Caractérisation des particules dans les lits à galets
LE SYSTÈME FLUVIAL
Structure conceptuelle
Le système fluvial est composé de plusieurs variables hiérarchisées qui sont en interactions (Schumm, 2003 ; Figure 3). Figure 3. Hiérarchisation des variables du système fluvial (modifié d’après Thorne, 1997). Des variables dominantes : le relief, la géologie, le climat et l’occupation des sols, contraignent les variables de contrôle que sont le débit liquide (Ql) et le débit solide (Qs). Les variables dominantes sont relativement stables dans le temps, tandis que les variables de contrôle présentent des fluctuations inter- et intra-annuelles pouvant être à la fois rapides, de grandes ampleurs, saisonnières ou exceptionnelles. Les variables de contrôle conditionnent les caractéristiques morphologiques (largeur, profondeur, pente et sinuosité lit mineur, longueur d’onde des méandres), qui constituent les variables de réponse du système fluvial. La nature de ces dépendances a été formalisée par Knighton (1998) qui a proposé des relations empiriques permettant de prédire les ajustements des caractéristiques morphologiques après une ou plusieurs modifications des variables de contrôles.Dans lesquelles +, – et = indiquent respectivement une augmentation, une réduction ou une stabilité du contrôle (Ql ou Qs) ou de la caractéristique morphologique (w : la largeur du lit, d : la profondeur du chenal, w/d : le ratio largeur sur profondeur, λ : la longueur d’onde des méandres, S : la sinuosité du chenal et s : la pente du lit). Toutefois, malgré l’aspect indispensable de ces relations pour la compréhension ou la prédiction des ajustements fluviaux, elles ne sont pas suffisantes. En effet, les ajustements des caractéristiques morphologiques à des modifications des variables de contrôle peuvent toutefois être atténuées ou amplifiées par des contraintes aux ajustements (Petts, 1979; Thorne, 1997 : pente de la vallée, de la granulométrie des berges et du lit et de la végétation riveraine). Par exemple, la structuration des couches d’alluvions (Depret, 2014) et le pourcentage d’argile (Schumm, 1960) présent dans la matrice des berges contrôlent leur cohésivité, autrement dit, leur sensibilité à l’érosion et donc la mobilité latérale, la largeur du lit mineur, voire le style fluvial du cours d’eau (Mackin, 1956). De même, le développement de la végétation sur les berges tend à fixer les matériaux avec leurs racines réduisant ainsi l’érosion des berges, et in fine contribue à limiter la mobilité latérale et à réduire la largeur du lit mineur (Thorne, 1997). De plus, il existe des effets de rétroactions agissant sur les contraintes d’ajustement (Liébault et Piégay, 2002; Dufour, 2005). Ainsi, une diminution du volume de sédiment en transit (Qs – ) conjuguée à une stabilité de la capacité du transport du cours d’eau (Ql = ), provoquent une incision progressive du cours d’eau dans son lit (d + ). Celle-ci induit une diminution de la fréquence de submersion des bancs qui sont alors plus facilement colonisés par la végétation pionnière (w – ). Le développement de cette végétation stabilise alors les berges des bancs qui sont de moins en moins sensibles à l’érosion. Les sédiments constituant les bancs ne sont plus mobilisables par le cours d’eau, ce qui contribue au déficit sédimentaire (Qs –) : l’incision et la rétraction du lit mineur s’intensifient encore.
Fonctionnement
La dimension temporelle du système fluvial est appréhendée au travers d’un certain nombre de principes. L’équilibre dynamique est défini comme un état moyen autour duquel le système oscille de façon plus ou moins régulière selon les échelles de temps considérées (Sear, 1996). Cet équilibre est classiquement schématisé au niveau des variables de contrôle par la balance de Lane (Lane, 1955) et Borland (Borland, 1960) (Figure 4). Ce schéma relie d’un côté la fourniture sédimentaire (définie par le débit solide Qs et la granulométrie D), et l’énergie disponible pour l’évacuer, ou puissance fluviale (définie par la pente I et le débit liquide Ql), de l’autre. Cet état d’équilibre dynamique du système peut être représenté par les oscillations constantes de l’aiguille de la balance de Lane/Borland autour du 0, centre de la balance (Figure 4). Toutefois ce concept ancien souffre d’une lacune importante : négligeant les interactions entre le lit du cours d’eau et ses berges, il réduit ce dernier à un chenal sans dynamique latérale. D’un point de vue morphologique, le système fluvial fluctue autour de l’état moyen en réponse aux crues morphogènes mais sans tendance d’évolution significative et durable de surface (Amoros et Petts, 1993). On peut se représenter ces oscillations comme les phases d’inspiration et d’expiration de la respiration pulmonaire. À l’état d’équilibre, le système fluvial adopte un régime « permanent » dans lequel les entrées de sédiments et d’énergies sont égales aux sorties (Liébault, 2003). Les apports par l’amont sont alors transportés vers l’aval sans phénomène critique d’érosion (incision) ou