Caractérisation rhéologique des suspensions d’oxydes
La mise en œuvre des composites à matrice céramique oxyde/oxyde comprend plusieurs étapes dont l’imprégnation du renfort fibreux par la matrice. Celle-ci est décisive puisqu’elle doit assurer une répartition homogène des particules dans les espaces inter- et intra-mèches du renfort. Or, la réussite de cette opération repose sur la capacité du fluide à s’écouler au sein de la structure fibreuse. Autrement dit, la maîtrise du comportement rhéologique des suspensions est primordiale.Les procédés par voie liquide considérés pour les CMC oxyde/oxyde dérivent des techniques utilisées pour la fabrication des CMO. Dans ces méthodes, le fluide d’imprégnation possède un comportement idéalement newtonien où sa viscosité est significativement inférieure à 1 Pa.s [90]. En outre, les suspensions céramiques employées dans ces travaux présentent des caractéristiques atypiques. En effet, elles font intervenir deux populations de particules qui diffèrent, entre autres, par leurs natures chimiques et par leurs tailles. Ainsi, suivant la proportion de ces deux familles dans le mélange, les interactions mises en jeu et l’arrangement des particules vont varier, ce qui va grandement influencer le régime d’écoulement. Par conséquent, l’évaluation des propriétés rhéologiques à partir de la littérature s’annonce complexe. Une caractérisation rhéologique des suspensions d’oxydes est alors indispensable.
L’objectif de ce chapitre est de présenter et d’analyser l’ensemble des résultats obtenus au cours de cette étude. Les données recueillies permettent, d’une part, de décrire le comportement rhéologique des suspensions d’oxydes ainsi que les phénomènes physiques associés et, d’autre part, de qualifier l’influence de différents paramètres sur ce comportement, tels que la vitesse de cisaillement, la fraction volumique solide ou encore la proportion alumine-silice du mélange. Par ailleurs, en plus d’être importante pour la formulation des suspensions, l’étude de ces deux derniers paramètres permet de comprendre l’écoulement dans le cas où une population de particules, voire les deux, est filtrée au cours de l’imprégnation du renfort fibreux.En outre, bien que cette étude soit centrée sur le cas des suspensions bi-composant, il est nécessaire de s’intéresser également aux suspensions primaires, c’est-à-dire à celles de silice et à celles d’alumine. En effet, leurs caractérisations et les interprétations qui en découlent ne peuvent qu’alimenter les réflexions concernant la compréhension du comportement rhéologique des suspensions bi-composant. En particulier, étant donné que la formulation des suspensions d’alumine est parfaitement connue, ce qui est moins le cas pour la silice commerciale, celles-ci constituent un cadre de référence pour l’étude de l’influence de certains paramètres.
Description du comportement rhéologique des suspensions
La présentation des résultats de l’étude rhéologique débute par une description générale du comportement des suspensions d’oxydes. Dans cette section, l’approche proposée demeure à un niveau qualitatif. Toutefois, elle permet déjà d’apporter des premiers éléments de compréhension. En effet, les suspensions peuvent être assimilées à un système rhéofluidifiant pour lequel le comportement est gouverné par les mouvements browniens, les interactions colloïdales et les interactions hydrodynamiques. De plus, cette approche oriente les démarches ultérieures qui permettront de quantifier l’influence des différents paramètres et ainsi de venir enrichir plus finement la compréhension du comportement.
Tout d’abord, les valeurs de viscosité obtenues lors de la montée en vitesse de cisaillement ne coïncident pas avec celles obtenues lors de la descente. Ces écarts, synonymes d’un comportement thixotrope ou viscoélastique, sont particulièrement observés aux faibles vitesses de cisaillement. Par ailleurs, pour certaines d’entre elles, aucune valeur de la viscosité n’a pu être mesurée. En effet, les conditions de régime stationnaire définies pour cette étude, et qui correspondent au fait que la contrainte de cisaillement ne doit pas varier de plus de 2% pendant 15 s, n’ont pas été atteintes au bout de la durée maximale de la mesure qui est de 120 s. Ce constat se répète notamment au niveau des faibles vitesses de cisaillement pour des suspensions peu chargées.
Dans une suspension diluée, la présence d’une particule au sein d’un fluide induit des perturbations du champ de vitesses par rapport à celui qui serait obtenu sans la particule. En effet, le fluide doit « contourner » cet élément du fait de l’écoulement. La suspension présente, tout de même, une viscosité constante mais sa valeur est plus élevée que celle du fluide interstitiel étant donné que la dissipation d’énergie de type hydrodynamique est plus importante à cause de ces perturbations [119]. De plus, lorsque la concentration volumique augmente, les perturbations induites par une particule s’étendent jusqu’à ses voisines. Autrement dit, les particules présentent, entre elles, des interactions hydrodynamiques. Ainsi, lorsque ce phénomène physique prédomine, plus la charge en solide augmente, plus la viscosité de la suspension est élevée. Au niveau des rhéogrammes, les plateaux à viscosité constante correspondent donc au domaine de prédominance des interactions hydrodynamiques. En effet, la viscosité y est constante, plus élevée que celle de l’eau (considérée comme le fluide interstitiel) et augmente avec la concentration volumique en particules. En outre, ces plateaux apparaissent dès 1 sPar ailleurs, les parties rhéofluidifiantes des rhéogrammes des suspensions, sont gouvernées, suivant la fraction volumique solide, soit par les mouvements browniens, soit par les interactions colloïdales. D’un côté, du fait de l’agitation thermique, les molécules du fluide interstitiel entrent en contact avec les particules de la suspension. Ces collisions tendent alors à éloigner les particules de leurs positions initiales. En conséquence, elles présentent des mouvements aléatoires indépendants de l’écoulement macroscopique imposé à la suspension. Ces mouvements browniens sont particulièrement significatifs lorsque les éléments solides sont de petites tailles, inférieures au micron [120], comme c’est le cas ici. De plus, la viscosité des suspensions dans ce domaine est supérieure à celle dans le domaine de prédominance des interactions hydrodynamiques. En effet, les mouvements browniens induisent une diffusion des particules d’une couche de la suspension vers une autre, ce qui conduit à des transferts de quantité de mouvement puisqu’une particule provenant d’une couche de départ possède une vitesse différente de celle de la couche d’arrivée.