Caractérisation des situations de production en
technologie au collège
La liste exhaustive, qui suit, établie à partir du dépouillement systématique des programmes actuels relatifs aux trois cycles du collège, montre une grande diversité d’emploi et de sens du terme « production » : Évolution des modes de production ; aux différentes étapes […] de la production ; petites machines de production mécanique ; moyens de production ; aspects de la production […] de l’énergie ; réaliser de petites productions ; certaines étapes du cycle de production d’objets techniques ; les élèves […] analysent produits, productions[…] du point de vue des solutions techniques, de leur évolution dans le temps, et des implications économiques ; la production assistée par ordinateur ; séquences conduisant à des productions identifiées ; phases de productions d’objets techniques ; phases de production ; analyses […] de productions ; production sérielle à partir d’un prototype ; production d’un service ; entreprise de production en petite série ; production attendue ; données chiffrées simples relatives à la production ; moyens de production mis en œuvre ; production ; organisation de la production ; calcul du coût direct de production ; état d’avancement d’une production ; une production sérielle ; la production du produit ; amélioration […] de [la] production ; communauté de démarche entre les activités de production de biens et de production de services ; ensemble des opérations nécessaires à la production du service ; étapes nécessaires à la production ; le plan de production ; production de cartes de visite, de bulletins, d’affichettes, de journaux de classe ; production d’un document. Ces citations relatives à des situations de production ne recouvrent pas l’intégralité de ce qui est significatif de telles situations hors du monde scolaire. Elles ne recouvrent pas non plus tout ce qui est appelé situations de production dans le monde scolaire ; en effet, dans d’autres champs disciplinaires il existe des activités qui sont désignées comme « situations de production scolaire ». Dans la suite de notre travail l’objet d’étude ne se limitera pas à ce qui est désigné par ce terme. Cette précision faite, pour éviter une analyse lacunaire limitée aux pratiques relatives aux termes du programme de Technologie utilisant le vocable « production », il apparaît indispensable d’élargir l’étude à l’ensemble du programme. Les pratiques et les savoirs sociaux associés à la notion de production seront interrogés dans leurs contextes habituels de développement. Les éléments de contexte qui influent sur ce développement seront questionnés pour voir dans quelle mesure ils sont pertinents pour l’analyse des situations de production en Technologie au collège. 11 Pourquoi utiliser l’expression « production en milieu scolaire » ? Parce que le terme « production » a des acceptions multiples dans le monde scolaire Une interrogation de l’ensemble des bases de données de l’INRP 2 sur les mots des notices relatives aux thèses et à la littérature grise montre que le terme « production » est utilisé près de trois mille fois. Il est très majoritairement inclus dans les expressions « production de savoirs », « production sociale des savoirs » et « production de connaissances ». Sur toutes les bases de données confondues seules 18 réponses offrent d’autres acceptions. Une exploration systématique de ces réponses montre quelques emplois de l’expression « production scolaire ». Cette expression est employée indifféremment pour désigner les processus de développement et les résultats des activités des élèves. Les résultats ne sont pas toujours liés à des activités significatives d’un champ disciplinaire. La production de médias d’information est représentative de ce type de « productions scolaires » (C.L.E.M.I, 2001). Quand elle s’applique au domaine de l’expression sous toutes ses formes – peinture, sculpture, représentation théâtrale, lecture publique – la « production scolaire » désigne très souvent les résultats d’un processus. Dans le domaine de l’apprentissage et des usages de la langue française, ce sont plus les processus de développement des activités des élèves que les produits –textes– qui résultent de ces activités, qui sont désignés par l’expression « production scolaire ». Le sens linguistique est alors celui qui est couramment accordé au mot « production »: Action de produire, de créer un énoncé au moyen des règles de grammaire d’une langue3 . 