Caractérisation des pratiques de culture du manioc dans la région de Thiès

Les variétés cultivées

La concentration en acide cyanhydrique (HCN) des racines fraîches sans la peau permet de classer le manioc cultivé (Manihot esculenta Crantz) en variétés douces (< 0,013% HCN) à très amères (> 0,050% HCH) (Aïchatou, 2007). L’acide cyanhydrique est un dérivé des glucosides cyanogénétiques qui, absorbé à une certaine dose est à long terme potentiellement toxique (Jambon et al., 1978 ; Zoumenou et al. 1999). Cet acide cyanhydrique peut être élimé par des procédés simples tels que le broyage, le séchage, le lavage et la cuisson à l’eau (Darman et al., 2015). Ainsi les variétés douces peuvent être consommées crues alors que les variétés amères sont plutôt destinées à la transformation (Monroy-Rivera, 1991).
Au Sénégal, les 20 accessions caractérisées en 1984 par le CDH pouvaient être considérées comme douces car ayant toutes une teneur en HCN < 0,0096%. Plusieurs études de collecte de variétés de manioc ont été aussi réalisées au Sénégal (Camara, 2006 cité dans Faye et al., 2016; CDH, 1984). Ces études montrent l’existence d’accessions locales comme Kombo, Cololi, Ordinaire et de nombreuses autres accessions d’origines étrangères (Nigéria, Ghana, Côte d’Ivoire etc.) (Aïchatou, 2007 ; CDH, 1984).

Conditions optimales de production du manioc

Les conditions climatiques optimales pour la culture du manioc sont caractérisées par des températures comprises entre 25 et 30° C et des pluviométries annuelles comprises entre 1000 et 1500 mm (Van Hanja,1983). Au Sénégal, les pluviométries annuelles de la principale zone de production (région de Thiès) sont comprises entre 300 et 600 mm et peuvent ainsi constituer un obstacle pour la production du manioc. Cette production réussit mieux sur un terrain à pente douce pour éviter l’érosion et le lessivage de la matière minérale (Howeler et al.,2013 ; James 2000), peu exposé au grand vent, bien drainé, avec un sol meuble, profond et fertile de type sablo-argileux ou argilo-sableux (Adjanohoun, 2006b ; Mahungu et al., 2014 ; Melifonwu et al., 2000).

Itinéraires de culture proposés pour le manioc

Les méthodes ou techniques de culture présentées dans cette partie sont tirées principalement du guide pratique du maraîchage au Sénégal et d’autres études.
Préparation du sol : Un labour jusqu’à 30 cm du sol pour désherber et un défrichage sont recommandées (Beniest et al., 1987) afin d’ameublir le sol, d’améliorer le drainage (Alongo et Kombele, 2009), de faciliter le développement des racines (Pouzet, 1985 ; Tamia et al., 1999) et de fixer les éléments minéraux surtout si la parcelle est située sur une pente (Melifonwu et al., 2000). Une fumure de fond estimée entre 5 et 10 t de matière organique plus 0,6 t d’engrais 10-10-20 (NPK) par hectare est recommandée (Beniest et al., 1987). Cependant, les modalités d’application et les doses d’engrais peuvent différer (Adjanohoun, 2006b). Ainsi, selon François, (1938) une application de 30 t/ha de fumier de ferme tous les cinq ou six ans produit un rendement meilleur comparativement à une application 10 t/ha pour chaque campagne. Plantation : En condition irriguée, la plantation est réalisable toute l’année (Fauquet et al., 1986). Par contre en condition pluviale, elle doit être effectuée dès les premières pluies (Beniest et al., 1987) pour assurer aux plants un bon développement et une bonne résistance (Fauquet, et al., 1986 ; Gillon et Gillon, 1979; Miège, 1957 ; Raffaillac 1994. Dans les deux cas elle doit se faire en respectant les règles suivantes:
prélever les boutures sur des plantes mères âgées au moins de 8 à 10 mois et ne présentant pas de signe d’attaque (Mahungu et al., 2014) ;
réaliser le bouturage sur les tiges ayant des diamètres compris entre 2,5 et 4 cm. (Beniest et al., 1987Mahungu et al., 2014) ;
couper les boutures le jour de la plantation, pour une taille comprise entre 15 et 20 cm avec au moins 5 à 6 yeux (Beniest et al., 1987). Ces boutures doivent être en coupe basale circulaire pour les sols sableux et en coupe basale ellipsoïdale pour les sols argileux (Raffaillac, 1992) ;
tremper si possible les boutures dans un insecticide ou dans de l’eau chaude pendant 5 à 10 minutes (Beniest et al., 1987 ; James 2000) ;
orienter correctement les boutures avec les cicatrices des pétioles vers le bas, les yeux vers le haut.(Beniest et al., 1987) ;
planter verticalement (à plat) avec une profondeur d’enfoncement comprise entre 8 à 10 cm (Beniest et al., 1987) ;
tasser fermement le sol autour de chaque bouture (Beniest et al., 1987) ; espacer les boutures de 0,85 à 1m entre les lignes et de 1m sur les lignes de plantations (Beniest et al., 1987) ; effectuer un bouturage de remplacement au début de la culture en cas de pourriture ou de desséchement (Beniest et al., 1987).

