Caractérisation de l’exposition des écosystèmes aquatiques à des produits phytosanitaires

Caractérisation de l’exposition des écosystèmes aquatiques à des produits phytosanitaires

Bilan des connaissances sur le bassin versant 

 Caractéristiques générales 

Les données sur les caractéristiques du bassin versant de Roujan présentées ci-dessous sont principalement issues du rapport d’Andrieux et al. (1993). Le bassin versant élémentaire de Roujan est représentatif du contexte languedocien concernant les mutations agricoles en cours, la diversité agronomique et les itinéraires culturaux pratiqués. Il présente en outre une variété de situations topographiques et géomorphologiques, avec un exutoire bien défini, ce qui en fait un site privilégié pour les études hydrologiques. Ce bassin versant est situé dans le bassin versant de la Peyne, un affluent de l’Hérault. Le bassin versant de l’Hérault couvre environ 120 km2 de superficie (Figure 9). Il peut être divisé en deux ensembles géographiques distincts : la haute vallée (relief accidenté, végétation de type maquis et chêne-vert) et la basse vallée (relief plus adouci et paysage viticole typique de la moyenne vallée de l’Hérault). 38 Matériel et Méthodes Les spécificités de ce bassin versant, par rapport à d’autres bassins versants étudiés en France concernent principalement sa forte anthropisation, son appartenance à la zone climatique méditerranéenne (forte variabilité inter- et intra-annuelle du régime pluviométrique avec des crises prononcées) et une forte dominance de la culture de la vigne (couverture végétale discontinue à enracinement très hétérogène). La vigne occupe plus de 70 % de la surface agricole utile avec une production principale de vin rouge de consommation courante. On assiste progressivement à un abandon des terrassettes, une amélioration des cépages ainsi qu’une diversification culturale. Les caractéristiques des crues observées sont en premier lieu dépendantes du climat, de type « méditerranéen subhumide » à saison sèche prolongée (Figure 8). La pluviométrie moyenne est de 650 mm (70 à 80 jours de pluie par an) caractérisée surtout par des orages diluviens et des crues parfois dévastatrices. La température est de 10 à 20 °C (minima en janvier, de 3 à 11 °C et maxima en juillet, de 18 à 30 °C). Les vents dominants sont la tramontane (orientation nord-ouest, 33.7 % des relevés), le mistral (nord-est, 16.4 %), le grec (sud-est, 11.6 %) et le marin (sud, 10.6 %). L’évapotranspiration potentielle est de 1 094.4 mm/an avec un maximum en juillet et un minimum en janvier. janv. févr. mars avr. mai juin juil. août sept. oct. nov. déc. ETP (mm) 0 2 4 6 8 Pluie (mm) 0 25 50 75 100 d’après la table journalière pour l’année 1999. Source : Serveur Meteo Diamant (Agroclim). Figure 8 : Pluie et évapotranspiration potentielle (ETP Penman) quotidiennes moyennes relevées sur le bassin versant de Roujan en 1999. Le bassin versant de Roujan a une surface de 91 ha. Son altitude est comprise entre 75 et 125 m (43°30’nord, 3°19’est). Le système hydrographique est composé d’un collecteur central d’écoulement (1 à 2 m de profondeur, 1.5 à 2 m largeur) auquel est rattaché un réseau de fossés secondaires. Ce réseau aboutit par l’intermédiaire du ruisseau Bourdic à la Peyne (rive droite). Les débits enregistrés à l’exutoire du bassin versant sont compris entre 0 et 1500 L/s. Les évènements de ruissellement (années 1992 à 1995) sont caractérisés par un ruissellement compris entre 0 et 40% de la pluie pour chaque événement pluvieux. Le temps de réponse moyen du bassin versant est de 30 à 60 min, les crues durent de quelques minutes à 12 h à l’exception de quelques épisodes plus longs. 