Caractérisation génétique des tumeurs ovariennes chez la femme

Altérations génétiques et cancers

La cancérogenèse est un processus complexe, dicté par l’accumulation progressive d’altérations génétiques et épigénétiques affectant les facteurs contrôlant la différenciation, la division et la mort cellulaire (Moyret-Lalle et al., 2008). Deux grands types de mutations sont associés aux tumeurs : les mutations des oncogènes et les mutations des gènes suppresseurs de tumeurs.
Lorsque les oncogènes sont mutés, les protéines qu’ils codent sont activés dans les cellules tumorales possédant l’allèle mutant dominant. En général, une cellule tumorale est hétérozygote pour une mutation oncogène et pour son équivalent allélique normal. Les allèles mutant tumorigènes des gènes suppresseurs de tumeurs inactivent les protéines qu’ils codent. Dans le cas
de ces mutations, la cellule tumorale est dépourvue de toute copie de l’allèle de type sauvage correspondant ; la plupart des mutations suppresseurs de tumeurs présentes dans les cellules tumorales sont récessives (Griffiths et al., 2001). Il faut cependant nuancer ces notions, car d’une part la réduction d’activité de certains gènes suppresseurs de tumeurs, par exemple par haploinsuffisance, suffit parfois à conférer un avantage sélectif vers la malignité. D’autre part, certaines mutations de gènes suppresseurs de tumeurs ont une action dominante, tout en inhibant la fonction du gène (action dominante négative). La majorité de ces mutations et remaniements de l’ADN sont acquis et transmis lors de la division cellulaire (Stoppa-Lyonnet et al., 2010). La transformation tumorale est un phénomène multi-étapes, nécessitant l’activation de plusieurs oncogènes et l’inactivation de plusieurs gènes suppresseurs de tumeurs (Sjöblom et al., 2006). Sur la base d’études in vitro, on estime que 5 à 10 événements génétiques affectant des oncogènes et des gènes suppresseurs de tumeurs sont nécessaires à la transformation maligne d’une cellule humaine (Hahn et al., 1999 in Moyret-Lalle et al., 2008). Les analyses récentes par séquençage de tumeurs humaines confortent l’hypothèse «multi-génique» des cancers, une tumeur donnée présentant, en moyenne, une quinzaine de mutations délétères, accompagnées de dizaines de mutations dites passagères dans des régions codantes (Wood et al., 2007). L’acquisition du phénotype tumoral est donc intimement liée à l’augmentation de l’instabilité génétique qu’elle soit d’origine extrinsèque par exposition à des agents physiques ou chimiques ou d’origine intrinsèque par anomalies de très nombreuses voies de métabolisme des mutagènes et de réparation du génome (Stoppa-Lyonnet et al., 2010). De nombreuses altérations génétiques qui affectent les gènes régulateurs de croissance ont été identifiées dans les cellules néoplasiques au cours des dernières années. On distingue différents types de modifications : Mutations ponctuelles : ces changements impliquent des substitutions de bases ou des suppressions ou insertions de quelques nucléotides ;
Modifications du nombre de chromosomes : ce qui peut entraîner des pertes ou des gains de chromosomes entiers (aneuploïdie) ;
Translocations chromosomiques : Au niveau moléculaire, ces translocations peuvent donner lieu à des fusions entre deux gènes différents, dotant la transcription fusionné de propriétés tumorigènes (Lengauer et al., 1998) ;
Amplifications géniques : elles constituent des mécanismes récurrents d’activation oncogénique ; Délétions géniques : très fréquentes dans les cancers humains, elles sont souvent impliquées dans l’inactivation des gènes suppresseurs de tumeur (p53, Rb…), en association avec des mutations ponctuelles affectant l’allèle complémentaire. Dans ce contexte, la délétion est alors appelée perte d’hétérozygotie (LOH). (Lengauer et al., 1998).