de dépôt (engravement). Ce régime permanent se caractérise en outre par une certaine constance : des variables de contrôle (e.g. magnitude des crues, volume des sédiments en transit) ; des contraintes aux ajustements (e.g. cycle de colonisation, développement, rajeunissement ou destruction des communautés rivulaires) ; de la diversité et de distribution spatiale des formes et des processus fluviaux (e.g. élargissement/rétraction et exhaussement/incision du lit mineur, migration/recoupement de méandre). Le système fluvial se caractérise également par une capacité de résilience, c’est-à-dire de sa capacité à rétablir son état initial après une perturbation. La résilience d’un système dépend de son aptitude à faire jouer des processus de rétroaction négative assurés par les échanges entre les différentes unités de l’hydrosystème fluvial. Le temps mis par le système pour retrouver les conditions d’un équilibre dynamique, appelé temps de relaxation, est dépendant des bonnes connexions entre les compartiments du système. Le temps de relaxation intervient après le temps de réaction du système (c’est-à-dire la période entre le début de la perturbation et le début de l’ajustement). Ils composent à eux deux le temps de réponse. Figure 5. Représentation théorique de l’équilibre dynamique du système fluvial et de sa réponse temporaire ou durable à une perturbation brutale provisoire ou durable (adapté d’après Sear, 1996 dans Malavoi et al., 2010 et Knighton, 1998). Il existe deux grands types de perturbations identifiés par Brunsden et Thornes (1979) et également adoptés par Knighton (1998) : – Les perturbations pulsatives (pulsed disturbances) sont des évènements de faible fréquence mais de forte intensité, aux effets dans le temps et l’espace généralement limités, et qui autorisent un retour relativement rapide du système aux conditions initiales (e.g. crues exceptionnelle, glissement de terrain rapide) ; Les perturbations graduelles (ramp disturbances) sont des modifications progressives et durables des variables de contrôles, qui provoquent des changements à longue échéance et impliquent de larges étendues spatiales (e.g. changement de régime des précipitations et/ou des crues) ; Il conviendrait d’y rajouter les perturbations d’origine anthropique qui peuvent engendrer des modifications durables, de forte intensité et cumulées dont les effets sont à la fois immédiats localement et progressifs à mesure qu’ils se propagent dans le système fluvial (e.g. construction de barrage, chenalisation, travaux du service de Restauration des Terrain en Montagne, extractions de matériaux en lit mineur (Liébault et al., 2005; Piégay et al., 2009)). L’ampleur des ajustements du système fluvial est définie par une emprise à la fois spatiale et temporelle. Ainsi, Knighton (1998) proposait un graphique conceptuel dans lequel les échelles spatiales et temporelles d’un ajustement du système fluvial sont interdépendantes et considérées en fonction de la discipline qui les étudie (Figure 6). Les ajustements qui ont une grande emprise spatiale (migration puis recoupement de méandres), nécessitent plus de temps pour s’accomplir. Les petits ajustements (la migration d’une dune sur un lit à fond sableux), présentent des emprises spatiales faibles et se réalisent rapidement. Figure 6. Échelles temporelles des ajustements des différentes composantes géomorphologiques d’un système fluvial (Knighton, 1984). Devant la complexité et la non-uniformité des systèmes fluviaux ainsi que l’imbrication des échelles spatiotemporelles impliquées dans les processus étudiés par la géomorphologie fluviale, il est apparu judicieux de hiérarchiser et sectoriser des unités aux caractères et aux fonctionnements homogènes. Frissell et al., (1986), dans une optique écologique de caractériser les habitats aquatiques, ont proposé de diviser le système fluvial en cinq niveaux hiérarchiques (Figure 7): Le réseau hydrographique (stream system), le segment (segment system), le tronçon (reach system), la macroforme (e.g. « pool/riffle/Point bar » system) et la microforme (microhabitat system). De même Montgomery et Buffington (1998) ont proposé une classification en cinq niveaux hiérarchiques, plus orientée vers l’étude des problématiques géomorphologiques: la région géomorphologique (geomorphic region), le bassin versant (watershed), le segment de vallée (segment valley), le tronçon (channel reach), et la macroforme (channel unit). Plus récemment, Chapuis (2012) a proposé des structures géomorphologiques selon une logique d’emboîtement des échelles spatiales tout à fait adaptée à l’analyse des processus régissant le transfert sédimentaire: de tronçons à tronçons (i.e. les apports nets positifs entre tronçons excédentaires et tronçons déficitaires (Liébault, 2003)), de formes à formes (i.e. érosion de berges vers zones de dépôts), de proche en proche (i.e. déplacement individuel des particules) pour caractériser les processus de la mobilité des sédiments grossiers.
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