Caractérisation de la matière molle systèmes sans contact associés pour la micro-rhéologie
Ce premier chapitre a pour objectif de décrire succinctement les enjeux de caractérisation de la matière molle et la difficulté d’en extraire de manière absolue les propriétés viscoélastiques. Malgré les avancées en matière d’instrumentation, la complexité des interactions mises en jeu au sein de la matière molle ne permet pas aux instruments actuels d’en comprendre tous les mécanismes. La tendance est d’ailleurs de coupler différentes techniques qui permettaient de remonter soit à la structure, soit aux propriétés d’écoulement macroscopiques. Afin de mieux cerner le caractère innovant et l’intérêt du capteur développé dans le cadre de cette thèse, la complémentarité de ces différentes techniques classiquement utilisées est présentée. Une approche théorique originale décrivant les propriétés rhéologiques dynamiques du fluide complexe par une fonction de transfert d’un système mécanique linéaire équivalent permet de retracer les fondements théoriques sur lesquels s’appuie la technique micro-rhéologique ultrasonore retenue dans le cadre de cette thèse. La description, in fine, du principe de mesure de ce système de caractérisation ultrasonore et des résultats préliminaires fixe le contexte scientifique et applicatif dans lequel s’inscrit le travail de thèse. La description et le contrôle des propriétés de la « matière molle » présentent un enjeu industriel considérable tant par l’étendue des produits et matériaux concernés, que par l’intérêt scientifique mis en lumière par Pierre-Gilles de Gennes dans les années 1980.
Ces matériaux complexes (aussi appelés fluides complexes) sont en effet des systèmes multiphasiques (émulsions, suspensions colloïdales et granulaires, suspensions de fibres, de polymères, ou d’exopolymères (biofilms), gels, matériaux hybrides organiques-inorganiques…) aux comportements macroscopiques entre la physique des liquides et la physique des solides [1], [2]. En fonction de l’application et de la fonctionnalité recherchée, l’optimisation du procédé de fabrication (souvent initié en phase liquide) permet d’obtenir un produit final dont les propriétés et la texture sont contrôlées. Les matériaux hybrides organiques-inorganiques, par exemple, permettent aujourd’hui d’accroitre le panel d’applications grâce à des méthodes d’élaboration par chimie douce [3]. Ils présentent l’avantage de combiner les bénéfices des molécules organiques avec ceux des matrices minérales, sans altérer leurs propriétés respectives [4]–[8]. On trouve donc aujourd’hui ce type de matériaux tant dans les produits de soins (mousses à raser, gels douche), les produits d’entretien (silicones et matières plastiques dérivées du pétrole, peintures, cires), les produits agroalimentaires (sauces, gélatines, mayonnaise, yaourts), que les produits pharmaceutiques et biologiques (biomatériaux, gélules, polymers-base drug delivery [9]–[11]).
De fait, des réorganisations importantes peuvent être observées sous l’effet de faibles variations de l’environnement (température, concentration, pH) ou de faibles sollicitations extérieures (contrainte mécanique, champ électrique, champ magnétique). Cet état de fait se vérifie d’autant plus que les effets entropiques et enthalpiques sont du même ordre de grandeur. On comprend alors que les conditions initiales et les premières étapes d’élaboration de ces produits jouent un rôle crucial sur la structure finale. On comprend aussi que ces structures puissent évoluer en fonction des sollicitations extérieures. Du fait du grand nombre de grandeurs d’influence mises en jeu (énergétiques, temporelles) et des échelles concernées (de l’échelle microscopique à l’échelle macroscopique), il est difficile de donner une liste exhaustive des techniques expérimentales disponibles pour les caractériser. Il existe en effet un grand nombre de moyens de caractériser ces matériaux en fonction de l’échelle investiguée [14]. Néanmoins, afin de placer dans son contexte le système instrumental développé dans cette thèse, il convient de citer les principaux moyens d’investigation et de souligner très brièvement leur complémentarité. A l’échelle microscopique, la matière molle est largement investiguée par la plupart des systèmes de spectroscopie et d’imagerie modernes. Un livre en deux volumes est d’ailleurs consacré au détail de ces techniques [15].
Les structures colloïdales sont ainsi essentiellement caractérisées par spectroscopie et imagerie par RMN (Résonance Magnétique Nucléaire), par microscopie optique, et par microscopie proche infrarouge [16], [17]. Selon le temps nécessaire pour acquérir une image, d’autres techniques de microscopie sont plutôt employées telles que la microscopie électronique ou acoustique [18], [19]. Elles permettent notamment de suivre l’évolution de la structure aux différentes phases de formation. Dans une plus grande échelle d’investigation, des techniques, utilisant la caractérisation des ondes optiques (ondes évanescentes ou dispersion de lumière), permettent de mesurer la taille moyenne des particules en solution [20]. Suivant la concentration des matériaux, les méthodes de spectroscopie ultrasonore et de spectroscopie électroacoustique, permettent de fournir des informations de dimension particulaire plus fiables à partir des phénomènes de dispersion [21].