Budgets éruptifs et origine des paroxysmes explosifs andésitiques en système ouvert
Le volcanisme en système ouvert : singularité, exemples et interrogations
Le volcanisme en système ouvert se caractérise par des périodes d’activité de longue durée (plusieurs années, décennies, voire siècles) qui consistent en une activité éruptive semipersistante de faible intensité, ponctuée de phases explosives violentes. L’éruption subpermanente de produits magmatiques semble indiquer un dégazage du magma relativement efficacement et l’absence de “bouchon” au sommet du conduit, contrairement à un système purement fermé pour lequel les paroxysmes explosifs surviennent à l’ouverture du système, c’est-à-dire dès le début de la phase éruptive magmatique. Ce type d’activité “à conduit ouvert” soulève de nombreuses interrogations sur les modalités de dégazage, transfert et fragmentation du magma. Le caractère imprévisible et non répétitif du schéma de déroulement des phases éruptives représente également une menace importante pour les populations à proximité et un défi en termes de surveillance. Dans un premier temps, la singularité du volcanisme en système ouvert par rapport au volcanisme en système fermé sera présentée. Le cas particulier de certains volcans andésitiques à conduit ouvert sera ensuite étudié, et je tâcherai de mettre en évidence les questions conceptuelles liées au système d’alimentation et au fonctionnement éruptif de ces volcans. Enfin, la spécificité de l’aléa associé à ces volcans sera également présentée.
Le volcanisme en système ouvert : généralités et état des connaissances
Origine et dynamique des éruptions explosives : systèmes fermés vs. systèmes ouverts
Le volcanisme explosif résulte de la fragmentation d’un magma, processus par lequel le magma triphasé (liquide, gaz et cristaux) se transforme en une phase gazeuse contenant des gouttes de liquide et des fragments solides. On distingue deux mécanismes de fragmentation : la fragmentation phréato-magmatique, causée par une interaction physique entre le magma et l’eau (Wohletz, 1986 ; Zimanowski et al., 1997 ; Büttner et al., 1999 ; Suzuki et al., 2007), et la fragmentation magmatique, ductile ou cassante (Mader et al., 1994 ; Gardner et al., 1996 ; Chapitre 1 – Le volcanisme en système ouvert : enjeux, outils de compréhension et cas d’étude 19 Klug et Cashman, 1996 ; Alidibirov et Dingwell, 2000 ; Cashman et al., 2000 ; Martel el al., 2000 ; Koyaguchi et Mitani, 2005 ; Kueppers et al., 2006 ; Rust et Cashman, 2011). Le comportement de la phase gazeuse vis-à-vis de la phase liquide au cours de l’ascension du magma dans le conduit, conditionne les mécanismes éruptifs. Si le dégazage est suffisamment efficace (le long du conduit ou au travers de l’édifice volcanique par le biais de réseaux de fracture), le magma peut atteindre la surface sans fragmentation et s’écouler de façon effusive (coulées de laves, dômes) (Woods et Koyaguchi, 1994 ; Klug et Cashman, 1996). Si le gaz reste au contraire piégé dans les bulles et que le système poursuit sa décompression, la fragmentation a lieu et provoque une éruption explosive (Eichelberger et al., 1986 ; Eichelberger, 1995 ; Villemant et Boudon, 1998). L’efficacité du dégazage dépend de la perméabilité du magma et du degré de coalescence des bulles de gaz dans le conduit, lesquels sont fortement liés au taux de décompression subi par le magma et donc à sa vitesse d’ascension (Woods et Koyaguchi, 1994 ; Burgisser et Gardner, 2005 ; Szramek et al., 2006). Dans certains cas, une fragmentation partielle par cisaillement le long des parois du conduit peut favoriser le dégazage en créant une zone à forte perméabilité et inhiber le comportement explosif (Gonnermann et Manga, 2003). Ces processus contrastés sont à la base des notions de systèmes fermés et ouverts. Les systèmes fermés sont caractérisés par un dégazage faible voire nul, de sorte que la fragmentation est initiée par l’expansion des gaz et l’accélération du