Diversité génétique, structure et activité des communautés microbiennes des sols sous l’influence de Jatropha curcas L
La culture de Jatropha curcas L (JCL)
Caractéristiques de JCL : botanique, écologie, productivité et biocarburant
Jatropha curcas L. est une plante buissonnante de la famille des Euphorbiaceae (Hammer et Heller, 1998 ; Assogbadjo et al., 2009). Il est résistant à la sécheresse et peut être cultivé même en dessous de 200 mm/an. Cette plante est bien adaptée aux conditions semiarides et aux terres marginales, perd ses feuilles pendant la saison sèche ou lorsque la pluviométrie est réduite (Hammer et Heller, 1998 ; Achten et al., 2007 ; Abugre et al., 2011 ; Ong et al., 2011 ; Singh et Ghoshal, 2011). Cependant, de bonnes conditions environnementales sont nécessaires pour une bonne productivité de Jatropha (Achten et al., 2007). Les sols profonds, de texture sableuse à structure grumeleuse où son système racinaire peut se développer de manière optimale (Domergue et Pirot, 2008) semblent mieux convenir à la culture de Jatropha et une pluviométrie d’au moins 500 mm est nécessaire pour une bonne productivité. La plantation de Jatropha peut se faire par semis direct, pépinière ou propagation par bourgeonnement végétatif (Eijck et al., 2012). Cette plante développe un excellent système racinaire (Behera et al., 2010) ; avec une racine pivotante et des racines latérales en semis direct (Achten et al., 2007). La méthode de propagation par bourgeonnement végétatif permet à la plante de se développer plus vite ; cependant, la plante ne développe pas de racine pivotante. Ainsi, la mise en place d’une plantation de Jatropha par propagation végétative serait inadéquate sur des sols arides (Eijck et al., 2012). La culture de Jatropha (photos 1 et 2) n’exige pas de grands investissements ni de grandes machineries (Pandey et al., 2012), ne demande pas beaucoup d’intrants (engrais, pesticides) et n’entre pas en compétition avec les cultures vivrières annuelles (Hammer et Heller, 1998 ; Singh et Ghoshal, 2011). Cette plante produit des graines dès la première ou la deuxième année de plantation (Dia et al., 2010). La fertilisation organique semble mieux adaptée pour la culture de Jatropha par rapport à l’engrais minéral (Varadharajan et al., 2008). De plus, les cultures de J. curcas peuvent être amendées par les tourteaux issus de l’extraction de l’huile de J. curcas lui-même (Behera et al., 2010) pour l’augmentation des rendements de cultures dans le cadre d’une production de biocarburant. Ces tourteaux constituent un excellent Chapitre 1: Synthèse bibliographique 6 fertilisant organique, donnant de meilleurs rendements comparés à l’engrais chimique (apport de NPK commercial). L’utilisation de ces tourteaux comme amendement organique sur les cultures vivrières fait l’objet de controverses du fait de sa toxicité (présence de curcine et de phorbol-esters) ; ainsi, leur utilisation sur les cultures de J. curcas pourrait être conseillée aux agriculteurs et aux producteurs de cette filière. Les rendements en culture pure de Jaropha ne dépassent pas 500 kg ha-1 au Sénégal dans la vallée du fleuve (Terren et al., 2012), 300 kg ha-1 au Burkina, mais pouvant atteindre 1.250 kg ha-1 dans une situation de mise culture sur des sols fertiles dans ce pays (Derra, 2014) et 875 kg ha-1 en Tanzanie (Wahl et al., 2009). Les études de Augustus et al. (2002) ont montré que les graines de Jatropha contiennent 19 % d’huile, 4,7 % de polyphénol et 3,9 % d’hydrocarbone. Cette huile est composée principalement d’acides gras insaturés (acide oléique et acide linoléique ; autour de 80 %) (Martínez-Herrera et al., 2006 ; Domergue et Pirot, 2008) et d’acides gras saturés (acide palmitique et stéarique). Cette forte proportion d’acides gras insaturés rend l’huile instable et facilite son oxydation et son acidification (Domergue et Pirot, 2008). L’huile non comestible issue des graines de Jatropha (Ong et al., 2011) est considérée comme une alternative au diesel (Openshaw, 2000 ; Behera et al., 2010 ; Ong et al., 2011) conforme aux standards internationaux (Daudet et al., 2011). Les biodiesels sont de longues chaines d’esters d’acide gras mono-alkyl produits à partir des ressources biologiques renouvelables telles que les huiles végétales et les graisses animales (Yang et al., 2014). Les biodiesels sont biodégradables, non toxiques et n’ont pas d’effet néfaste sur l’environnement comparés aux pétro-diesels et peuvent être utilisés sur des moteurs diesels (Silitonga et al., 2011). La trans-ésterification permet de réduire la viscosité des