CALAS, une caméra pour l’étude des grandes échelles de la surface solaire
La granulation et la mésogranulation
La granulation solaire est visible à la surface du soleil comme une structure de grains brillants (chauds) cernés par des zones plus sombres et étroites, les intergranules. Elle est constituée de cellules ascendantes de plasma chaud (de 5000 à 6000 °K) entourées de plasma plus froid (environ 200 °K de moins que le centre des granules). Le contraste s’établit entre 17 et 35% [Roudier & Muller 1986]. A noter que la grande dispersion sur le contraste vient du fait que les valeurs observées sont assez basses (~ 5 à 10%) puisque intégrant la turbulence et le pouvoir résolvant de l’instrument : les valeurs » réelles » sont estimées après déconvolution (variations selon la méthode). La taille de ces granules est comprise entre quelques centaines de km pour les plus petits jusqu’à environ 2000 km pour les plus gros. Leur taille moyenne est de l’ordre de 1000 km (soit environ 1.3 secondes d’arc vu depuis la Terre). La distance intercentre moyenne est d’environ 1300 km [Zirin1988]. La nature convective de la granulation a été identifié dès 1930 par Unsöld [Unsold 1930], et des observations spectroscopiques ont mis en évidence le mouvement ascendant des granules (vitesses verticales de l’ordre de 1 km/s) et le mouvement descendant dans les intergranules [Richardson et al. 1950]. Les granules présentent de plus un mouvement d’expansion horizontal compris entre 1.6 et 2.6 km/s [Brandt et al. 1991]. p.12 | De la physique solaire à CALAS Illustration 1.1.3: Image de la granulation dans le Continuum (5750 Å) issue de l’une de mes missions à la Lunette Jean Rösch – voir chapitre 7.2.3, page 118. CALAS : une caméra pour l’étude des grandes échelles de la surface solaire La granulation est donc un phénomène très dynamique puisque la durée de vie d’un granule ne dépasse généralement pas cinq à dix minutes. Les granules peuvent présenter divers types d’évolution : généralement une disparition progressive, fréquemment une fragmentation pouvant parfois se manifester sous forme de granules explosifs. Plus rarement les granules peuvent fusionner (4% de la population, selon [Labonte et al. 1975]). Concernant ces granules explosifs, dont la découverte a été faite au Pic du Midi ([Carlier et al. 1968]), il s’agit sans doute d’un des phénomènes les plus dynamiques de la photosphère: un granule s’assombrit en son centre tout en présentant un fort mouvement d’expansion (1.7 à 3.2 km/s d’après [Namba 1986]), jusqu’à atteindre une taille de 3 à 5 secondes d’arc en une durée moyenne de 8 minutes [Rast 1995]. Plusieurs observations et mesures sur les propriétés des granules explosifs ont été réalisées à la LJR ([Kawaguchi 1980], [Roudier et al. 2001]) cependant les études restent assez rares notamment étant donné la faible proportion de granules explosifs à la surface du Soleil (2.5% de la population [Namba 1986]). Leur observation à l’aide de CALAS apporterait un progrès indubitable puisque statistiquement son champ abriterait environ 3000 granules explosifs à un instant donné. En outre, un code numérique récemment développé par Th. Roudier permet la détection des granules explosif et faciliterait leur étude statistique. Toujours concernant les manifestations dynamiques de la granulation, il a été démontré qu’une part significative des granules se fragmentant au cours du temps forment des structures arborescentes : les TFGs (pour « Trees of Fragmenting Granules »). Un TFG (Illustration 1.1.4) consiste en une famille de granules se fragmentant successivement et ayant pour origine un unique granule. Leur durée de vie peut atteindre plusieurs heures [Roudier et al. 2003a].
La supergranulation, le réseau chromosphérique
La supergranulation a longtemps été interprétée comme une échelle de convection beaucoup plus grande mais plus subtile puisqu’elle ne fut mise en évidence que dans les années 1950 par A.B.Hart, par des mesures Doppler révélant des flux horizontaux sur plusieurs dizaines de milliers de kilomètres [Hart 1954], [Hart 1956]. Les travaux ultérieurs de Leighton, Noyes et Simon ont caractérisé ces cellules de supergranulation, d’une taille moyenne de 30 000 km et d’une durée de vie proche de 24 heures [Leighton et al. 1962]. Des observations plus récentes ([Title et al. 1989]) ont confirmé ces valeurs avec une taille caractéristique de 31 000 km et une durée de vie moyenne de 20 heures. Les vitesses du flux d’expansion horizontal sont d’environ 300 à 500 m/s. Le flux montant est très faible (autour de 50 m/s) tandis que le flux descendant (sur le pourtour des supergranules) a une vitesse d’environ 50 à 100 m/s. A noter cependant que selon les auteurs et la méthode de réduction utilisée la dispersion sur ces valeurs est assez grande (plusieurs dizaines de m/s), en particulier sur les valeurs des vitesses ascendantes au centre pour lesquelles aucun consensus ne s’est établi. La supergranulation est particulièrement bien visible sur un Dopplergramme lorsqu’on approche du bord solaire, étant donné la vitesse principalement horizontale (parallèle à la surface) (voir illustration 1.1.5).On constate également un lien entre la supergranulation et le champ magnétique du Soleil calme puisque les cellules de supergranulation se trouvent bordées par des structures brillantes au niveau de la chromosphère (visibles dans la raie CaK ou de l’hélium 1083nm): le réseau chromosphérique. On visualise également ce réseau chromosphérique dans la raie H-alpha, sous la forme de spicules (structures dynamiques verticales) réparties sur le réseau. L’importance de l’étude de la supergranulation est liée en particulier à son rôle dans la diffusion et la distribution du champ magnétique à la surface du Soleil. Elle est donc l’un des ingrédients majeurs de la structure de la couronne solaire. L’étude de la dynamique de la supergranulation sera naturellement complétée par une étude des traceurs magnétiques tels que les points brillants du réseau magnétique.
