CARACTERISATION D’UN CAPTEUR INERTIEL A
ATOMES FROIDS
DEPHASAGE DANS L’INTERFEROMETRE ATOMIQUE
Ce chapitre a pour objectif de calculer le déphasage mesuré en sortie de notre interféromètre atomique. On dispose de deux méthodes pour effectuer ce calcul : le formalisme de Feynman [Cohen-Tannoudji 92] [Storey 94] utilisant les intégrales de chemin, et le formalisme de Christian Bordé [Bordé 91] [Bordé 01], introduisant des matrices A, B, C, D et ξ pour décrire l’évolution des paquets d’onde atomiques. L’objectif de ce chapitre n’est pas de refaire des calculs effectués dans la littérature, mais simplement de présenter les grandes lignes de chaque raisonnement. On étudiera ici uniquement le cas d’un interféromètre atomique de type Ramsey-Bordé symétrique, faisant intervenir deux bras interférométriques symétriques séparés spatialement à l’aide d’impulsions lasers. On commence par présenter ce type d’interféromètre ainsi que les séparatrices et miroirs permettant de manipuler les ondes atomiques. Le calcul du déphasage entre les deux bras de l’interféromètre fait apparaître des sensibilités à la rotation et à l’accélération du référentiel atomique par rapport à celui des lasers. C’est ainsi qu’on peut réaliser un gyromètreaccéléromètre atomique. Les facteurs d’échelle de ce capteur dépendent de paramètres qu’il est nécessaire de connaître et de contrôler afin d’assurer une bonne stabilité long terme ; c’est le sujet de la dernière section de ce chapitre.
Interféromètre de Ramsey-Bordé symétrique
La géométrie choisie pour notre interféromètre est analogue à celle d’un interféromètre de Mach-Zehnder en optique. Pour manipuler les ondes atomiques et réaliser l’interféromètre, la nature des séparatrices et miroirs utilisés peut être diverse. Les différents choix technologiques et leurs avantages et inconvénients seront étudiés dans le chapitre 4. Ici, nous considérerons des séparatrices électromagnétiques, i.e. des interactions avec des champs lasers progressifs qui modifient l’impulsion atomique en lui ajoutant une impulsion de recul lors de l’interaction (cf. Figure 2.1). A chaque interaction avec les séparatrices, la modification de l’impulsion de l’atome est associée à un changement d’état interne. Il y a ainsi une bijection entre états interne et externe de l’atome [Bordé 89]. On note alors les deux états possibles de l’atome f p r , et e p k r h r , + . Trois interactions électromagnétiques permettent de former l’interféromètre : la première sépare l’onde atomique en créant une superposition de deux états d’impulsions moyennes différentes, la seconde agit comme un miroir qui dévie les paquets d’ondes, et la troisième recombine les deux états de la fonction d’onde atomique pour les faire interférer. Les intervalles de temps entre les impulsions sont identiques pour conserver la symétrie. Un tel interféromètre, en comparaison avec l’interféromètre de Ramsey-Bordé à quatre ondes, est appelé Ramsey-Bordé symétrique [Bordé 91-2]. Figure 2.1 : Interféromètre atomique de type Ramsey-Bordé symétrique. En sortie de l’interféromètre, le nombre d’atomes détectés sur chaque port de sortie suit la même loi d’interférences que l’intensité lumineuse dans un interféromètre optique à deux ondes : 2 1 cos . 0 + ∆Φ = C NI N (2.1) 2 1 cos . 0 − ∆Φ = C NII N (2.2) N0 est le nombre d’atomes à l’entrée de l’interféromètre, C le contraste des franges d’interférences atomiques. A partir des mesures expérimentales de NI et NII, on déduit la probabilité P de trouver l’atome sur le port de sortie I, en normalisant le nombre d’atomes NI : 2 1+ cos∆Φ = C P (2.3) Le contraste C des franges correspond à la soustraction entre le maximum et le minimum de probabilité. On obtient un contraste de 100 % si l’onde atomique a une cohérence infinie, s’il n’y a aucune source de décohérence dans l’interféromètre et si les efficacités des interactions lasers sont bien de 50 % et 100 %. Nous verrons (cf. Section 5.2.1.1) que la température non nulle du nuage atomique conduit aussi à une forte réduction du contraste, observée expérimentalement. Dans ce chapitre, on s’intéresse uniquement au calcul du déphasage ∆Φ entre les deux bras de l’interféromètre, et en particulier à sa dépendance aux champs inertiels auxquels sont soumis les atomes. Dans un premier temps, on détaille le principe physique régissant la séparation et la déviation des paquets d’ondes atomiques par des ondes laser, ainsi que le déphasage atomique induit lors de ces interactions.