huiles végétales permettant ainsi l’amélioration de sa qualité avec des proportions similaires (Lin et al., 2011) ou meilleures (Silitonga et al., 2011) que le diesel. Chapitre 1: Synthèse bibliographique 7 Photo 1 : Culture de Jatropha curcas (Crédit photo : T. Dièye, Kaffrine 2013) La popularité de cette plante vient du fait qu’en plus de la production d’huile, les tourteaux peuvent être utilisés pour la production de biogaz (Eijck et al., 2012) et plusieurs parties de la plante sont utilisées en médecine traditionnelle et pour la fabrication de savon (Hammer et Heller, 1998 ; Varadharajan et al., 2008 ; Behera et al., 2010). Photo 2 : Jatropha curcas, un candidat potentiel pour la production de biodiesel et de développement durable : (a) capacité de se développer dans diverses conditions (rocheuse) avec (b, d) des graines contenant une grande quantité d’huile et un grand potentiel de séquestration du carbone dans les sols (c) (source : Abhilash et al., 2011). Chapitre 1: Synthèse bibliographique 8 Les études de Reddy et al. (2015) menées dans un climat semi-aride dans le sud de l’Inde montrent que les plantations de Jatropha apportent une grande quantité de litière au sol avec des valeurs annuelles de 2,74 tonnes ha-1, 2,48 tonnes ha-1, 2,41 tonnes ha-1, 1,81 tonnes ha-1, 1,79 tonnes ha-1 respectivement avec des écartements de 2mx2m, 3mx2m, 3mx3m, 4mx2m, 4mx3m. La majeur partie de ces litières est d’origine foliaire et assure le retour des composants biologiques au sol dont la décomposition est essentielle pour le flux des nutriments (Patrício et al., 2012).
Les résidus de Jatropha curcas L. (JCL) ont une faible valeur nutritive donc non utilisés comme aliment de bétail (Openshaw, 2000). Les plantations de Jatropha apportent ainsi une grande quantité de litière donc de matière organique aux sols (Reddy et al., 2015) qui constituent une excellente source de carbone organique pour ces sols (Zhang et al., 2013). Figure 1: Possibilités d‘exploitation de la plante Jatropha curcas L. et de ses produits d’après Domergue et Pirot (2008). JATROPHA CURCAS L. Prévention et contrôle de l’érosion des sols grâce à son architecture racinaire Lutte contre la désertification par la restauration d’un couvert végétal dans les sols marginaux Séquestration de carbone Haies vives défensives Bois de taille Fruits Feuilles Usage médicinal Graines Insecticides Alimentation (variétés non toxiques) Pulpes Combustibles Production de biogaz Fertilisant Huile Carburant (huile pure ou biodiesel après transestérification) Production de savon Insecticide Usage médicical Pétrole lampant Tourteaux Engrais organique Alimentation animale Production de biogaz Biocombustible Coques Biocombustible Synthèse de charbon actif
La promotion de la culture de JCL au Sénégal
Comme la plupart des pays africains, le secteur énergétique sénégalais se caractérise par une forte dépendance vis-à-vis des importations de pétrole pour faire face aux besoins du pays en énergie et particulièrement pour la production d’énergie électrique (Dia et al., 2010). Par exemple, la production d’électricité de ce pays est essentiellement dépendante de l’importation du pétrole (Thiam et al., 2012). Cette dépendance vis-à-vis de l’importation de pétrole fait que le secteur énergétique de ce pays éprouve d’énormes difficultés. L’insertion des biocarburants dans les espaces agricoles sénégalais pourrait permettre de lutter contre la dépendance énergétique du Sénégal (Dia et al., 2010). Au Sénégal, Jatropha curcas a été considéré comme biocarburant prometteur du fait de sa grande adaptabilité aux conditions climatiques et socio-économiques du pays (Archer, 2015). Ainsi, la plante est retrouvée dans presque toutes les régions du pays surtout à travers d’anciennes plantations, sous forme de haies vives (Enda ENERGIE, 2010) pour la délimitation des parcelles (Domergue et Pirot, 2008). Cependant, Jatropha curcas peut être cultivé en association avec les cultures vivrières telles que le mil, le sorgho, le maïs et l’arachide (Diédhiou et al., 2012). Pour la mise en place d’une culture intercalaire, il est préférable que les plants de Jatropha soient issus de graines et non de boutures, car le système racinaire des plants semés directement entre moins en compétition avec le système racinaire des cultures associées (Hammer et Heller, 1998 ; Domergue et Pirot, 2008) pour l’eau et les nutriments. Pour éviter une compétition pour la lumière solaire, une distance de plantation de trois à cinq mètres est nécessaire pour l’association de Jatropha avec d’autres cultures (Eijck et al., 2012).
