Capture de forces à atomes piégés dans un réseau
optique
Forces a faible distance
Intérêt de la mesure
Etude de la gravitation à courte portée
Le projet sur lequel j’ai réalisé ma thèse vise à mesurer les forces d’interaction entre des atomes et une surface pour des distances de l’ordre du micromètre avec pour objectif de tester les lois de la gravitation à très courte échelle. En effet, si la loi de la gravitation est très bien connue pour des distances allant du mètre aux distances interplanétaires, elle est en revanche mal testée à très courte et très grande distance. Certaines théories d’unification de la mécanique quantique et de la relativité générale prédisent même de légères déviations à ces échelles. On peut paramétrer ces déviations sous la forme d’un potentiel de Yukawa : UY uk(r) = UGrav 1 + αe− r λ . (1.1.1) o`u UGrav est le potentiel de gravitation, α représente l’amplitude relative de la déviation et λ sa portée. On appelle parfois cette nouvelle interaction la « cinquième force ». Dans notre cas, mesurer les forces s ?exer¸cant sur des atomes permettra de contraindre la valeur maximale de α pour λ compris entre 1 et 10 µm. On peut se demander pourquoi la gravitation est si mal connue à courte distance. Pour cela, il faut se demander quelles sont les forces qui s’exercent sur des atomes. Dans notre cas, les atomes vont être sensibles en premier lieu à la force de gravitation terrestre, car nous effectuons des mesures dans le référentiel du laboratoire. Ils vont aussi être sensibles à la force d’interaction gravitationnelle entre les atomes et la surface qui est bien plus faible. Mais pour des distances variant entre 1 et 10 µm, la force prépondérante est la force de Casimir-Polder (voir 1.1.2) qui domine très largement, de plusieurs ordres de grandeur, devant la force d’attraction gravitationnelle atomes-surface. Cette force de Casimir-Polder est calculable, à condition de bien connaˆıtre les caractéristiques des atomes et de la surface. Réaliser une mesure des forces à faible distance avec une précision suffisante permettra de comparer la mesure au calcul, et de poser de nouvelles contraintes sur les paramètres de λ et α.
Applications à la nanofabrication
Outre la recherche d’une nouvelle force, la mesure et la compréhension des forces de Casimir et de Casimir-Polder peut avoir des applications, notamment dans le domaine des MEMS et NEMS (Micro-NanoElectroMechanical Systems en anglais). Les forces de Casimir et de Casimir-Polder ont en effet un impact sur le fonctionnement de ces systèmes nanométriques [Chan et al. , 2001]. On peut aussi envisager d’utiliser ces forces pour piéger des atomes et les manipuler. La connaissance de cette force est alors importante, notamment pour tous les projets visant à miniaturiser les expériences d’atomes froids, utilisant des puces à atomes [Ockeloen et al. , 2013] ou bien rapprochant les atomes de nanostructures [Chang et al. , 2013] ou de nanofibres [Reitz et al. , 2013]. Une expérience a, par exemple, permis de caractériser l’effet du potentiel de Casimir-Polder sur le temps de vie d’une distribution thermique d’atomes ou d’un condensat dans un piège sur puce atomique [Lin et al. , 2004]. 1.1.2 La Force de Casimir-Polder En 1948, H.B.G. Casimir a mis en évidence une propriété extraordinaire de l’électrodynamique quantique : deux plaques métalliques placées dans le vide électromagnétique s’attirent [Casimir, 1948]. On peut voir cela comme le fait que les deux plaques métalliques agissent comme une cavité, et sélectionnent les modes de champs du vide qui peuvent exister à l’intérieur de la cavité, alors que tous les modes peuvent exister à l’extérieur. Cela mène à une différence de densité d’énergie entre l’intérieur et l’extérieur de la cavité, et il en résulte une force de pression, qui attire les deux plaques l’une vers l’autre. H.B.G. Casimir et D. Polder prédisent la même année [Casimir & Polder, 1948] l’existence d’une force analogue entre un atome et une surface. Elle découle de l’interaction du dipˆole atomique avec les modes de champs du vide à proximité d’une surface plane. On peut interpréter cette interaction comme le fait que le dipˆole atomique interagisse avec son reflet par la surface (dipˆole fictif). L’interaction qui en résulte dépend des caractéristiques de la surface et des atomes ainsi que de la distance L les séparant. Suivant la distance L, plusieurs comportements asymptotiques apparaissent, ce que l’on peut voir sur la Figure 1.1. Pour L inférieure à la longueur d’onde atomique λat (soit pour le Rb une distance inférieure à 0,1 µm), l’interaction atome-surface est considérée comme instantanée, on l’appelle interaction de Van der Waals, et son potentiel décroˆıt en 1/d3 . Pour L supérieure à λat, soit entre 0,1 et 2 µm, il faut tenir compte du fait que la vitesse de la lumière n’est pas infinie, et qu’il y a donc un retard dans l’interaction du dipˆole et de son image. C’est l’interaction de Casimir-Polder et le potentiel a un comportement en 1/d4 . Pour une distance supérieure à 2 µm, il faut tenir compte des excitations thermiques 8 1. FORCA-G Principe de l’expérience et rappel des premiers résultats des modes du champ, c’est l’interaction de Lifshitz, et on retrouve un comportement en 