2 Biblimath Didactique des mathématiques, Daf Didactique et acquisition du français langue maternelle, Dif-act Actions éducatives et pédagogiques en ZEP Pour l’ensemble des bases de données de l’INRP consultées, l’usage de cette expression ne renvoie pas à l’enseignement de la Technologie. Le faible nombre de travaux de recherche répertoriés à propos de cet enseignement peut en être la cause, car ce terme est utilisé dans l’enseignement de la Technologie. Des textes originaires de l’Association des Enseignants d’Activités Technologiques (A.E.A.T), font usage de l’expression « production scolaire » à plusieurs reprises. En réaction à la parution des premiers textes relatifs à la seconde période de l’enseignement de la Technologie cette association revendique (A.E.A.T, 1996), que les textes affirment la place centrale des enfants dans une production scolaire, tout en souhaitant la distinguer d’une situation de production industrielle. Au delà de l’organisation temporelle évoquée : tranches de deux heures au collège, cet écrit ne permet pas de distinguer d’autres éléments que cette Association souhaiterait spécifiques à cette « production scolaire ». Un compte rendu d’une assemblée générale, de cette même association (A.E.A.T, 2000), utilise de nouveau l’expression « production scolaire » : « l’atelier de production scolaire ». Le propos est une prise de position revendicative quant au rôle et aux moyens tant matériels que financiers qui d’après les membres de cette association devraient être consacrés à la « production scolaire ». Une lettre du conseil d’administration de cette même association au ministre de l’Éducation Nationale (A.E.A.T, 2002) utilise aussi cette expression. Elle en critique l’usage en notant que la production en entreprise, n’a pas la même finalité. Si en Technologie les élèves ont à connaître l’entreprise ; ils n’ont pas besoin de la singer pour la comprendre. Cet amalgame qui est considéré par les auteurs, comme une déviance que la Technologie connaît depuis quelques années, pêche essentiellement du fait des conditions de vie dans la classe. L’expression « production scolaire » relative au processus de développement des activités en classe de Technologie est donc légitime. La distinction est réaffirmée plus récemment dans une contribution écrite de l’A.E.A.T (2003) au projet d’évolution de cet enseignement. L’existence de « produits » résultant de l’activité des élèves dans le cadre de l’enseignement de la Technologie est avérée (Follain, 1997), (Lebeaume, 2001). Ces « produits » ne sont pas explicitement rattaché à un processus de production qualifié de « scolaire ». Ils sont parfois désignés par le terme de « production ». Pour éviter toute ambiguïté entre le processus et le « produit » nous n’emploierons pas le terme « production » sans le qualificatif « scolaire » pour désigner le processus. Parce que l’expression « production scolaire » n’est pas réservée au monde scolaire L’expression « production scolaire » ne désigne pas seulement des activités internes au monde scolaire ; ce qui en accroît la polysémie. Elle désigne aussi la part de marché prise par les logiciels scolaires, les émissions radiophoniques et télévisuelles à destination d’un public scolaire, et les manuels dans la production des maisons d’éditions (Choppin, 1998). Cette « production scolaire » reste étrangère au système scolaire sauf que ces « produits » sont utilisés parfois comme supports aux activités scolaires en classe. Le « scolaire » ne désigne plus l’origine de la production mais le but, la destination. Le terme « production scolaire » est aussi utilisé pour désigner la fonction globale du système éducatif, comme ses résultats, en grandeurs quantifiables. Le champ lexical rattaché est alors rapport coût / efficacité. Le sens économique qui n’a d’intérêt que pour situer le système éducatif auquel elle se rapporte par rapport aux autres systèmes de production (Morlaix, 2000). La perspective macro économique fournie par la notion de « production scolaire », utilisée dans ce sens, n’apporte aucun éclairage particulier à la notion de production en Technologie. Compte tenu de la polysémie de l’expression « production scolaire » nous ne l’utiliserons pas à propos de la « production » en Technologie. Nous préférerons l’expression « production en milieu scolaire » qui permettra de ne pas confondre le sens qu’elle peut prendre en Technologie au collège avec une des acceptions précédentes de l’expression « production scolaire ». La production en milieu scolaire, telle que nous l’avons nommée pour la particulariser en Technologie, désigne à la fois les processus à l’œuvre et les résultats des activités des élèves. Comme pour d’autres disciplines scolaires les activités proposées en Technologie ne peuvent se dérouler que dans la « division », unité de regroupement qui est imposé par le mode de fonctionnement du système éducatif. Ce type de regroupement des personnes peut se trouver modifié dans le cadre de l’enseignement de la Technologie si « des groupes allégés » sont constitués, conformément à une circulaire qui date de 19854 . C’est l’un ou l’autre de ces modes de regroupement qui constitue l’unité significative sur laquelle nous ferons porter notre analyse des situations de production. Nous la désignerons par « unité de production en milieu scolaire ». Les programmes actuels de l’enseignement de la Technologie préconisent de proposer aux élèves des activités à l’image de l’organisation de l’entreprise et de ses pratiques 5 . Les activités dont il est question pour les élèves sont, dans les programmes, rapportées aux pratiques et l’organisation de l’entreprise. L’organisation de l’entreprise, ses pratiques et plus particulièrement la manière dont elles interfèrent avec la production peuvent elles constituer des éléments pertinents à l’analyse du développement