Le sol : propriétés et fonctions
Propriétés physico-chimiques du sol
Partie superficielle meuble de l’écorce terrestre, le sol est situé à l’interface de l’atmosphère, de la lithosphère, de l’hydrosphère et de la biosphère (Mostajir et al., 2012). Il est considéré comme un lieu dans lequel interagissent les parties solides, liquides, gazeuses et les éléments biologiques (Schmidt et al., 2011) et constitue un important lieu pour les cycles biogéochimiques tels que ceux de l’eau, du carbone, de l’azote et du phosphore (Mostajir et al., 2012). L’une des composantes essentielles du sol est la matière organique (MO) ; cette dernière assure la cohésion des autres constituants du sol contribuant à sa structure et sa stabilité (Balesdent, 1996). Elle provient principalement des résidus de plantes (litière, exsudats racinaires) dont l’apport et la transformation varient en fonction des végétations, du sol et du type de climat (Metay et al., 2009). La MO a de nombreuses propriétés qui lui confèrent des fonctions essentielles dans les agroécosystèmes et en font un élément important dans la fertilité des sols (Balesdent, 1996). II-2-Fonctionnement du sol Le sol se comporte à la fois comme un lieu de stockage et comme un lieu de transformation (Calvet, 2003). Il participe à la régulation du climat en contrôlant les flux des gaz à effet de serre, mais aussi de la séquestration du carbone (Lavelle et al., 2006). Les sols jouent un rôle important dans la fourniture de services et biens aux êtres humain (Mostajir et al., 2012).
Fonction de transit du sol
Le sol, un lieu de transit, constitue une plaque tournante (Figure 2) dans les cycles biogéochimiques notamment dans les cycles de l’azote, du carbone, du soufre et du phosphore (Calvet, 2003). Ainsi, dans le sol, la matière organique est source d’éléments nutritifs. La matière organique est une importante source d’énergie pour les microorganismes hétérotrophes (Staelens et al., 2011 ; Wani et al., 2012). La décomposition de cette MO produit du CO2 et d’autres nutriments (Mostajir et al., 2012) tels que l’azote, un élément important pour la croissance des plantes et souvent limitant pour la productivité agricole (Barrios, 2007). La MO augmente d’une certaine manière la qualité des sols ; c’est-à-dire leur capacité à fonctionner (Karlen et al., 1997).
Fonction de séquestration du carbone
La séquestration du carbone dans le sol doit être considérée comme le résultat du bilan net, de tous les flux directs et indirects de gaz à effet de serre à l’interface sol-plante-atmosphère (Bernoux et al., 2004). Ainsi, le stockage de carbone dans le sol est fonction du temps de transit du carbone dans le sol (Couteaux et al., 1995 ; Balesdent, 1996). Ce stockage du carbone dépend en partie de la décomposition de la litière, mais aussi du type et de la profondeur du sol. Une baisse de la teneur en carbone est observée avec la profondeur du sol (Jobbágy et Jackson, 2000 Chapitre 1: Synthèse bibliographique 12 ; Arrouays et al., 2003) du fait que le carbone organique provenant principalement de la litière et des mécanismes permettant l’enfouissement ont lieu dans la couche supérieure du sol. Ainsi, la biomasse et la respiration microbienne diminuent avec la profondeur du sol (Scheu et Parkinson, 1995). Les exsudats racinaires contribuent également au stockage du carbone ; un autre facteur expliquant la diminution de la teneur en carbone en fonction de la profondeur est le type de végétation lié à la longueur des racines et de la quantité des exsudats.
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