magma dans le système. Les éruptions en systèmes fermés débutent par une phase magmatique paroxysmale, après une période d’intensification de l’activité sismique de durée variable, mais sans émission de matériel non gazeux. C’est le cas de quelques éruptions célèbres comme celle du Mt St Helens en 1980 ou encore de l’Hekla en 1947. Les systèmes ouverts, qui apparaissent dans une large gamme de compositions magmatiques allant des basaltes aux andésites acides, dégazent en revanche de façon efficace, par des voies et des mécanismes divers : extrusion de coulées de laves visqueuses ou de dômes, émission semi-persistante de gaz, de cendres ou de fontaines de laves. Dans ce type de contexte où le comportement éruptif et le schéma de déroulement des périodes d’activités se distinguent amplement d’un volcan à un autre, les phases explosives paroxysmales peuvent être initiées par des processus variés, impliquant différents mécanismes de fragmentation. Par exemple, un effondrement sectoriel de dôme cause une décompression brutale d’un système en équilibre, et engendre une éruption paroxysmale de magnitude et d’intensité élevée (e.g. éruptions de La Soufrère Hills en 2003, Montserrat). Chapitre 1 – Le volcanisme en système ouvert : enjeux, outils de compréhension et cas d’étude
Les systèmes ouverts basaltiques
Le volcanisme basaltique est caractérisé par un dégazage efficace facilité par la faible viscosité du magma, et dans certains cas par des périodes d’activité de faible intensité de longues durées et des changements brutaux de styles et d’intensité. Les problématiques liées à ces changements de régime éruptif ont été largement étudiées dans le cadre du volcanisme basaltique. Cette partie résume brièvement ces travaux, car la dynamique des systèmes ouverts basaltiques n’est pas sans rappeler celle des systèmes andésitiques à conduit ouvert qui nous intéressent. Certains volcans basaltiques présentent une activité éruptive sub-permanente caractérisée par des phases de style Strombolien ou Hawaiien avec des débits éruptifs de l’ordre de 103 à 105 kg/s (Vergniolle et Mangan, 2000), ponctuées d’éruptions explosives d’intensité plus élevée, précédées ou non de périodes de quiescences. C’est le cas par exemple du Stromboli en Italie, dont l’activité strombolienne permanente caractérisée par des émissions de jets incandescents de lave et des explosions régulières produisant des cendres et des fragments balistiques, a été interrompue en 2002-2003 puis 2007 par des phases éruptives stromboliennes vigoureuses de haute intensité (2 à 4×106 kg/s) accompagnées d’émissions de coulées de laves (Lautze et Houghton, 2006 ; Rosi et al., 2006 ; Andronico et al., 2008a ; Lautze et Houghton, 2008). L’Etna en Italie, présente également des fluctuations de style éruptif et d’intensité à grande échelle de temps (Coltelli et al., 1998, 2000a), et à échelle de temps plus courte. Entre 1995 et septembre 2007 par exemple, 150 événements paroxysmaux se sont produits au niveau du cratère sommital (Coltelli et al., 2000b ; Alparone et al., 2007 ; Andronico et al., 2009a) entrecoupés de deux phases explosives prolongées qui ont eu lieu aux niveaux des flancs du volcan en 2001 (Scollo et al., 2007) et 2002-2003 (Andronico et al., 2005, 2008b, 2009a), caractérisées par des explosions stromboliennes et vulcaniennes ainsi que par l’émission de jets de laves pouvant atteindre plusieurs centaines de mètres de hauteur, de panaches de cendres parfois soutenus, et d’écoulements pyroclastiques de faible extension. Les phases de 2001 et 2002-2003 ont révélé plusieurs changements abrupts de style éruptif (hawaiien à strombolien violent voire sub-plinien) et une activité fluctuant dans de larges gammes d’intensité (jusqu’à ~5×104 kg/s) (Andronico et al., 2008b). L’activité typique hawaiienne et strombolienne des volcans basaltiques provient de la relative facilitée avec laquelle les gaz peuvent s’extraire hors du système, du fait de la faible viscosité du