de l’activité des élèves dans « l’unité de production en milieu scolaire » en Technologie ? C’est cette question que nous abordons maintenant. Pratiques et organisations d’entreprise pertinentes pour l’analyse des situations scolaires Déterminer ce qui dans l’entreprise est à l’origine de l’organisation et des pratiques et comment celles-ci rencontrent la production, nécessite un retour sur ce que recouvre le concept « d’ entreprise ». Selon une définition courante l’entreprise est une entité juridiquement autonome mettant en œuvre les facteurs de production (agents naturels, travail, capital) afin de produire des biens et des services en vue de leur vente 6 . Limitée à cette définition l’entreprise risque d’être confondue avec l’usine ou l’atelier. Cette confusion est parfois permise parce qu’elle correspond à une réalité objective 7 . Cependant la majorité des entreprises 8 ne peut se réduire à cette acception. La variété et l’hétérogénéité du monde des entreprises rend difficile l’adoption d’une définition universelle. Ceci se traduit par une multiplicité de plans de description et d’analyse de l’entreprise. Une entreprise peut être catégorisée suivant : – une typologie, fondée sur différents critères ; – des types d’activités indispensables à son fonctionnement ; – des niveaux de jugement d’efficacité qui correspondent chacun à un point de vue particulier ; – les fonctions qui y sont accomplies. Ces quatre plans de description et d’analyse fournissent chacun un éclairage. Ils seront examinés successivement pour identifier des critères se rapportant à l’organisation de l’entreprise et à ses pratiques. Leur pertinence pour analyser une unité de production en Technologie au collège sera jugée à l’aune de ce qu’ils apportent sur la notion de production en entreprise. La typologie des entreprises apporte peu de critères pertinents Une typologie des entreprises fondée sur des critères tels que la taille, la forme juridique ou le secteur d’activité constitue une première approche de l’ensemble hétérogène que constitue le tissu des entreprises françaises. Le critère de taille des entreprises n’est pas significatif Le critère de taille peut s’exprimer en rapport avec les effectifs de l’entreprise 9 . C’est ce qui fonde la distinction entre les petites et moyennes entreprise (PME) et les grandes entreprises. D’autres critères tels que chiffre d’affaires, capitaux propres, valeur ajoutée, capitalisation boursière sont aussi utilisés pour définir la taille des entreprises. 7 L’INSEE les répertorie comme « établissements ». Ils sont au nombre de 2 740 000 établissements fin 2002 8 L’INSEE les a recensées à hauteur de 2, 4 millions auxquelles il faut ajouter 400 000 exploitations agricoles à dimensions industrielles. 9 Insee répertoire Sirène 16 Le critère de taille ne permet pas de discriminer des organisations de production ou des pratiques spécifiques à l’une ou l’autre des catégories. De ce fait, ce critère ne nous permet pas de préciser la notion de production. Nous pouvons simplement remarquer qu’au collège en Technologie les « unités de production en milieu scolaire » pourraient être rapprochées par leur taille d’une « petite entreprise ». Mais ceci ne constitue pas un critère d’analyse pertinent pour l’analyse que nous conduisons. Les formes juridiques des entreprises n’apportent pas d’éléments de distinction possibles En France les formes juridiques sont liées aux trois secteurs de rattachement des entreprises : secteur coopératif, secteur privé et secteur public. L’analyse du secteur privé à lui seul, permet de relever plusieurs formes juridiques. Les formes juridiques des entreprises des trois secteurs, coopératif, privé et public développent des pratiques et des organisations de production qui leur sont spécifiques. Notre recherche a pour champ d’investigation le collège public français. Ce terrain situe juridiquement les situations que nous analysons dans le cadre d’une administration et non d’une entreprise. Les formes juridiques prises par les entreprises et celle sous laquelle se développent les situations scolaires qui nous préoccupent sont si différentes que le critère de forme juridique n’est pas utilisable pour appuyer notre analyse. Les secteurs d’activité des entreprises n’apportent pas de précision Industrie, construction – bâtiments et travaux publics –, commerce, services sont les quatre secteur d’activité suivant lesquels l’INSEE catégorise les entreprises. Ce critère de classification ne donne pas de clés de lecture de l’organisation et des pratiques d’entreprises sous jacentes. Les propositions programmatiques relatives à l’enseignement de la Technologie excluent, par exemple, toute référence au secteur de la construction quand il s’agit des pratiques prescrites. Nous pouvons seulement dire que les formes que peuvent prendre les organisations et les pratiques scolaires sont potentiellement relatives aux secteurs de l’industrie, des services ou du commerce. Ceci ne constitue pas en soi un critère d’analyse significatif pour les situations de production en milieu scolaire.
CHAPITRE 1: COMMENT QUESTIONNER LES SITUATIONS DE PRODUCTION EN TECHNOLOGIE AU COLLÈGE |