ADN mitochondrial et cancérogenèse

La mitochondrie possède son propre génome sous forme d’un ADN bicaténaire et circulaire. L’ADN mitochondrial (ADNmt) représente environ 1 % de l’ADN cellulaire total (environ 1000 à 10 000 copies par cellule) (Anderson et al., 1981 in Lescuyer, 2002). L’ADNmt humain est composé de 16.569 paires de bases, il est circulaire à double brin et code les ARN ribosomique 12S et 16S et 22 gènes d’ARN de transfert. L’information génétique n’est pas également répartie sur les deux brins de l’ADNmt: la plupart des gènes sont situés sur le brin lourd (H) et le brin de léger (L) code huit (8) ARN de transfert et une sous-unité polypeptide. La région D-loop non codante est un site de contrôle clé responsable de la transcription et de la réplication de l’ADN mitochondrial, englobant l’origine de la réplication et les principaux promoteurs de la H-transcription et L-brin (Man, 2012). Le nombre de protéines mitochondriales est évalué à un millier, soit environ 10 % du protéome cellulaire total. Le génome mitochondrial code pour 13 protéines qui sont toutes des sous-unités de complexes enzymatiques du système de la phosphorylation oxydative (Lescuyer, 2002). La fréquence des mutations du génome mitochondrial est, en règle générale, plus importante que celle des mutations survenant au niveau de l’ADN nucléaire, plusieurs auteurs ayant rapporté un taux de mutations de l’ADN mitochondrial dix fois supérieur à celui de l’ADN nucléaire (Lièvre et al., 2005). Plusieurs éléments peuvent expliquer cette caractéristique : un système de réparation de l’ADN moins efficace que dans le noyau et l’absence de protection par des protéines de type histone (Lescuyer, 2002).
Depuis quelques années, l’implication des altérations de l’ADN mitochondrial dans le processus de la carcinogenèse fait l’objet d’importantes investigations. Ainsi, l’analyse du polymorphisme du génome mitochondrial dans différents types de cancers a montré que la majorité de ces altérations est essentiellement concentrée dans la région non codante appelée D-Loop. Celle-ci contient un microsatellite situé entre les positions 303 et 315. Certaines études veulent envisager l’utilisation de ce microsatellite comme marqueur potentiel pour la détection précoce du cancer (Troudi et al., 2009).
Le cytochrome b (Cyt.b) est une région de plus d’un millier de paires de bases du génome mitochondrial, situé en position 14201 et 15341 dans la séquence humaine (Anderson, 1981), il participe au transport des électrons de la chaine respiratoire de la mitochondrie. Il contient 8 hélices transmembranaires liées par les domaines intra membranaires et extra membranaires et deux groupes hèmes de manière non covalente. Le cytochrome b est généralement utilisé pour déterminer la relation phylogénétique entre organismes à cause de sa forte variabilité de séquence.
De récentes études effectuées par Mbaye et al (2012) sur le cancer du sein ont montré une variabilité du Cyt.b intra et interindividuelle avec une différenciation génétique entre les tissus sains et cancéreux, ainsi que l’existence d’une corrélation entre cette différenciation génétique à l’âge des patients et localisation des tumeurs (sein droit ou du sein gauche). L’augmentation du taux de tryptophane et de phénylalanine dans les tissus cancéreux avec des proportions très différentes entre les individus a également était démontré (Mbaye et al., 2012a).

Rappel anatomique et physiologique de l’ovaire

L’ovaire est un organe pair de siège intrapéritonéal situé dans le petit bassin , de part et d’autre de l’utérus, en arrière du ligament large (Bazot et al., 2004). La surface de l’ovaire est limitée par une assise de cellules cubiques simples, qui se continuent au niveau du mésovarum avec le mésothélium péritonéal. Le stroma présente une couche dense mal délimitée par un tissu conjonctif sous-jacent, appelée albuginée de l’ovaire, responsable de la couleur blanchâtre de l’ovaire. Sous l’albuginée, on distingue à la périphérie une région corticale qui renferme les follicules ovariens, à différents stades de leur croissance, répartis au sein de cellules conjonctives fusiformes disposées en tourbillons. On y trouve également le corps jaune, au cours de la phase lutéale. La portion centrale ou région médullaire constituée de tissu conjonctif lâche contient plusieurs vaisseaux sanguins, des vaisseaux lymphatiques et des nerfs, il est en continuité d’une part avec celui du mésovarum au niveau du hile, et d’autre part avec le stroma ovarien. Il existe dans le tissu conjonctif du hile et du mésovarum adjacent quelques petits groupes de cellules ressemblant aux cellules de Leydig du testicule qui se développent pendant la grossesse et la ménopause (Ateilah, 2008). L’ovaire a une double fonction, exocrine (maturation et émission cyclique de l’ovocyte) et endocrine (imprégnation hormonale œstroprogestative de l’appareil génital féminin), sous le contrôle des gonadotrophines hypophysaires (l’hormone folliculostimulante [FSH] et l’hormone lutéinisante [LH]) (Bazot et al., 2004).