Contraintes de production

Le manioc est attaqué par un complexe de bio-agresseurs pouvant provoquer des dégâts importants sur les rendements racinaires et aériens (Calatayud et Le Rü, 1997 ; Kumar, 1991 ; Ndayiragije, 1992).
Les principaux ravageurs du manioc sont : les iules qui pénètrent les boutures et les tiges de manioc à partir des zones de blessures causant le pourrissement et la mort de celles-ci. Les iules sont plus actifs en saison pluvieuse (Gillon et Gillon, 1979) ;
les termites qui se nourrissent en rongeant les boutures et les tiges. Les dégâts sont plus importants en saison sèche (James et al., 2000) ;
la cochenille (Phenacoccus manihoti) qui pique et suce la sève des feuilles et des jeunes pousses provoquant ainsi le raccourcissement des entre-nœuds, l’enroulement des feuilles en aspect de buisson et par conséquent le ralentissement de leur croissance et leur dépérissement (Calatayud et Le Rü 1997 ; Fabres et Boussiengue, 1986). La cochenille est plus agressive en saison sèche et les pertes de rendements sont estimées à 60% sur les racines et 100% sur les feuilles (Calatayud et Le Rü, 1997 ; Howeler et al.,2013; Mahungu et al., 2014) ;
l’acarien vert (Mononychellus tanajoa) qui vit sur la face inférieure des feuilles et se nourrit de leur sève. Les symptômes se caractérisent par des tâches chlorotiques, déformations et rabougrissements (Verhoek et Bijlmakers, 1995). Les dégâts sur les rendements racinaires peuvent varier entre 20 et 80% (Ndayiragije, 1992 ; Théberge et al., 1985) ;
le criquet qui mâche les feuilles, les pétioles et les tiges vertes. Les dégâts occasionnés se manifestent par une défoliation et des tiges débarrassées de leur écorce. Il est plus violent en saison pluvieuse et sur les tiges âgées (James et al., 2000) ;
la mouche blanche (Bemisia tabaci) dont la piqûre ne provoque pas de dégâts physique sur la plante, mais transmet le virus de la mosaïque africaine du manioc (Malathi et al., 1987) ;
les rats, les souris, les écureuils et les agoutis sont les principaux agresseurs des tubercules de manioc. Cependant, l’agouti est le ravageur qui cause les dégâts les plus sévères car il attaque les tiges également (James et al., 2000).
Les principales maladies du manioc sont : la mosaïque africaine qui est la plus redoutable infestation du manioc, car elle provoque des pertes de rendement allant de 20 à 90 % selon les variétés, les conditions de cultures et les pratiques utilisées (Bock, 1988 ; Fauquet, et al., 1986 ; Massala et Brazzaville, 1988 ; Servajean, 1986). La sévérité des symptômes (tâche chlorotique, rabougrissement, chute des feuilles) dépend de l’âge de la plante (plus importante sur les plants âgés de moins de six mois), et du type d’infection (Fauquet et al., 1986) ;
la bactériose qui provoque des brûlures au niveau des nervures entrainant la mort et la chute des feuilles. Les symptômes sont plus sévères en saison pluvieuse, et sur les jeunes plants (Weston Msikita et al., 2000). Les pertes de rendement varient de 20% à la totalité de la production (Verdier et Restrepo, 1997) ;
l’anthracnose qui provoque des chancres (lésions) au niveau des tiges et à la base des pétioles foliaires. Cette maladie plus sévère en saison pluvieuse occasionne la défoliation, le ramollissement et l’entortillement de la tige en cas d’attaque grave  (Boher et al.,1983 ; Fargette, 1987 ; Weston Msikita et al., 2000) ;
les maladies des racines qui se manifestent par la pourriture des tubercules qui deviennent molles et inconsommables. Cette pourriture peut être due soit à un champignon soit à l’excès d’humidité (Mahungu et al., 2014).