magma qui favorise la coalescence des bulles et de la faible vitesse d’ascension du magma dans le conduit (Vergniolle et Mangan, 2000). Les processus à l’origine de Chapitre 1 – Le volcanisme en système ouvert : enjeux, outils de compréhension et cas d’étude 21 paroxysmes explosifs plus violents ont fait l’objet de recherches intensives. Il apparait que les fluctuations de régime éruptif sont fondamentalement liées à la dynamique du magma dans le conduit, et en particulier aux modalités de transfert des gaz et leur ségrégation dans le système d’alimentation des volcans. Un premier modèle invoque ainsi la vitesse d’ascension du magma comme modulateur du dégazage et donc de l’explosivité (Wilson, 1980; Wilson et Head, 1981; Head et Wilson, 1987; Fagents et Wilson, 1993; Parfitt et Wilson, 1994 ; Mangan et Cashman, 1996 ; Parfitt et Wilson 1999 ; Parfitt et al., 1995). Des études ont également montré que la profondeur à laquelle la phase gazeuse et la phase liquide se séparent est un facteur contrôlant le style éruptif (Allard et al., 2006 ; Burton et al., 2007). D’autres auteurs insistent sur l’importance des processus de cristallisation dans la partie supérieure du conduit, qui peuvent suffire à réduire le transfert de gaz et augmenter l’efficacité de la fragmentation (Taddeucci et al., 2004a, 2004b ; Lautze et Houghton, 2006 ; Andronico et al., 2009a). De nombreux facteurs contrôlent donc la dynamique éruptive dans le contexte d’un volcanisme basaltique, et aucun modèle intégré n’a été proposé pour expliquer les transitions abruptes de style éruptif ou l’apparition d’événements explosifs violents au cours de périodes d’activité de faible intensité. Ces mêmes problématiques dans un contexte de magmatisme andésitique ont été peu explorées, et représentent pourtant un danger potentiel beaucoup plus élevés.
Le cas particulier des volcans andésitiques fonctionnant en système ouvert
Quelques exemples Arenal
Il s’agit d’un strato-volcan de faible élévation (1,1 km de hauteur) situé au CostaRica, le long de l’arc magmatique d’Amérique Centrale, produisant un magma de composition globalement homogène (andésite basaltique). Il est localisé au cœur d’un parc naturel touristique et à quelques kilomètres d’un lac de barrage qui produit la moitié de l’électricité du pays. En 1968, une éruption explosive violente met fin à une période de quiescence de plus de 40 ans. Cette éruption phréato-plinienne qui cause la mort de 78 personnes, est accompagnée d’un blast et de plusieurs écoulements pyroclastiques (Melson et Saenz, 1973). A l’issue de ce paroxysme explosif, une coulée visqueuse de type aa se met en place. Suite à cette phase de réactivation, ce volcan est entré dans une période continue d’activité qui se poursuit aujourd’hui. Après une nouvelle éruption majeure à écoulements pyroclastiques en Chapitre 1 – Le volcanisme en système ouvert : enjeux, outils de compréhension et cas d’étude 22 1975 qui remodèle la physionomie du cratère sommital, l’activité se caractérise par : 1) des explosions brèves et non soutenues émettant des panaches de cendres de faible hauteur (1 à 3 km au dessus du cratère) en moyenne toutes les 30 minutes (Williams-Jones et al., 2001 ; Szramek et al., 2006 ; Valade et al., 2012) produisant entre 1 et 10 m3 de tephras (Cole et al., 2005) (Fig. 1.1), 2) des projections balistiques parfois associées à l’émission des panaches de cendres, éjectant des blocs et des bombes constituant des volumes entre 10 et 50 m3 (Cole et al., 2005) à quelques centaines de mètres du cratère, voire 1 km, 3) l’émission subpermanente de coulées de laves de type aa de faibles extensions (inférieures à une centaine de mètres) depuis le cratère sommital, et 4) des écoulements pyroclastiques causés à la fois par des effondrements de dôme, de cratère ou de coulées de laves (1993, 1998, 2000, 2001,2004, 2007, 2009), et des effondrements de colonnes éruptives (1987-1990) (Alvarado et Soto, 2002 ; Szramek et al., 2006).
Résumé |