Histologie pathologique du cancer de l’ovaire et classification

Il existe de nombreux types histologiques de cancers de l’ovaire. Les adénocarcinomes, qui sont largement majoritaires (plus de 90 % des cas), se divisent en différentes classes (Guastalla et al., 2006). L’adénocarcinome séreux est la forme la plus répandue de cancer de l’ovaire, ce qui représente environ 85% de tous les décès par cancer de l’ovaire (Cancer Genome Atlas Research Network, 2011). Les autres types correspondent, par ordre décroissant de fréquence, aux adénocarcinomes endométrioïdes (20 à 25 % des cas), aux adénocarcinomes mucineux (15 à 20 % des cas), aux carcinomes indifférenciés (5 à 15 % des cas), aux adénocarcinomes à cellules claires (6 % des cas) et aux carcinomes à cellules transitionnelles ou tumeurs malignes de Brenner (inférieurs à 1 % des cas). Les adénocarcinomes résultent, soit de la transformation maligne de l’épithélium de surface de l’ovaire ou des kystes d’inclusion de cet épithélium, soit d’une «greffe » ovarienne d’une lésion maligne de l’épithélium du pavillon de la trompe. Les tumeurs germinales et les tumeurs du mésenchyme et des cordons sexuels correspondent aux deux autres grandes catégories de cancers de l’ovaire Elles sont beaucoup plus rares. Il en existe différents types et leur histogenèse est parfois mal connue. Les tumeurs Borderline, ou tumeurs ovariennes à la limite de la malignité, touchent la femme jeune et représentent 10 à 20% des tumeurs épithéliales malignes de l’ovaire (Pauw et al., 2012).
Les progrès récents de l’histopathologie et de la cytogénétique ont donné un aperçu des caractéristiques physiopathologiques des cancers épithéliales de l’ovaire (Cancer Genome Atlas, 2011). Kurman et al. (2010) ont proposé un modèle dualiste qui catégorise les différents types de cancer de l’ovaire en deux groupes de type I et de type II. Les tumeurs de type I sont cliniquement indolent et habituellement présents à un stade faible. Ils présentent une lignée commune entre les tumeurs kystiques bénignes et les cancers correspondants souvent par une étape intermédiaire (tumeur borderline), soutenant le continuum morphologique de la progression tumorale dans ces tumeurs. Ils comprennent des tumeurs de bas grade, des tumeurs à cellules claires endométrioïdes séreux et les carcinomes mucineux .
Les tumeurs de type II présentent des motifs papillaires , glandulaire et solide et sont diagnostiquée comme carcinomes indifférenciés endométrioïdes et de haute qualité à haute teneur séreuses, selon le mode dominant . En plus, les tumeurs mésodermiques mixtes malignes (carcinosarcomes) sont inclus dans la catégorie de type II parce qu’ils ont des composantes épithéliales identiques aux carcinomes pures de type II.
La Fédération Internationale des Gynécologues et Obstétriciens a élaboré une classification des différents stades du cancer de l’ovaire :
Stade 1 : Le cancer est localisé dans un ovaire ou dans les deux ovaires. Les cellules cancéreuses peuvent se trouver à la surface des ovaires ou dans le liquide abdominal.
Stade 2 : Le cancer s’est propagé à d’autres tissus dans le bassin. Les cellules cancéreuses peuvent se trouver dans le liquide abdominal.
Stade 3 : Le cancer s’est propagé aux tissus à l’extérieur du bassin, aux organes situés dans l’abdomen ou aux ganglions lymphatiques voisins.
Stade 4 : Le cancer s’est propagé à l’extérieur du bassin et de l’abdomen, dans une autre partie du corps .

