Capitalisation du processus de mise en œuvre des pratiques de production et de commercialisation des produits
Place de l’agriculture saine et durable dans le monde et au Sénégal
Au cours des décennies passées, l’utilisation des intrants (semences améliorées, engrais chimiques et des produits agro pharmaceutiques), la mécanisation et d’autres systèmes d’irrigation ont contribué à cette révolution verte permettant l’intensification et la transformation de l’agriculture aboutissant à l’augmentation des rendements (Conway et Barbier, 1990). Ce modèle productiviste caractérisé par une pollution généralisée de l’environnement. De même, au Sénégal, la dégradation des conditions pédoclimatiques au niveau des zones de productions horticoles telle que la zone des Niayes constitue un frein pour 1’amelioration de la sécurité alimentaire, la sécurisation des revenus, la conquête des marchés extérieurs et la gestion des ressources naturelles. Cependant, en plus des problèmes de croissance démographique galopante et d’urbanisation qui entrainent une réduction inéluctable des surfaces de production, en particulier dans les zones périurbaines, se posent de réels problèmes de dégradation des ressources naturelles liés au système de production horticole. (Fall et Fall, 2001). Dans le même ordre d’idée, dans les pays en développement la production alimentaire ne suit pas le rythme de l’accroissement démographique (Onudi, 1985 ; Carel, 1988). La dépendance alimentaire qui en résulte amplifie celle financière. Dès lors une sécurité alimentaire s’impose. L’autosuffisance alimentaire devient donc un des principaux objectifs de nombreux pays en zone tropicale pour nourrir une population en expansion. Il y a schématiquement deux moyens complémentaires de parvenir à ce but selon Lanfranchi (1979) : (1) l’augmentation de la production de l’agriculture actuelle en accroissant les surfaces défrichées, et en améliorant la productivité par l’apport d’engrais, de nouvelles méthodes culturales et des variétés plus performantes ; (2) une meilleure protection des cultures et des récoltes en réduisant l’action des ravageurs au niveau du champ comme celui du stockage et de la conservation (30 % des pertes). Ce dernier point, s’il était résolu, suffirait dans l’immédiat à approcher l’objectif d’autosuffisance alimentaire. Par ailleurs, la crise alimentaire intervenue en 2008 a mis en évidence la vulnérabilité des populations dans le monde entier, en particulier les petits producteurs des exploitations familiales. L’accès à des produits de bonne qualité sanitaire et phytosanitaire accentue la vulnérabilité des populations. En réaction, les populations rurales ont développé des stratégies d’adaptation (accaparement des terres, émigration, entrepreneuriat agricole, etc.) et certaines se sont organisées pour défendre les intérêts des paysans, se sont réappropriés les outils de leur souveraineté et ont développé des initiatives agroécologiques autonomes (Enda, 2010). Par la suite, une combinaison des savoirs et pratiques de l’écologie aux techniques agronomiques, dans le but de créer un système de production plus durable a évolué vers le concept d’agroécologie qui promeut une agriculture saine et durable. Ce concept constituant une alternative à l’utilisation irraisonnée des intrants chimiques est corolaire à des terminologies diverses. De même, au Sénégal la conformité aux limites maximales de résidus de pesticides homologués ou pas peuvent être des obstacles supplémentaires pour l’accès aux marchés pour les productions horticoles (Cissé et Tall, 2001 ; Dramé, 2003 ; Gueye, 2009). Par ailleurs, la plupart des analyses théoriques montrent que pour les pays en développement, les difficultés à commercer sur le marché mondial est le fait des écarts par rapport à la qualité exigée (Cissé et Tall, 2001). Il est donc devenu nécessaire de réduire l’utilisation des pesticides en adoptant un ensemble de mesures alternatives (rotations, assolements, travail du sol sans labour, diversité des cultures…) pour limiter le recours aux molécules chimiques. Le concept d’agriculture saine et durable varie en fonction des contextes et des pays. En effet, à la place de l’agriculture saine et durable, le Codex Alimentarius définit l’agriculture biologique comme un système de gestion de production holistique qui favorise et met en valeur la santé de l’agro-écosystème, y compris la biodiversité, les cycles biologiques et l’activité biologique des sols. Elle met en avant l’utilisation de pratiques de gestion de préférence à l’utilisation d’intrants provenant de l’extérieur de l’exploitation, prenant en compte le fait que les conditions régionales exigent des systèmes localement adaptés. Ceci s’accomplit en recourant, lorsque cela est possible, à des méthodes agronomiques, biologiques et mécaniques, par opposition à l’utilisation de matériaux synthétiques, pour remplir toute fonction spécifique dans le système. Selon Fall et Fall (2001), l’agriculture biologique est un système de culture à faible consommateur d’intrants parce que basé sur le recyclage des déchets, et permettant d’améliorer la production