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Historique de la culture du manioc au Sénégal

Le manioc, originaire du Brésil , a été introduit en Afrique entre le 15ème et le 18ème siècle par les portugais (CMA/AOC,2004). Sa production a démarré en Afrique de l’Ouest dans la seconde moitié du 16ème siècle (Howeler et al.,2013). Au Sénégal, les premières productions remontent aux années 60 et étaient estimées à environ 150 000 t/an entre 1960 et 1970 avec un rendement de 4 t/ha (CDH, 1984). Durant toute la période qui s’étend de 1971 à 1980 les productions ont connu une chute vertigineuse (76%) principalement liée aux déficits pluviométriques et à l’apparition de la cochenille du manioc (CDH, 1984). Ainsi, le manioc qui était cultivé dans toutes les régions du pays, a vu sa production se stabiliser autour de 28 000 t/an à partir 1982 avec un rendement de 3,6 t/ha et sa culture était désormais concentrée essentiellement dans les régions de Thiès (16 920 t/an) et de la Casamance (10 150 t/an) (CDH, 1984). À partir de 1994, les productions connaissent une légère amélioration (35 869 t/an) due à l’augmentation des superficies emblavées et des rendements.
Cette amélioration c’est accentuée à partir des années 2000 avec un regain d’intérêt chez les producteurs grâce au soutien du gouvernement pour la filière manioc (Dièye, 2012 ; Diouf, 2014). En effet, la production a été estimée à 137 893 t/an en 2002 avec un rendement de 4,9 t/ha (Diouf, 2014) .
En 2003, le gouvernement a mis en place un vaste programme de relance de la filière manioc pour atteindre ses objectifs d’autosuffisance alimentaire qui a permis en 2004, la production de 182 494 t avec un rendement de 5 t/ha (Sarrouy, 2010 ; Diouf, 2014).
Entre 2005 et 2006, l’absence de technologie de conservation et de transformation post récolte et l’insuffisance des débouchés freinent cette intensification provoquant de nouveau une diminution des productions (401 448 t/an en 2005 contre 281 487 t/an en 2006). Cependant, la productivité est restée importante car elle est passée de 6 t/ha en 2005 à 10 t/ha en 2006 (Diouf, 2014). La grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (GOANA), lancée en 2008, a stimulé de nouveau la production qui a atteint en 2009 un maximum évalué à 920 866 t/an avec une rendement de 8, 13 t/ha (Diouf, 2010) .
Cependant, des efforts doivent encore être fournis pour optimiser la production et promouvoir une culture durable du manioc au Sénégal.

Table des matières

Introduction 
Chapitre 1. Synthèse bibliographique 
1.1 Historique de la culture du manioc au Sénégal
1.2 Présentation de la plante
1.3 Conditions optimales de production du manioc
1.4 Les variétés cultivées
1.5 Itinéraires de culture proposés pour le manioc
1.5.1 Préparation du sol
1.5.2 Plantation
1.5.3 Entretien
1.5.4 Récolte
1.6 Contraintes de production
Chapitre 2. Matériels et méthodes 
2.1 Site d’étude
2.2 Description de la méthode
2.2.1 Echantillonnage
2.2.2 L’élaboration du questionnaire
2.2.3 La réalisation de l’enquête
2.2.4 Le traitement et analyse des données
Chapitre 3. Résultats
3.1 Diversité du manioc
3.2 Les pratiques de culture du manioc
3.2.1 Description de la conduite culturale du manioc
3.2.1.1 La préparation des parcelles
3.2.1.2 Le bouturage
3.2.1.3 Le prétraitement phytosanitaire
3.2.1.4 Les périodes de plantation
3.2.1.5 La méthode de plantation
3.2.1.6 La densité de plantation
3.2.1.7 Le désherbage
3.2.1.8 La fertilisation minérale
3.2.1.9 Le traitement des infestations
3.2.1.10 La récolte
3.2.2 La rotation culturale
3.2.1 L’association culturale
3.2.2 La pratique de la jachère
3.3 Influence des pratiques de cultures sur le rendement de manioc
Chapitre 4. Discussion
4.1 Les accessions de manioc
4.2 Itinéraire de culture
4.3 Impact des pratiques sur les rendements
Conclusions et perspectives 
Références bibliographiques 

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