2.1 – Site d’étude : le bassin versant expérimental de Roujan 39 Bassin sédimentaire de la basse vallée de l’Hérault Figure 9 : Situation du bassin versant expérimental de Roujan dans la vallée de l’Hérault (d’après le catalogue des domaines hydrogéologiques Languedoc Roussillon – Midi Pyrénées. Agence de bassins Rhône-Méditerranée-Corse, 1983) et représentation spatiale (parcellaire, réseau routier et de fossés) avec situation des parcelles étudiées (INRA Montpellier). 40 Matériel et Méthodes Concernant le sous-sol, le bassin versant est proche des anciennes lignes de rivage de la mer miocène, et les faciès de bordure y sont par conséquent bien représentés. Il se caractérise par une dissymétrie de répartition des corps sédimentaires (dépôts exclusivement continentaux du pliocène et villafranchien). Le faciès du versant ouest est très divers alors que l’est est constitué d’une structure massive calcaire (Puech Moule). Quatre zones géomorphologiques peuvent être distinguées su le bassin versant de Roujan, sur lesquels différents types de sols se sont formés : ƒ le plateau est constitué de formations pliocènes (sud-est) ou villafranchiennes en plaques. Des formations calcaires sont localisées en bordure. Il culmine à 125 m (27 % de la surface totale) et forme un vaste impluvium. Les sols sont caillouteux, de texture assez fine et de couleur brun-rouge en surface et rougeâtre en profondeur. Ils sont répartis en deux sous-ensembles : à l’ouest des sols acides sur dépôts villafranchiens, avec cailloutis quartzeux enrobés dans des matériaux argilo-sableux rubéfiés [fersialisols (classification française) ou nitisol (WRBFAO)] ; à l’est, des sols rouges caillouteux mais recarbonatés [rendosols (classification française) ou calcaric leptosol (WRB-FAO)] ; des terrasses sont aménagées sur la zone de pente accentuée (10 à 20 %) qui occupe 33 % du bassin versant, sur des affleurements calcaires et un substrat sablo-gréseux (molasse). Les sols y sont majoritairement calcaires [calcosols (classification française) ou calcisol (WRB-FAO)] à texture limono-sableuse, ce qui explique leur faible stabilité structurale de surface. ; ƒ le glacis colluvial, sur les versants en pente douce de 5 % (26 % de la surface totale). Les sols sont limoneux et faiblement calcaires, avec des profils peu différenciés [coluviosols calcaires (classification française) ou calcaric cambisol WRB-FAO)] ; ƒ la dépression très évasée avec une pente faible de 1-2 % (12 % de la surface totale) est formée de dépôts alluvio-colluviaux sur substratum miocène, drainée par un fossé aboutissant au Bourdic. Les sols sont calcaires à texture plus fine, nettement hydromorphes [colluviosols réductiques calcaires (classification française) ou gleyic cambisol (WRB-FAO)] du fait de la présence de la nappe permanente. D’autre part, deux réservoirs hydrogéologiques se distinguent : ƒ le plateau : ce sont des nappes temporaires 3 à 6 m de profondeur qui s’installent lors des fortes pluies d’automne. En période de crue, la nappe affleure. La vidange s’opère par des écoulements latéraux en bordure de plateau (suintements en tête de talweg principal) ou par des sourcins (ou mouillères) en milieu de versant. ƒ Le système glacis-dépression contient une nappe permanente sur une couche imperméable à 6 ou 8 m de profondeur. Elle oscille entre la surface et 1m de profondeur suivant les précipitations, et subit l’influence du déversement de la nappe de plateau. Le rabattement est assuré par le réseau de fossés. 2.1 – Site d’étude : le bassin versant expérimental de Roujan 41 Les sols sont principalement de type carbonaté et « basique ». Seules quelques zones sur le plateau sont acides. Ces caractéristiques auront sans doute une influence sur la spéciation du cuivre dans les sols et MES. Les données climatiques (pluies intenses faisant suite à des périodes de forte sécheresse), topographiques (pentes accentuées sur les terrasses), culturales (dominance de la viticulture) et hydrographiques (importance du réseau de fossés) présagent de l’importance de l’érosion et les transferts de polluants par ruissellement. 