La caméra CALAS
La surface du Soleil, ou photosphère, est un lieu de transition où le transport de l’énergie générée dans le coeur du Soleil passe d’un régime convectif à un régime radiatif. On y observe plusieurs échelles de mouvements convectifs sous la forme de la granulation (observable directement en lumière blanche et bande G) et de la supergranulation (dont l’observation est dérivée de mesures de vitesses).
Objectifs scientifiques
Le principal objectif du projet CALAS est l’étude de la supergranulation solaire (structures de l’ordre de 30000 km à la surface, soit 40 secondes d’arc au centre disque) dont l’origine est en fait très controversée. Deux hypothèses ont été émises : – soit la supergranulation est d’origine convective, auquel cas ce serait la force d’Archimède qui induirait l’énergie cinétique observée dans les supergranules. C’est l’explication qui a été avancée dès le début des années 1960 ; – soit la supergranulation résulte des interactions non linéaires entre granules qui déstabiliseraient l’ensemble et réinjecteraient l’énergie vers l’échelle de la supergranulation, comme suggéré par [Rieutord et al. 2000]. Dans ce cas, la force d’Archimède ne travaille qu’à plus petite échelle (granulation). Le champ de vitesse des granules, par interaction non linéaire, va engendrer un écoulement à plus grande échelle dont les vitesses seront plus modérées; puis ces écoulements interagissent encore et forment des échelles de taille encore supérieure : ainsi l’énergie saute d’échelle en échelle en se diluant spatialement. Cette hypothèse d’une instabilité à grande échelle de la granulation a besoin de contraintes observationnelles pour guider les modélisations très complexes des interactions non-linéaires. Pour valider ou invalider ces modèles il faut donc étudier la dynamique d’un grand nombre de supergranules. L’interprétation du spectre de puissance des vitesses est un premier élément De la physique solaire à CALAS | p.15 CALAS : une caméra pour l’étude des grandes échelles de la surface solaire qui nous guidera dans le scénario de formation des grandes échelles. Jusqu’à présent, ce sont surtout les mesures Doppler qui ont été utilisées pour étudier la dynamique de la supergranulation. Malheureusement , elles ne fournissent qu’une composante en vitesse, le long de la ligne de visée, au demeurant très bruitée au centre disque (voir illustration 1.1.5). Une bonne méthode, permettant d’obtenir les champs de vitesse horizontaux, est d’observer le mouvement propre des granules solaires, mais il faut pour cela une très bonne résolution spatiale (~ 0.5 secondes d’arc) afin que l’échantillonnage du champ de vitesse supergranulaire soit suffisant. Des tests faits dans l’équipe (Th. Roudier, communication privée) ont montré que les observations à moyenne résolution (~1 seconde d’arc) ne permettaient pas l’étude des grandes échelles puisque les granules traceurs n’étaient pas correctement visibles. Les images de MDI (résolution de 1.2 secondes d’arc) par exemple n’ont donc pas une résolution suffisante lorsqu’on souhaite étudier les TGF et les granules explosifs. L’objectif du projet CALAS est d’obtenir des séries temporelles d’images (cadence de 2 images par seconde) à haute résolution (taille pixel ~0.15 secondes d’arc) sur un grand champ (10 x 10 arcmin), et ce sur une longue période (plusieurs heures). Cela permettra tout d’abord, par méthodes de sélection d’images et de déconvolution (travaux de [Molodij et al.], en préparation), de profiter au maximum des moments d’excellent seeing, en suivant les supergranules sur une partie significative de leur durée de vie (qui est de l’ordre de 24 heures). Par ailleurs, un suivi à long terme permettra d’étudier ce phénomène au cours du cycle solaire afin d’en tirer le maximum de contraintes pour les modèles globaux.
Remerciements |