1/d3 . Compte tenu de ces lois de puissance, la connaissance de la distance atome-surface L est cruciale pour le calcul et la mesure précise de la force de Casimir-Polder. Dans notre cas, cette distance sera très bien déterminée, car la surface que nous allons utiliser est celle du miroir de rétro-réflexion de l’onde stationnaire confinant nos atomes dans un réseau optique. Les atomes se trouveront à des distances multiples de λV erdi/2 o`u λV erdi est la longueur d’onde du laser créant le réseau. La gamme de distance que nous espérons pouvoir sonder avec notre expérience se situe entre 1 µm et 10 µm. Cela nous permettra d’étudier la transition entre l’interaction de Casimir-Polder, et Lifshitz. Figure 1.1 : Interaction surface-atome en fonction de la distance de séparation. Calculs réalisés pour un condensat de 87Rb et un substrat en Saphir à 300 K (Figure provenant de [Antezza et al. , 2004]) La force de Casimir Polder est calculable et elle ne dépend, dans le cas d’une surface parfaitement réfléchissante, que de la polarisabilité statique de l’atome [Pélisson, 2012] : FCP = − 3 2π ~c α0 L5 (1.1.2) Dans notre cas, la surface n’est pas parfaite, mais le calcul peut tout de même être réalisé, à condition de connaˆıtre les caractéristiques de la surface (coefficients de réflexion et de transmission pour toutes les polarisations, toutes les longueurs d’ondes et tous les angles d’incidence), ainsi que les caractéristiques des atomes (polarisabilité diélectrique statique, principales longueurs d’onde de transition). Pour mener à bien ces calculs, notre équipe a développé une collaboration avec le groupe « Fluctuations quantiques et relativité » du Laboratoire Kastler Brossel.
Etat de l’ar
Plusieurs expériences visant à mesurer ces forces à faible distances ont déjà été menées, aussi bien entre deux surfaces macroscopiques qu’entre des atomes et une surface. Les premières mesures qui ont été réalisées sont des mesures de la force de Casimir.
Mesures de la force de Casimir
La première mise en évidence de la force de Casimir a été réalisée en 1958 à Eindhoven aux Pays-Bas par M. J. Sparnaay [Sparnaay, 1958], à l’aide de deux plaques métalliques rapprochées l’une de l’autre. Un système de balance permettant de relier la force à une variation de capacité d’un condensateur a permis de mesurer une force en accord avec les prédictions de Casimir pour des distances entre 0.5 et 2 µm. Le même genre d’expérience a ensuite été réalisé en 1978 à Utrecht aux Pays-Bas par P. van Blokland et T. Overbeek [van Blokland & Overbeek, 1978], mais pour de plus faibles distances (entre 132 et 670 nm). Ils ont retrouvé le comportement de la force de Van der Waals. Maintenir deux plaques macroscopiques parfaitement parallèles entre elles se révèle très difficile. Les premières mesures de précision ont été réalisées par S.K. Lamoreaux en 1997 [Lamoreaux, 1997] et utilisent une balance de torsion : une des deux plaques est remplacée par une sphère. La surface plane est placée sur la balance qui pivote autour d’un axe. La sphère est approchée de la surface plane, et suivant la distance entre la sphère et la surface, la force va faire pivoter la balance. Un système de rétroaction permet de fixer l’angle de la balance et de mesurer la force entre 0,5 et 6 µm. A la suite de cette première ´ expérience, une série de d’autres expériences exploitant le principe d’un microscope à force atomique [Mohideen & Roy, 1998] ou de micro-poutres (microcantilever en anglais) approchés de surfaces [Chiaverini et al. , 2003] [Decca et al. , 2005] ont permis d’améliorer la mesure de la force de Casimir, et donc d’améliorer les contraintes sur l’amplitude d’une éventuelle déviation α. Tous ces résultats sont combinés sur la Figure 1.2. Des mesures plus poussées, visant à caractériser le comportement de la force de Casimir en fonction de la température des surfaces ont été réalisées au cours des années 2000. En effet, pour une connaissance précise de la force de Casimir, il faut évaluer les corrections dues au fait que la température des surfaces n’est pas nulle. Une mesure de ces forces s’accompagne à chaque fois d’un calcul dédié à chaque configuration, car l’interaction change Figure 1.2 : Plan( α-λ). Les limites Mosepanenko, Kapitulnik et Price viennent des références [Decca et al. , 2005], [Chiaverini et al. , 2003] et [Long et al. , 2003] et la ligne pointillée est le résultat de la première expérience du groupe de E. Cornell dont est tiré ce graphe [Harber et al. , 2005]. suivant les caractéristiques des surfaces. Par exemple, l’article [Genet et al. , 2000] a réalisé les calculs de la force de Casimir pour l’expérience décrite dans [Bostr¨om & Sernelius, 2000]. Je ne développerai pas plus les travaux réalisés sur la mesure des forces de Casimir, ils sont synthétisés dans l’article de revue [Bordag et al. , 2001]. Une équipe de Stanford s’est spécialisée dans la mesure de la force de Casimir à une distance d’environ 10µm, chacune de leurs mesures a permis d’améliorer la contrainte sur l’existence d’une cinquième force, leur dernière publication date de 2008, [Geraci et al. , 2008]. Leurs mesures successives sont représentées sur la Figure 1.3.
1 FORCA-G Principe de l’expérience et rappel des premiers résultats |