En ce début du XXI-ème siècle, protéger l’environnement devient un enjeu scientifique et sociétal majeur dans un contexte de développement durable. Les zones côtières occupent une place particulière du fait de,(a) de l’étendue des côtes (le linéaire côtier global est de l’ordre de douze fois la longueur de l’équateur), (b) de la forte concentration des populations humaines sur le littoral, (c ) de la multiplicité des modes d’utilisation des ressources naturelles (pêche, aquaculture, potentiel éolien, énergies marines renouvelables…) et (d) de la multiplicité des échelons de gouvernance, à savoir internationale, nationale, régionale, locale et autres. À ce titre, les zones côtières font l’objet d’un intérêt croissant. Cependant, leur fonctionnement est difficile à appréhender car il faut tenir compte pleinement de la multi dimensionnalité de cet environnement, de son évolution et de la présence de nombreuses boucles de rétroaction entre systèmes côtiers naturels, industriels et humains. La zone côtière représente l’archétype de l’éco-système complexe, système pour lequel il importe pour l’appréhender, d’utiliser une approche qui transcende les disciplines en les intégrant.
La connaissance de la circulation marine en région côtière s’est considérablement améliorée au cours des vingt dernières années en raison des progrès techniques réalisés par les moyens d’observation et par les moyens de calcul mis à la disposition des modélisateurs. La calibration, puis la validation des modèles numériques est une préoccupation constante, souvent en raison de l’utilisation en aval des résultats des modèles pour d’autres études spécifiques (cartes de courants, dérives de masses d’eau, transport et dispersion du matériel dans l’eau). Dans la zone côtière plus qu’ailleurs, la complexité géométrique du contour des côtes, la bathymétrie et la variabilité des forçages, conditionnent les échelles temporelles et spatiales à atteindre.
L’écoulement à travers la Manche orientale a une influence capitale sur la qualité de l’eau des régions côtières du Pas-de-Calais – Picardie (PdCP) et du Sud de la mer du Nord. Il amplifie la sensibilité écologique de ces régions caractérisées par une forte densité de population, une concentration de l’industrie et un trafic maritime intense. Deux objectifs de grande ampleur, étroitement liés l’un à l’autre, obligent à disposer d’informations sur l’environnement marin : l’évaluation de la qualité des eaux en l’état actuel et la prévision de sa future évolution. Si des évaluations sur l’état actuel de l’environnement marin sont requises, c’est surtout pour apporter une aide aux autorités publiques et aux gestionnaires du littoral dans la prise de décisions en cas de risques de contaminations microbiologiques ou de pollutions accidentelles afin de protéger la population (eaux de baignades) et assurer un développement durable des activités touristiques et aquacoles (zones de productions conchylicoles).
Tout changement de l’état actuel et les incidences qui en résultent doivent faire l’objet d’une surveillance et d’une évaluation. La rapidité de cette évaluation est basée sur la facilité d’accès à l’information et sur la connaissance de la variabilité spatiale de l’environnement. L’ampleur de la contamination et des tendances chronologiques est très importante pour la gestion des événements de contamination. Les principales lacunes de nos connaissances pour la gestion des épisodes de contamination sur notre littoral concernent (i) les propriétés physiques et dynamiques du milieu côtier (eau et air au-dessus des couches de surface) responsables de la propagation de la contamination, (ii) le comportement du contaminant (microorganismes) dans le milieu marin (mortalité, neutralisation par le milieu, dispersion, sédimentation, remise en suspension…) et (iii) la performance des outils de prévision de risques de contaminations microbiologiques.
La Manche, mer épicontinentale à forte marée, est un carrefour biogéographique et un carrefour économique important de l’Europe du Nord-Ouest. Son bassin oriental, peu profond (< 65 m), est le siège de nombreuses activités maritimes nouvelles comme l’augmentation des capacités de déchargement des conteneurs dans les ports, le développement énergétique (construction de centrales thermonucléaires, installation d’éoliennes offshore et les besoins de nouvelles ressources marines dont les granulats.