 Caractéristiques des crues

 Grâce au traçage chimique et isotopique naturel sur plusieurs crues de 1993 à 1995 (Ribolzi, 1996), il a été possible de ressortir les principaux facteurs influents : quelle que soit la période (humide ou sèche), le ruissellement de surface intervient dans l’écoulement rapide de crue. En période humide, les nappes souterraines interviennent, mais avec une contribution inférieure au ruissellement. Les écoulements hypodermiques ne sont pas significatifs. Par exemple, l’analyse de la crue du 14 et 15 avril 1993 a confirmé l’importance de la contribution de l’eau « nouvelle » (eau météorique) dans l’écoulement rapide de crue (environ 80% à la pointe de crue). L’essentiel s’achemine vers l’exutoire par voie superficielle, et correspond au refus d’infiltration à la surface des sols. Le traçage a aussi permis de montrer que l’essentiel du ruissellement de surface est originaire des versants. L’eau « préexistante » de la nappe de la dépression est une composante minoritaire du mélange à l’exutoire. Confirmées sur d’autres crues (2 à 3 novembre 1994, 4 à 5 novembre 1994 et 18 septembre 1995), ces observations concluent principalement que le ruissellement de surface constitue le processus majeur de la genèse de la crue. On peut expliquer le fonctionnement hydrologique du bassin versant par quatre étapes principales (Voltz et al., 1997) : (1) à la surface des parcelles : ruissellement hortonien (infiltration excess overland flow) majoritaire sur les sols croûtés. (2) collecte du ruissellement de surface par les fossés. Il se mêle aux autres ruissellements et à la pluie directe. (3) recharge de la nappe de plateau par infiltration à travers le sol ou réinfiltration de l’eau circulant dans les fossés. (4) La nappe de plateau soutient le débit jusqu’à sa vidange complète. L’écoulement à l’exutoire du bassin versant hors période de crue (débit de base) correspond à la vidange de la nappe de la dépression par les fossés. Le ruissellement de surface constitue donc, en terme de flux, l’apport principal à la Peyne en période de crue, par l’intermédiaire du réseau de fossés. L’intensité des précipitations, sous un climat méditerranéen, favorise d’autant plus le ruissellement et l’entraînement de polluants dissous et particulaires. Cela illustre l’intérêt du site pour l’étude du transfert des polluants par ruissellement, et à leur impact sur les écosystèmes aquatiques récepteurs. Cependant, comme les autres facteurs déterminant les flux de matière dans le bassin versant, la parcelle est l’échelle d’étude privilégiée. Le ruissellement est en effet principalement conditionné par l’état de surface du sol (rugosité, présence d’un couvert végétal et présence d’une croûte) qui est spécifique à chaque parcelle (Leonard and Andrieux, 1998). 

Utilisation des produits phytosanitaires sur le bassin versant

 Une enquête réalisée dans le cadre du projet AIP INRA Ecospace / Allegro-Attila (Louchart et al., 1997), a permis de réaliser : ƒ un inventaire et la typologie des itinéraires culturaux sur le bassin versant de Roujan : construction d’une base de donnée à partir d’enquêtes auprès des viticulteurs – synthèse des principales pratiques culturales et de désherbage ; ƒ une évaluation des risques de pollution diffuse par les produits phytosanitaires utilisés, au niveau de la parcelle. Le bilan en 1996 sur l’occupation du sol a permis de montrer que la vigne occupe 67.5 % de la superficie avec 3 cépages dominants : Carignan noir (21.3 %), Aramon (20.5 %) et Syrah (16.3 %). Les surfaces sur le bassin versant sont réparties ainsi : ƒ 36.58 ha (62 parcelles) en vignes palissées (62.3 % des vignes) ƒ 22.18 ha (67 parcelles) en vignes en gobelet (37.7 % des vignes) ƒ 21.46 ha (84 parcelles) en friches et garrigues ƒ autres occupations : céréales (3.7 ha, 5 parcelles), Jachère (2.12 ha, 4 parcelles), Arrachage (1.69 ha, 5 parcelles), Maraîchage (1.63 ha, 5 parcelles), Luzerne (1.38 ha, 3 parcelles), Lagune (1.33 ha, 2 parcelles). Deux principales pratiques culturales ont été identifiées en fonction du type de désherbage : désherbage chimique total sur l’ensemble de la parcelle (application d’herbicides par aspersion) et désherbage mixte (désherbage chimique sur le rang et mécanique sur l’inter-rang par labour sur 8-15 cm ). L’étude menée en 1995 note que, parmi les pesticides appliqués (hormis le cuivre et le soufre), les herbicides présentent le risque majeur de pollution diffuse des eaux (voir choix des variables d’exposition et d’effet au tableau 7 et quantités de pesticides appliqués au tableau 8). Les principaux facteurs déterminant la mobilisation des pesticides sont le stock de polluant disponible dans les sols, plantes, résidus de culture (émetteur) ; le transfert aux eaux de surface et souterraine (récepteur), par ruissellement de surface ou drainage, en solution ou sur les MES (vecteur). Cette approche a permis de faire ressortir que les molécules à risque d’exposition maximum sont les suivantes pour les eaux de surface : Aminotriazole, Diuron, Simazine, Terbuthylazine et Glyphosate. Ce sont tous des herbicides (les plus utilisés sur le bassin versant). En effet, ces molécules sont directement appliquées sur le sol et facilement entraînées par les eaux de ruissellement (Lennartz et al., 1997). Aminotriazole, Diuron et Simazine présentent aussi un risque pour les eaux souterraines. Ce risque reste cependant limité sur Roujan car le réseau d’eau souterraine est peu étendu et inexploité. Deux fongicides (Cymoxanil et Métaloxyl) présentent aussi un risque élevé, à la fois pour les eaux souterraines et de surface.  