tout en protégeant 1’environnement. Dans certains pays, le concept agriculture saine et durable est assimilé à l’agriculture biologique. Cette dernière prend en compte la certification du produit. Selon Agence Bio (2016), la surface mondiale cultivée suivant le mode biologique (certifiée et en conversion) est estimée à environ 43,7 millions d’hectares dont 0,1% pour l’Afrique. Toutefois, la production biologique a connu une percée fulgurante partout dans le monde. La figure 1 met en évidence les superficies certifiées à l’agriculture biologique. Figure 1. Répartition des surfaces et exploitations bio (certifiées et en conversion) dans le monde fin 2014 (source, Agence Bio, 2016) Selon Fall et Fall (2001), il serait donc important de développer des techniques biologiques d’intégration entre 1’horticulture et 1’elevage ; ce système, faible consommateur d’intrants parce que basé sur un recyclage des déchets, permettrait d’améliorer la production tout en protégeant 1’environnement. Cette vision du développement agricole urbain est peu répandue au Sénégal. II existe une minorité d’agriculteurs dits « biologiques » qui s’efforcent de promouvoir des pratiques culturales peu utilisatrices d’intrants chimiques. Ce groupe cherche à se fortifier, mais se trouve confronté à un manque d’encadrement technique et à une insuffisance d’informations et de technologies dans ce domaine (Ndiaye, 2010). D’où l’inexistence de marchés spécifiques pour la distribution et la commercialisation des produits issus de l’agriculture biologique dans le passé (Touré et Seck, 2005).
Circuit de commercialisation des produits horticoles au Sénégal
Au Sénégal, la sécurisation de l’approvisionnement en vivres des populations urbaines, l’amélioration du niveau de revenus des paysans ainsi que la volonté d’aménagement de certaines zones constituent la base de la commercialisation des produits agricoles. Toutefois, l’État, face à l’instabilité des prix internationaux et l’existence de distorsion dans les échanges internationaux, a mis en place des mécanismes d’intervention à différents niveaux (Duteurtre et al., 2007). Les stratégies varient selon les produits agricoles. Ainsi, en ce qui concerne les productions horticoles, les circuits de commercialisation sont complexes pour assurer la collecte et la redistribution des produits maraichers (Ndiaye, 2010). D’autant plus que la nécessité de satisfaire les besoins alimentaires de cette population se traduit par la recherche permanente de l’accroissement de l’offre en différents produits agroalimentaires. De même, entre la production et la consommation, se tissent différents réseaux de commercialisation, de transport et de transformation. Pour ces courroies de transmission, il s’agit de faciliter le développement et la rentabilité de l’offre tout en répondant aux besoins réels de la demande. L’accroissement de la production locale permettrait non seulement d’arrêter les importations, mais aussi de dégager un excédent qui pourrait être exporté vers les pays voisins. Les horticulteurs des Niayes bénéficient d’un environnement favorable aux productions de contresaison pour le marché européen. En plus de la région de Dakar concentrant plus de 20 % de la population sénégalaise, les marchés urbains constituent les principaux débouchés des fruits et légumes issus de la zone des Niayes. En dépit de l’existence de secteurs de la population appartenant à la bourgeoisie (toutes catégories confondues) et ayant un pouvoir d’achat élevé, la ville de Dakar ne constitue pas un cadre de valorisation optimale des produits horticoles et avicoles provenant des Niayes. Mais les potentialités que recèlent les marchés urbains rencontrent des limites liées à la faiblesse du pouvoir d’achat de la grande majorité des citadins. Les effets néfastes résultant des politiques d’ajustement structurel ont été aggravés par l’amplification des flux migratoires des campagnes vers la ville de Dakar. D’autant plus que les producteurs des Niayes font face à une forte incertitude quant à la quantité et la qualité de produits horticoles qui seront présentés sur le marché, du fait de l’absence d’information sur la production dans les autres régions. La commercialisation des produits maraîchers est régie par la loi de l’offre et de la demande, si bien que pendant les périodes où les marchés sont abondamment approvisionnés (janvier à juin), les prix des légumes sont généralement bas. En revanche, pendant la période creuse de production, qui correspond à celle de l’hivernage, les prix sont élevés sur les marchés (Duteurtre et al., 2007, Ndiaye, 2010, Dhort, 2015). A cela s’ajoutent la saisonnalité des productions et les contraintes liées au caractère hautement périssable des produits horticoles. Or, les infrastructures de conservation des légumes (chaîne de froid) sont largement insuffisantes et parfois même inexistantes. Par ailleurs, le développement d’un marché local pour les filières horticoles est entravé par l’absence de circuits de vente en gros de produits frais ainsi que par la complexité de la filière de commercialisation avec la multiplicité des