Biomarqueurs et cancers ovariens

Le taux moyen de survie à 5 ans de ces femmes touchées par le cancer de l’ovaire est sombre. Le pronostic est étroitement lié au stade de découverte de la maladie, il apparaît donc particulièrement important de faire le diagnostic aussi précocement que possible de cette pathologie. L’absence de signe clinique caractéristique et la présence d’une symptomatologie extrêmement variée et trompeuse rendent difficile le diagnostic clinique. Dans ce contexte, des outils tels que les marqueurs biologiques tumoraux, peuvent être une aide précieuse aussi bien dans le diagnostic qu’au cours de l’évaluation de l’efficacité thérapeutique. A l’heure actuelle il n’existe pas de dépistage systématique de ce cancer. Il importe donc devant toute symptomatologie mal expliquée de penser au cancer de l’ovaire.
Dans les tumeurs ovariennes, le choix du marqueur à utiliser est conditionné par le type histologique de la tumeur. Les tumeurs épithéliales séreuses représentent 85% des tumeurs malignes de l’ovaire adulte et les tumeurs mucineuses environ 15% (Callet, 2004). Les marqueurs potentiels utilisés dans le cancer de l’ovaire sont le CA125 (Carbohydrate Antigen 125), l’ACE (Antigène Carcino-Embryonnaire), le CA724 (Carbohydrate Antigen 724), La β-hCG (hormone Gonadotrophine chorionique) et l’AFP (alpha-foetoprotéine) (Lacave et al., 2005).
L’antigène carbohydrate CA125 est le marqueur tumoral dosé en première intention au cours des cancers épithéliaux de l’ovaire. C’est le produit de l’expression du gène MUC16 qui est riche en répétitions en tandem (TR). Ce marqueur peut jouer un rôle très important, via ses interactions, dans la stimulation du processus cancéreux et la dissémination métastatique du cancer de l’ovaire. Le CA 125 en raison de ces élévations manque de spécificité pour dépister précocement les cancers ovariens dans la population générale (Bouanène, 2009).
Dans l’avenir, l’application de nouvelles méthodes de génomique et de protéomique au cancer de l’ovaire devrait permettre d’établir les caractéristiques biologiques des tumeurs de l’ovaire et de déterminer des biomarqueurs plus sensibles et plus spécifiques.

Table des matières

Introduction 
Chapitre I : SYNTHESE BIBLIOGRAPHIQUE 
I.1. Biologie des cancers 
I.1.1. Typologie
I.1.2. Altérations génétiques et cancers
I.2. Adn mitochondrial et cancérogenèse
I.3. Cancer de l’ovaire 
I.3.1. Epidémiologie
I.3.2. Rappel anatomique et physiologique de l’ovaire
I.3.3. Histologie pathologique du cancer de l’ovaire et classification
I.3.4. Prédispositions génétiques au cancer de l’ovaire
I.3.5. Biomarqueurs et cancer ovarien
Chapitre II : MATERIEL ET METHODES
II.1. Patientes
II.2. Extraction d’ADN et électrophorèse
II.3. Amplification en chaine par polymérase du Cyt.b 
II.4. Séquençage du Cyt.b
II.5. Analyses moléculaires
II.5.1. Alignement des séquences du Cyt.b
II.5.2. Analyse génétique du Cyt.b
II.5.3. Diversité des acides aminés du Cyt.b
Chapitre III : RESULTATS ET DISCUSSIONS
III.1. Résultats
III.1.1. Les extraits d’ADN
III.1.2. Contrôle des produits PCR
III.1.3. Séquences obtenues
III.1.4. Analyses génétiques du Cyt.b
III.1.5.Variabilité des acides aminés du Cyt.b
III.2. Discussion
CONCLUSION
Références bibliographiques
Annexes

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