Table des matières

Remerciements
Résumé
Abstract
Table des matières
Liste des tableaux
Liste des figures
Liste des équations
Liste des abréviations
Introduction Générale
Objectifs généraux
CHAPITRE 1 Rappels bibliographiques
1.1 Les métaux traces dans l’environnement
1.1.1 Généralités
1.1.2 Cas du cuivre
1.2 Le cuivre dans les eaux de ruissellement viticoles
1.2.1 Généralités sur les pesticides
1.2.2 Pollution diffuse des eaux de surface
1.2.3 Généralités sur le cuivre en tant que produit phytosanitaire de la vigne
1.3 Toxicité des métaux traces pour les organismes aquatiques
1.4 Biodisponibilité des métaux dans les écosystèmes aquatiques
1.4.1 Le modèle de l’activité de l’ion libre
1.4.2 Les complexes lipophiles des métaux
1.5 Spéciation des métaux en milieu aquatique
1.5.1 Complexation
1.5.2 Précipitatio
1.5.3 Adsorption
1.6 Méthodes de spéciation des métaux dans les milieux aquatiques
1.6.1 Spéciation des formes dissoutes
1.6.2 Spéciation des formes particulaires
1.7 Mesure de la toxicité des métaux traces pour les organismes aquatiques
1.7.1 Biotests sur des micro-organismes
CHAPITRE 2 Matériel et Méthodes
2.1 Site d’étude : le bassin versant expérimental de Roujan
2.1.1 Bilan des connaissances sur le bassin versant
2.1.2 Prélèvements
2.1.3 Détermination des caractéristiques des crues
2.2 Pratiques de laboratoire
2.3 Caractérisation physico-chimique
2.3.1 Matières en Suspension (MES)
2.3.2 Colloïdes
2.3.3 Paramètres généraux : pH, conductivité, alcalinité
2.3.4 Carbone Organique Dissous (COD)
2.3.5 Cations
2.3.6 Anions
2.3.7 Métaux traces
2.3.8 Extractions aqueuses et organiques des MES
2.4 Biotests
2.4.1 Bactérie
2.4.2 Algue
2.5 Analyses statistiques
2.5.1 Validation des données
2.5.2 Expression de la toxicité
2.5.3 Corrélations et Analyses multivariées
CHAPITRE 3 Effet des métaux sur des organismes aquatiques en conditions contrôlées
Prise en compte de la spéciation chimique pour interpréter les résultats des biotests
3.1 Effet du cuivre sur l’algue Pseudokirchneriella subcapitata
3.1.1 Quantification de la biomasse algale : validation d’une alternative au comptage cellulaire
3.1.2 Comparaison de la toxicité du cuivre évaluée par les différents indicateurs d’effet
3.1.3 Implications pour l’utilisation du biotest
3.2 Influence du milieu d’ajustement osmotique pour le biotest bactérien
3.2.1 Toxicité du cuivre
3.2.2 Toxicité du zinc
3.2.3 Toxicité du cadmium
3.2.4 Toxicité du plomb
3.2.5 Conclusion
3.3 Biodisponibilité des complexes lipophiles des métaux
3.3.1 Résultats
3.3.2 Discussion
3.3.3 Conclusion
3.4 Conclusions générales du chapitre
CHAPITRE 4 Étude des eaux de ruissellement de parcelles viticoles
4.1 Caractérisation du ruissellement sur la parcelle sur sol carbonaté
4.2 MES et cuivre associé
4.2.1 Répartition granulométrique des MES
4.2.2 Éléments majeurs constitutifs des MES
4.2.3 Métaux traces dans les MES
4.2.4 Spéciation du cuivre dans les MES
4.2.5 Toxicité des extraits des MES et implications pour l’exposition des écosystèmes aquatiques récepteurs
4.3 Éléments dissous
4.3.1 Matrice des ions majeurs
4.3.2 Utilisation de produits phytosanitaires pendant la période d’étude
4.3.3 Concentrations moyennes en métaux traces et pesticides
4.3.4 Dynamique des contaminants au cours d’une crue
4.3.5 Spéciation du cuivre dissous
4.3.6 Toxicité dans la fraction dissoute
4.4 Conclusions générales du chapitre
CHAPITRE 5 Conclusions et perspectives
5.1 Utilisation de bioessais pour identifier la toxicité des métaux en milieux multicontaminés
5.2 Détection des complexes lipophiles dans l’environnement
5.3 Identification des mécanismes de biodisponibilité
5.4 Cuivre et produits phytosanitaires en viticulture
Communications issues de la thèse
Bibliographie

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