intermédiaires, les fluctuations importantes des prix et l’absence de mécanismes appropriés de financement (Touré et Seck, 2005). Selon la Dhort (2015), les contraintes liées à la surproduction, aux conditions de conservation et de transformation de la production préoccupent les producteurs de la zone des Niayes. A cela s’ajoutent des problèmes de transport ou d’écoulement de la récolte et de conditionnement des produits. Les autres modes de commercialisation comme l’exportation et la contractualisation, sont peu utilisés (Dhort, 2015). En effet, avec le développement de l’agriculture peri-urbaine, les zones d’approvisionnement les plus proches se trouvent à l’intérieur même des grandes villes ou à leur périphérie immédiate. Dans la chaine de valeur des produits maraichers, la commercialisation constitue l’un des maillons qui assurent les plus fortes valeurs ajoutées. C’est pourquoi, elle mobilise un nombre important d’acteurs. (Fall et fall, 2001). La cartographie des acteurs dépend de la filière et des formes d’organisation (Duteurtre et Fall, 2008 ; Fall et al., 2001). Ce format est valable aussi pour le sous-secteur fruits et légumes. De ce fait, les circuits de commercialisation des produits horticoles mettent en exergue différents types d’acteurs comme décrit dans le schéma ci-après. Figure 2. Acteurs intervenant dans le circuit de distribution des fruits et légumes (Source, Direction de l’horticulture, 2017 De façon générale, cinq catégories d’opérateurs peuvent être identifiés dans les filières maraîchères au Sénégal (Touré et Seck, 2005, David-Benz, 2003 ; Duteurtre et Fall, 2008). Ces opérateurs sont les producteurs, les bana-bana, les producteurs-grossistes, les coxeurs, les grossistes et les détaillants : – Les producteurs commercialisent leurs produits bord champs ou acheminent eux-mêmes les légumes vers les marchés ruraux voire dans certaines zones, vers les marchés de gros de Dakar. – Les bana-bana sont des commerçants itinérants qui collectent dans les zones de production, au niveau de la parcelle ou sur les marchés ruraux (ou loumo) pour acheminer les produits jusqu’aux centres de consommation. Ils bénéficient d’une très bonne connaissance du marché et d’une bonne capacité financière. Ils peuvent tisser des relations de confiance avec les producteurs et leurs fournir des intrants à crédit. – Les producteurs-grossistes sont, à leur tour, de gros producteurs qui achètent la récolte de petits producteurs pour l’expédier vers les centres de consommation. Certains disposent de magasins de stockage pour l’oignon ou la pomme de terre. – Les coxeurs sont des courtiers commissionnaires qui mettent en contact les parties prenantes et assurent un appui à la négociation. Leur rôle essentiel dans le Producteurs Bana-bana (intermédiaires) Coxeurs Exportateurs Transformateurs Détaillants Consommateurs Grossistes Demi-grossistes fonctionnement des filières maraîchères a été souvent mis en avant (Pelletier, 1997 ; Seck, 2011). – Les grossistes assurent une fonction classique de regroupement sur les marchés urbains et de redistribution. – Les détaillants commercialisent les produits auprès des consommateurs. Mais il faut noter que selon les zones, les circuits prédominant diffèrent. Il en est de même des lieux de ventes selon les zones et selon le type d’exploitations (Ndoye-Niane et al. 2004). En effet, dans la zone des Niayes, les petites exploitations vendent surtout bord champ aux bana-bana,secondairement à des grossistes alors que les moyennes et les grandes vendent plutôt dans les centres de consommation (Duteurtre et al, 2010). Concernant la distribution des fruits et légumes de production nationale comme d’importation, les acteurs s’approvisionnent et accèdent aux marchés selon différents circuits : – les circuits longs ou complexes avec une intervention le plus souvent dans la distribution des grossistes, semi-grossistes, intermédiaires et détaillants qui peuvent s’approvisionner au niveau des principaux bassins de production de fruits et légumes (vallée et zone des Niayes). – les circuits courts pour les légumes de type européen ou venant de la sous-région (Guinée, Côte d’Ivoire). Dans ces cas, il existe peu d’intermédiaires entre les opérateurs et les consommateurs. – les circuits directs pour les légumes de type locaux, où il existe un seul intermédiaire (bana-bana) entre les producteurs et les consommateurs. A ces circuits de commercialisations, s’ajoutent d’autres contraintes comme : – la régulation du marché pour certains produits comme l’oignon et la pomme de terre du fait de la surproduction (période d’abondance) et/ou des importations (période de forte demande) ; – l’insuffisance d’information sur la connaissance des « prix de marché ». Ceci perturbe l’efficacité des ajustements entre l’offre et la demande dans les marchés ; – les difficultés de transport et une mauvaise organisation logistique des filières. Ceci est accentué par le fait de l’instabilité forte de ces marchés pour des produits frais, du manque d’organisation des acteurs des filières, et du conditionnement.
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