Caractérisation des structures crânio-dentaires internes des cercopithécoïdes
Morphologie des canaux semi-circulaires et de la cochlée
Alors que les indices précédemment détaillés fournissent des informations locales sur la variation de paramètres ciblés (i.e., longueur, largeur, angles etc.), la géométrie morphométrique permet de quantifier les différences morphométriques globales dans l’échantillon et d’extraire des patrons spécifiques pour la conformation du labyrinthe osseux (cf. section 3.3.1.). Au total, parmi notre échantillon de cercopithécidés fossiles, nous avons pu décrire quantitativement la morphologie des labyrinthes osseux de 18 spécimens représentant les taxons Parapapio jonesi, Pp. broomi, Pp. whitei, Pp. antiquus, Theropithecus oswaldi oswaldi, T. o. darti, Cercopithecoides williamsi et Dinopithecus ingens, provenant des sites de Swartkrans, Makapansgat, Taung et Sterkfontein. La condition fossile pour ces caractères a été comparée directement à un échantillon de 78 spécimens appartenant aux genres actuels Papio, Theropithecus, Lophocebus, Cercocebus, Mandrillus, Macaca, Cercopithecus, Erythrocebus, Chlorocebus, Colobus et Piliocolobus. Le labyrinthe osseux Dans une première approche, nous avons détaillé la morphologie des canaux semi-circulaires et de la croix commune combinée avec celle de la cochlée par l’analyse Procruste des points repères disposés à la surface du labyrinthe osseux reconstruit afin d’identifier des variations spécifiques (e.g., Lebrun et al., 2010) (cf. section 3.3.1.). Les résultats de l’étude de morphométrie géométrique ont été testés par des analyses en composantes principales intergroupe (bgPCA) et par des analyses canoniques (CVA) (cf. section 3.6.). Les conformations extrêmes des séries de points repères modélisant le labyrinthe osseux sont affichées sur chacun des axes de la CVA afin de représenter les tendances des variations morphologiques dans l’espace de conformation. La contribution de chacun des points à la variance observée est traduite par un code couleur selon une échelle normalisée de 0 (jaune) à 1 (rouge). Nous avons exclu les spécimens pour lesquels la cochlée n’est pas conservée ou bien dont la reconstruction virtuelle n’atteint pas un degré de précision suffisant pour garantir une analyse fiable de la morphologie par la pose de points (cf. début de section). Les résultats de l’analyse en composantes principales inter-groupes (bgPCA), présentés dans la Figure 4.20., suggèrent une discrimination selon la deuxième composante bgPC2 entre les colobines actuels (Piliocolobus et Colobus), localisés dans les valeurs positives ; les papionines (Macaca, Papio, Theropithecus, Cercocebus, Mandrillus et Lophocebus) dans les valeurs négatives et les cercopithécines (Chlorocebus et Cercopithecus), en position intermédiaire entre les deux précédents groupes. Dans ce contexte, les taxons fossiles sont tous intégrés dans la variabilité des papionines actuels, y compris le groupe de colobines Cercopithecoides williamsi.L’analyse canonique (CVA), qui est réalisée afin d’explorer plus précisément les grandes tendances qui se dégagent de la bgPCA, révèle des affinités qui pourraient se traduire en trois grands groupes différents selon la morphologie du labyrinthe osseux (Fig. 4.21.A). Dans un premier quadrant, définit par les valeurs négatives de la première composante et les valeurs positives de la seconde, les représentants actuels de Papio, Mandrillus, Cercocebus et Theropithecus sont rassemblés par un morphotype partagé composé de canaux semicirculaires de rayons similaires et d’une cochlée dont le tour basal s’écarte du tour précédent, d’après les conformations extrêmes. Ce morphotype pourrait ainsi caractériser la condition papionine actuelle, à l’exception cependant de Lophocebus. Dans les valeurs positives de 152 l’axe CV1 sont regroupés les colobines actuels Piliocolobus et Colobus, qui se caractérisent par un angle moins ouvert au niveau de l’insertion des canaux postérieur et antérieur sur la croix commune et un nombre de tour plus réduit pour la cochlée par rapport aux autres taxons. Les spécimens fossiles de Parapapio et Cercopithecoides de Makapansgat et Sterkfontein sont proches de la variabilité actuelle du genre Macaca, dans les valeurs négatives de la seconde composante qui représentent une morphologie plus arrondie du canal postérieur et un diamètre plus court du canal latéral. Dans ce contexte, les représentants fossiles de Theropithecus et du taxon Dinopithecus de Swartkrans et Makapansgat expriment une conformation plutôt intermédiaire, partagée avec Chlorocebus. Enfin, Erythrocebus se distingue du reste de l’échantillon par un diamètre plus important du canal semi-circulaire latéral et, au contraire, une réduction du diamètre du tour apical de la cochlée par rapport aux autres groupes présents.
Les canaux semi-circulaires et la croix commune
Afin de cibler au mieux les caractères responsables des affinités révélées par la description de la conformation du labyrinthe par les analyses Procruste, nous avons mené séparément une analyse des canaux semi-circulaires et de la croix commune en excluant la cochlée. Cette sélection nous permet également d’élargir l’échantillon fossile en incluant les spécimens et dans lesquels ces structures, au contraire de la cochlée, sont bien conservées. Les résultats de l’analyse de morphométrie géométrique sur les canaux semi-circulaires et la croix commune sont présentés graphiquement par une analyse en composantes principales inter-groupes (bgPCA) (Fig. 4.22.) et une analyse canonique (CVA) (Fig. 4.23.). L’analyse en composantes principales inter-groupes (bgPCA) discrimine les Theropithecus actuels et le taxon fossile Dinopithecus du reste de l’échantillon, dans les valeurs positives du second axe et les valeurs négatives du premier axe respectivement (Fig. 4.22.). Les colobines actuels Piliocolobus et Colobus s’éloignent de la variabilité totale de l’échantillon dans les valeurs négatives de la deuxième composante sans séparation franche. Les relations entre les autres taxons, notamment les papionines et cercopithécines actuels ainsi que les taxons fossiles Parapapio et Cercopithecoides, sont difficilement interprétables dans cette analyse.La deuxième composante CV2 de l’analyse canonique contribue au regroupement des papionines Theropithecus, Mandrillus et Cercocebus dans les valeurs négatives, qui correspondent à un canal latéral plus court également marqué par une torsion prononcée par rapport aux autres groupes, dont le représentant extrême est le spécimen de Erythrocebus (Fig. 4.23.A). À l’opposé, les valeurs positives de CV2 distinguent le genre Colobus, dont l’embranchement des canaux postérieur et antérieur sur la croix commune se démarque du reste de l’échantillon par un angle plus réduit. Les deux représentants de Dinopithecus de Swartkrans sont très proches l’un de l’autre et également de la variabilité de Macaca dans les valeurs positives de CV1. Alors que les colobines fossiles Cercopithecoides se rapprochent de la condition actuelle de Colobus, notamment par l’embranchement des canaux sur la croix commune, les spécimens de Parapapio et Theropithecus provenant de Sterkfontein, Makapansgat et Swartkrans occupent une position intermédiaire entre les différents taxons représentés dans l’analyse.
1. INTRODUCTION |