, allant jusqu’à la disparition de celui-ci. Il explique que cela arrive, par exemple, dans les situations où le père tue son enfant pour faire cesser ses pleurs. L’angoisse est si envahissante qu’elle déborde les capacités du parent d’obtenir de l’aide et elle ne trouve pas de mode de résolution autre que le passage à l’acte violent. Par ailleurs, chez les parents fragiles, le processus de différenciation que le développement de l’enfant impose peut entrainer une angoisse de séparation intense faisant surgir des idées suicidaires. Cependant, en raison de la relation fusionnelle avec l’enfant, le parent croit être la seule personne pouvant subvenir aux besoins de l’enfant de façon convenable. Cela amène le parent à croire que l’enfant sera lui aussi mieux mort que vivant, puisqu’il a la perception que la vie de son enfant sera elle aussi marquée par des souffrances insupportables (Marleau, Roy et al., 1999).
Millaud, Marleau, Proulx et Brault (2008) mentionnent aussi que les mères filicides ont souvent la conviction d’être les seules à pouvoir prendre soin de leur enfant. Il arrive que l’enfant soit perçu comme le prolongement de la mère et alors la détresse de celle-ci devient celle de son enfant dans son esprit. Les auteurs ajoutent qu’une identification ambivalente des femmes à leur mère, un déni du rôle maternel, de l’hostilité ou une sur-identification à l’enfant ou des troubles de l’identité peuvent être observés. Durif-Varembont (2013) explique que les pères, contrairement aux mères, ne peuvent faire un déni de grossesse. Par contre, ils peuvent nier leur paternité ou s’engager dans celle-ci d’une façon paranoïde empreinte de rivalité et de méfiance. Le père pourrait sentir une rivalité envers son fils pour l’affection maternelle et cette rivalité pourrait être une motivation à commettre l’homicide de son fils. Par ailleurs, lorsque la motivation pour commettre le filicide est la vengeance envers l’autre parent, l’enfant n’est alors pas aimé pour lui-même, mais plutôt utilisé comme un objet. L’enfant devient donc un moyen pour faire souffrir l’autre parent.
Études sur le parricide masculin
La prochaine section présente des études réalisées sur les parricides dans les dernières années. Ces études ne seront pas séparées en fonction du sexe de l’agresseur, car contrairement aux cas de filicides, les agresseurs sont presqu’exclusivement des hommes et la très grande majorité des études portent sur ceux-ci. Dans les études consultées, de 86 à 100 % des parricides sont masculins. Tout comme pour les études sur le filicide, certaines sont descriptives (décrivant le profil des auteurs du parricide ou l’homicide lui-même) et d’autres comparatives. Pour ce dernier type d’étude, les comparaisons ont été effectuées entre des matricides (homicide de la mère) et des patricides (homicide du père) (Bourget, Gagné, & Labelle, 2007), entre des parricides et des homicides d’une personne inconnue de l’agresseur à partir d’une population en hôpital psychiatrique (Baxter, Duggan, Larkin, Cordess, & Page, 2001), entre des parricides de pères biologiques et ceux de beaux-pères (Heide, 2014), entre des parricides commis par des adolescents et ceux commis par des adultes (Marleau, Auclair, & Millaud, 2006) et entre des parricides et des tentatives de parricides (Marleau, Millaud, & Auclair, 2003).
Par ailleurs, il existe une littérature sur les parricides adolescents exclusivement, mais celle-ci ne sera pas abordée puisque ce travail porte uniquement sur les agresseurs adultes. De plus, les parricides adolescents sont considérés comme étant fort différents de ceux commis par des adultes (Marleau et al.,2006). Les études sur les parricides adultes ont été réalisées presqu’exclusivement à partir d’études de dossiers (Coroner, évaluations psychiatriques). La taille des échantillons de la plupart des études varie de 7 à 98 parricides, alors qu’une étude, celle de Heide (2014) a un échantillon de 5932 parricides commis de 1976 à 2007 aux États-Unis. Par ailleurs, plusieurs caractéristiques sont décrites par les auteurs. Les principales qui seront présentées ici sont les mêmes que celles abordées dans la section sur le filicide, soit les caractéristiques sociodémographiques (l’âge du parricide, l’âge des victimes, le sexe des victimes et le statut conjugal), les caractéristiques associées à l’acte du parricide (motivations associées au délit, méthodes ui:ilisées, suicide suite à l’homicide) et les caractéristiques situationnelles associées au parricide (santé mentale, mauvais traitements vécus durant l’enfance, consommation d’alcool et de drogue, antécédents criminels)
Introduction |