Les séparatrices atomiques
Les séparatrices atomiques utilisées dans notre interféromètre induisent des transitions Raman stimulées [Moler 91] [Young 97] entre les deux états fondamentaux 6S1/2, F=3, mF = 0 et 6S1/2, F=4, mF = 0 du Césium (cf. Annexe A). La description de ces transitions à deux photons, effectuée dans la section 2.2.2, découle de la théorie de l’atome à deux niveaux. Nous commencerons (cf. Section 2.2.1) par un bref rappel des résultats obtenus par ce modèle, à l’aide du formalisme des matrices S [Bordé 84]. Dans la section 2.2.3, on abordera l’effet des séparatrices sur le paquet d’ondes atomiques : celui-ci peut être traité de manière simple en modélisant les séparatrices par des ondes planes appliquées pendant un temps infiniment court, mais un traitement plus réaliste des séparatrices atomiques peut être envisagé, développé par Ch. Bordé [Ishikawa 94] [Bordé 97], et qui ne nécessite pas l’approximation d’ondes laser planes infiniment fines.
L’atome à deux niveaux
Le modèle ayant été largement détaillé dans la littérature [Bordé 84], [Cohen-Tannoudji 92], [Young 97], nous n’en donnerons ici que les résultats importants.
Solution de Rabi
L’atome est modélisé par une onde plane progressive. Il est donc initialement décrit par la fonction d’onde suivante : t c t f p c t e p k f e r h r r Ψ( ) = ( ) , + ( ) , + (2.4) t a t e f p a t e e p k i t e i t f f p e p k r h r r h Ψ = + + − ω − ω + ( ) ( ) , ( ) , , , (2.5) On émet l’hypothèse que l’émission spontanée peut être négligée : les deux états internes étudiés ont de grandes durées de vie devant la durée caractéristique de l’expérience, de l’ordre de 100 ms. L’onde laser est caractérisée par son vecteur d’onde k r , sa pulsation ω et sa phase φ, à l’instant t de l’interaction et à la position q. Le champ électrique associé s’écrit : E x z t = E (k q − ωt − φ) i r r r r ( , , ) cos . 0 (2.6) Ce champ induit un couplage dipolaire électrique entre les deux états f p r , et e p k r h r , + , décrit par la pulsation de Rabi suivante ( D r est le dipôle électrique de l’atome): h r r 0 D.E Ω = − (2.7) On introduit t l’instant et τ la durée de l’impulsion laser, ∆ le désaccord à la résonance, et Ωr la pulsation de Rabi généralisée : Ωr = Ω + ∆ (2.8) L’évolution des amplitudes de probabilité est alors donnée par la matrice notée S : = + + ( ) ( ) ( ) ( ) a t a t S a t a t f e f e τ τ (2.9) Ω τ + θ Ω τ Ω τ − θ Ω τ − θ Ω τ − θ Ω τ = ∆τ ∆ +φ ∆τ − ∆ +φ ∆τ − ∆τ − 2 cos sin 2 cos 2 sin sin 2 sin sin 2 cos sin 2 cos 2 ( ) 2 2 2 ( ) r r i i t r i i t r i r r i e ie e i e i e ie S (2.10) où θ est défini par les relations : Ωr ∆ cosθ = − Ωr Ω sin θ = 0 ≤ θ ≤ π . (2.11) 2.2.1.2. Désaccord ∆ à la résonance : Le désaccord à la résonance, défini par l’équation (2.12), se décompose d’après l’équation (2.13) en plusieurs termes faisant intervenir le désaccord Doppler δD et le désaccord de recul δR : ( ) ∆ = ω− ωe, p+hk − ωf , p (2.12) at D R ∆ = ω− ω − δ − δ (2.13) M k p D r r . δ = M k R 2 r 2 h δ = (2.14) où M est la masse de la particule. Le couplage maximal entre les états est obtenu lorsque Ωr = Ω, soit à désaccord ∆ nul. Si la fréquence laser est égale à la fréquence de transition atomique, ceci impose une condition sur l’impulsion atomique (cf. équ. 2.15). L’onde laser doit donc faire un angle, appelé angle de Bragg, avec le faisceau incident atomique [Bordé 97] (cf. Figure 2.2(a)). 