L’organisation de l’ADN au sein du noyau eucaryote
La chromatine
Chez les eucaryotes, l’ADN, porteur de l’information génétique, est précisément organisé sous forme de chromatine, un complexe nucléo-protéique permettant la compaction de l’ADN dans le noyau. L’organisation de la chromatine se fait à plusieurs échelles moléculaires .
Le nucléosome et les protéines histones
Le nucléosome constitue le premier niveau d’organisation. Il est composé d’environ 146 paires de base (bp) d’ADN enroulé autour d’un octamère de protéines histones H2A, H2B, H3 et H4, contenant deux copies de chaque protéine (Luger et al., 1997). Le nucléosome est assemblé de manière séquentielle : Les histones H3 et H4 sont déposées en premier sur l’ADN, sous forme de deux dimères ou d’un tétramère, puis les histones H2A et H2B sont déposées sous forme de deux dimères de part et d’autre du tétramère H3-H4 (Arents et al., 1991). Cet assemblage peut se faire via deux voies différentes : Une voie couplée à la réplication de l’ADN et une voie indépendante de cette réplication (Tagami et al., 2004). Chaque voie fait intervenir des facteurs spécifiques qui prendront en charge les différentes histones, et seront détaillés plus loin dans ce manuscrit. L’assemblage des nucléosomes le long de l’ADN forme une structure dite en « collier de perles » d’environ 10 nm de diamètre (Fransz and De Jong, 2011). En condition physiologique, cette structure est rapidement condensée en une fibre de 30 nm, grâce notamment à l’histone « linker » H1 qui se lie à l’ADN situé entre deux nucléosomes (appelé ADN « linker »), permettant le rapprochement des nucléosomes (Song et al., 2014). La formation d’une fibre de 30 nm n’est toutefois pas toujours observée in vivo, comme cela a été montré chez l’Homme. Dans ce cas-là, les fibres de 10 nm se condensent pour former des structures chromosomiques irrégulières (Nishino et al., 2012).
Les différents niveaux de compaction de la chromatine
Dans le noyau en interphase, la chromatine n’est pas uniformément structurée. En microscopie, nous pouvons distinguer deux types principaux de compartiments, ou de régions de la chromatine, montrant un niveau de compaction différent. En 1928, E. Heitz désigne l’hétérochromatine comme les régions chromosomiques restant condensées lors de l’interphase et l’oppose à l’euchromatine qui désigne, quant à elle, les régions décondensées qui deviennent presque invisibles en microscopie (Heitz, 1928; Passarge, 1979). Aujourd’hui, ces termes ont été affinés et se basent à présent sur le niveau de condensation de la chromatine, mais également sur leur composition en gènes et/ou en éléments d’ADN répétés, ainsi que leur enrichissement en marques épigénétiques .
L’hétérochromatine constitutive
L’hétérochromatine constitutive désigne l’état le plus condensé de la chromatine. Chez certains organismes comme la plante modèle Arabidopsis thaliana, elle est organisée, pendant l’interphase, sous forme de chromocentres (CCs) (figure
2). L’hétérochromatine constitutive est composée d’éléments d’ADN répétés, incluant les éléments transposables (TEs) qui sont transcriptionnellement réprimés (Grewal and Jia, 2007).
L’euchromatine
L’euchromatine est une forme moins condensée de la chromatine diffuse dans le noyau . Les régions euchromatiniennes sont enrichies en gènes et sont plus permissives à la transcription. Ceci se reflète par la présence de marques épigénétiques et facteurs protéiques impliqués dans ce processus cellulaire initiant l’expression des gènes.
L’hétérochromatine facultative
A l’inverse de l’hétérochromatine constitutive, l’hétérochromatine facultative désigne les régions chromatiniennes qui ont la capacité de passer d’un état transcriptionnellement réprimé à actif au cours du développement de l’organisme. Cette forme chromatinienne est étroitement liée à la voie Polycomb (PcG) et à des marques épigénétiques répressives spécifiques . L’hétérochromatine facultative est donc enrichie en gènes transcriptionnellement réprimés dont l’expression est associée à des processus développementaux ou en réponse à des stimuli environnementaux (Trojer and Reinberg, 2007).
Les paysages épigénétiques
Comme nous le verrons tout au long de cette introduction, les nombreuses modifications épigénétiques portées par la chromatine offrent une multitude de combinaisons possibles. Ainsi, au fil des années, cette vision dichotomique hétéro/euchromatine s’est avérée être trop simpliste. Il est à ce jour clairement défini que la chromatine existe sous de nombreuses formes, on parle d’ailleurs de paysages épigénétiques ou « epigenetic landscapes » qui définissent plus subtilement les différents états chromatiniens. Par exemple, chez Drosophila melanogaster, l’étude de ces différentes combinaisons a permis de définir neuf paysages épigénétiques (Kharchenko et al., 2011). Le même type d’analyses chez A. thaliana a permis de définir d’abord quatre (Roudier et al., 2011), puis neuf paysages épigénétiques (Vergara and Gutierrez, 2017). Ces différents paysages épigénétiques impactent la compaction de la chromatine, ce qui a un effet direct sur l’expression du génome, mais aussi sur tout autre mécanisme cellulaire en relation avec la chromatine.
Les modifications épigénétiques
Définition de l’épigénétique
Historiquement, l’épigénétique dérive des termes « epigenesis » et « epigenotype » définis par C.H. Waddington comme une théorie selon laquelle génétique et phénotype sont étroitement interconnectés tout au long du développement d’un organisme et au sein de chaque lignée cellulaire qui le compose. Waddington proposait aussi que l’expression spécifique de gènes était une force majeure promouvant la variation phénotypique et la plasticité cellulaire (Waddington, 1942).
Le terme « épigénétique » a évolué au cours du temps pour faire, à présent, référence à l’étude des mécanismes impliqués dans la modification de l’expression des gènes de manière réversible et héritable tout en maintenant l’intégrité de la séquence d’ADN (absence de mutation). Les principales modifications épigénétiques sont la méthylation de l’ADN et la modification des histones, mais plus globalement, tout mécanisme réversible et héritable impactant la compaction de la chromatine et par extension l’expression des gènes pourrait être défini comme mécanisme épigénétique. Les mécanismes épigénétiques sont essentiels au bon développement de tout organisme, mais ils jouent aussi un rôle important dans toutes les situations impliquant une adaptation rapide de l’expression des gènes, tels qu’en réponse à des stimuli environnementaux et des maladies (Cavalli and Heard, 2019).
Les différents acteurs épigénétiques
La dynamique des modifications épigénétiques est coordonnée par l’action de protéines spécialisées que l’on peut séparer en trois groupes. Les protéines effectrices dites « writers » sont capables de déposer les marques épigénétiques, et les «erasers » sont, quant à elles, capables de les retirer. Enfin, les protéines dites «readers » reconnaissent et lient spécifiquement les différentes marques épigénétiques . Il est courant qu’une protéine « writer » ou « eraser » porte également un domaine de type « reader ». Cependant, de nombreuses protéines portent uniquement un domaine « reader », jouant ainsi un rôle régulateur des voies épigénétiques en autorisant ou non le recrutement des protéines effectrices.
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