Ces pressions entraînent une dégradation de la qualité du milieu, notamment face à l’estuaire de la Seine. Pour tenter de répondre à ces enjeux et à ces problèmes, des démarches nationales et européennes destinées à mieux connaître et gérer cette zone côtière transfrontalière dans une perspective de gestion intégrée ont été entreprises depuis une dizaine d’années. Différents programmes scientifiques interdisciplinaires ont ainsi été mis en œuvre au niveau transnational et national sur tout ou partie de la Manche orientale. Seule cette intégration des connaissances permet de prendre en compte et d’analyser les nombreuses interactions qui existent entre les différents écosocio-systèmes qui composent ce territoire. Parallèlement, des tentatives d’intégration des politiques mises en œuvre par les nombreux acteurs compétents en matière de gestion des zones côtières ont été initiées. En France, l’état intervient par l’intermédiaire de plusieurs ministères au niveau national, de différentes préfectures et services déconcentrés. Quant aux collectivités territoriales (dont les régions et les syndicats mixtes), elles entendent jouer un rôle de plus en plus important en matière de gestion du littoral. L’organisation des pouvoirs publics a cependant évolué au cours de ces dernières années et des initiatives ont été prises, à la fois par l’état et les collectivités territoriales, pour mieux coordonner l’action des pouvoirs publics en Manche orientale.
La Manche (ou English Channel pour les anglo-saxons), présente trois principales caractéristiques : i) mer épi-continentale du plateau continental Nord-européen, bordée au Nord par l’Angleterre et au Sud par la France ; ii) mer à forte marée ou mer mégatidale dont le régime hydrodynamique structure fortement ses écosystèmes ; iii) carrefour biogéographique en zone tempérée froide localisée entre la zone tempérée chaude au Sud et la zone boréale au Nord. Ses composantes faunistiques et floristiques sont donc sensibles aux changements climatiques et à trois autres particularités liées à l’hydrologie, la sédimentologie et l’écologie (Dauvin, 1997 ; Dauvin et Dewarumez, 2002). Elle s’étend sur une superficie d’environ 77000 km². Largement ouverte à l’Ouest aux influences de l’océan Atlantique, elle communique avec la mer du Nord par le Pas-deCalais (35 km de large), elle forme un corridor long de 500 km et large à son maximum de 250 km. Sa profondeur maximale dans la fosse centrale au Nord-Ouest de la presqu’île du Cotentin atteint 174 m. D’un point de vue géographique et océanographique, Cabioch, (1968) distingue deux bassins : le bassin occidental, situé à l’Ouest de la ligne des roches des Casquets (Ouest du cap de la Hague) jusqu’ à la pointe Bill of Portland en Grande-Bretagne, plus profond et largement influencé par les eaux atlantiques, et à l’Est le bassin oriental qui est limité par une ligne entre Calais et Douvres, moins profond, plus continental et largement influencé par le seul grand fleuve se déversant en Manche, le long des côtes françaises, la Seine.
Le va et vient diurne de la marée cache un transport à long terme des particules d’eau. Après une séquence flot-jusant, les particules d’eau ne reviennent pas exactement au même endroit. Le transfert entre un mouvement purement alternatif et un mouvement moyen (ou résiduel) a pour origine les fortes amplitudes des marées et des courants couplés à une topographie du fond et à des formes de côtes mouvementées. Les usagers de la mer savent depuis longtemps que les épaves (bois flottants, détritus, algues) se déplacent sur plusieurs jours, semaines ou mois sous les effets conjugués de la marée et du vent. Depuis le début du siècle (Matthews 1911), l’étude de la salinité en Manche a révélé un mouvement général des eaux depuis l’Atlantique vers la mer du Nord. Depuis, les études menées à l’Ifremer par modélisation numérique ont permis de confirmer, de quantifier et de préciser cette hypothèse. Dans un article de synthèse Salomon et Breton (1993) ont calculé les trajectoires moyennes des particules d’eau dans la Manche. Si le transport général est dirigé vers le Pas-de-Calais et la mer du Nord, on constate que les particules ont tendance à contourner les Îles Anglo-Normandes ou le tourbillon de Barfleur. Les courants résiduels moyens sont dirigés de l’Atlantique vers la mer du Nord.
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