2 k D R pz h δ = δ ⇔ = − (2.15) Cependant, les directions de la trajectoire atomique et de l’onde laser peuvent être orthogonales par construction. Dans ce cas, la condition de Bragg n’est plus vérifiée, mais on pourra compenser la pulsation de recul δR en ajustant la pulsation laser (cf. Figure 2.2(b)). C’est ce qui est réalisé dans notre expérience. f p r , e p k r h r , + f p r , 2 hk − (a) (b) f p r , e p k r h r , + f p r , Figure 2.2 : Géométrie de la diffraction. L’effet du recul peut être compensé soit (a) sur l’orientation relative de la trajectoire atomique et du laser (angle de Bragg), soit (b) sur la fréquence du laser. D’autre part, cette condition ne peut être vérifiée pour tous les atomes, qui présentent une dispersion en impulsion. On définit alors un nouveau désaccord à la résonance δ (cf. équ. 2.16) n’incluant pas l’effet Doppler, et qui permet de réécrire la matrice S en fonction de la position q dans la séparatrice et du désaccord δ : δ = ω − δ R −ωat ( (2.16) ) Ω τ + θ Ω τ Ω τ − θ Ω τ − θ Ω τ − θ Ω τ = δ−δ τ − −δ −φ δ−δ τ −δ −φ δ−δ τ − δ−δ τ − 2 cos sin 2 cos 2 sin sin 2 sin sin 2 cos sin 2 cos 2 ( ) 2 ( . ) ( ) 2 ( . ) ( ) 2 ( ) r r i i k q t r i i k q t r i r r i e ie e i e i e ie S D D D D r r r r (2.17) En réalité, les séparatrices atomiques utilisées dans notre interféromètre induisent des transitions Raman stimulées, qui font intervenir trois états internes. Le principal avantage de ces transitions à deux photons par rapport aux transitions à un seul photon micro-onde est de fournir une double impulsion de recul dans le domaine optique, donc bien plus importante que dans le domaine micro-onde. La séparation entre les deux bras de l’interféromètre est alors plus grande, ce qui augmente la sensibilité de l’appareil de mesure (cf. Section 2.3.3.5).
Transitions Raman stimulées
Lors de transitions Raman stimulées, le couplage entre les deux états 6S1/2, F=4, mF =0 et 6S1/2, F=3, mF =0 s’effectue grâce à deux lasers, notés I et II, par le biais d’un état intermédiaire excité i proche du niveau 6P3/2. Ces deux lasers I et II induisant les transitions Raman seront appelés lasers Raman, ou encore faisceaux Raman, dans le reste du document. f p r , , ( ) II I e p k k r r h r + − II i p k r h r , + (II) (I) 6P3/2 6S1/2, F=4, mF=0 6S1/2, F=3, mF=0 ∆ Figure 2.3 : Diagramme d’énergie du Césium, figurant les niveaux mis en jeu lors des transitions Raman stimulées. Pendant la durée τ de l’impulsion, le laser II de paramètres ωII, II k r et φII couple les états f p r , et II i p k r h r , + avec une pulsation de Rabi ΩII et un désaccord ∆II, tandis que le laser I de paramètres ωI , I k r et φI couple les états II i p k r h r , + et , ( ) II I e p k k r r h r + − avec une pulsation de Rabi ΩI et un désaccord ∆I . Pour éviter la décohérence par émission spontanée, les désaccords ∆I et ∆II sont choisis bien supérieurs à la largeur naturelle Γ de l’état excité. En première approximation, on pourra donc considérer que ∆I ~∆II ~∆. On définit les paramètres suivants de la transition à deux photons .
CHAPITRE 1. INTRODUCTION |