Le réseau de vortex
Le réseau d’Abrikosov
En 1957, A.A. Abrikosov a trouvé une solution périodique aux équations de GL pour κ > 1/√ 2 [4]. Il a calculé que la conguration la plus favorable des zones normales dans l’état mixte était un réseau de lignes de ux contenant chacune un quantum de flux φ0 traversant l’échantillon parallèlement au champ extérieur. Le paramètre d’ordre s’annule au centre (ou c÷ur ) des lignes de flux et reprend sa valeur maximale dans le reste de l’échantillon, de sorte que leur rayon est de l’ordre de ξ . Elles sont entourées de tourbillons de super-courants paramagnétiques qui génèrent le champ magnétique à l’intérieur d’un rayon λ ; d’où leur nom de vortex.
Les premières vérifiecations expérimentales de l’existence du réseau de vortex sont dues à Cribier et al. par diraction de neutrons aux petits angles sur du Niobium [5] ; Cette technique permet également de visualiser la symétrie du réseau de vortex (voir figure I.2-b). Également pionniers en la matière, Essman et Träuble ont mis en évidence un réseau triangulaire par décoration 2 dans du Niobium ([6], et gure I.2-a).
Aimantation
Dans l’état mixte, le champ magnétique moyen B = hbi à l’intérieur d’un échantillon à l’équilibre est proportionnel à la densité de vortex. hBi est inférieur au champ magnétique appliqué. L’équation (I.20) montre en eet que même en présence de vortex, des super-courants périphériques assurent un écrantage partiel du champ magnétique extérieur. Le champ magnétique est nul partout dans l’échantillon, excepté dans le c÷ur des vortex. Prés de Bc2 , la distribution de B est donc modulée autour des maxima situés dans les vortex : le champ pénètre partout, mais il persiste des courants d’écrantage qui diminuent le champ moyen à l’intérieur de l’échantillon. Le supraconducteur présente alors un comportement diamagnétique, et l’on peut définir une densité d’aimantation M . Cette quantité est dénie à l’échelle de l’échantillon, dans la mesure où elle résulte de boucles de super-courants macroscopiques.
L’aimantation n’a donc pas de sens local dans un supraconducteur.
L’aimantation apparente M se mesure comme une aimantation classique. Les cycles d’aimantation sont la plupart du temps ouverts, témoignant d’un comportement hystérétique comme le montre la figure I.4. Le champ magnétique dans l’échantillon est déni par la densité de vortex. Toute variation de cette densité induit un mouvement des vortex. Le mouvement est centripète en champ montant et centrifuge en champ descendant. L’hysterèse signifie que les vortex ne bougent pas librement dans l’échantilon, ils peuvent se trouver piègés. La nature des interactions entre les vortex en mouvement et les centres de piègeage est une question largement débattue, dont la revue fera l’objet du reste de ce chapitre.
Ancrage de surface
Approche expérimentale
À l’opposé, de nombreux travaux réalisés placent les propriétés des surfaces des échantillons au centre de l’ancrage du réseau de vortex. Les expériences de H.R. Hart Jr et P.S. Swartz en 1967 [10] et celles de Joiner et al. en 1967 [11], montrèrent que le courant critique ne dépend pas nécessairement de l’épaisseur de l’échantillon.
Plus récemment, Hocquet et al. démontra expérimentalement qu’une partie de la dissipation proportionnelle au courant critique était localisée à la surface [12]. Un argument supplémentaire est donné par la diraction de neutrons aux petits angles. La gure I.7 présente la largeur des pics de Bragg (rocking curves ) en fonction du courant [17]. C’est une mesure de la courbure des lignes : celleci est proportionnelle à I − I c et non à I , ce qui signie que seul le courant sur-critique pénètre dans le volume de l’échantillon. En-deçà, le courant est surfacique et le réseau est rectiligne en volume [29, 17]. Le courant critique passe donc dans une ne épaisseur à la surface de l’échantillon sans contribuer à la courbure des lignes.
Le bruit de vortex
On entend par Bruit de vortex les uctuations de la tension ou du champ magnétique à l’intérieur d’un échantillon dans l’état mixte. Ces uctuations sont caractéristiques de la dynamique des vortex, et disparaissent en même temps que les vortex, au-dessous de B c1 (état Meiÿner ) et lorsque l’échantillon transite vers l’état normal (T > T c par exemple). Nous nous intéresserons à la limite à fort champ, dans des conditions où la description d’Abrikosov s’applique. Les uctuations sont alors très faibles en amplitude (∼ 10 −6 V DC ). Mesurées durant un intervalle de temps, elles constituent un processus aléatoire, et sont représentées traditionnellement par leur densité spectrale de puissance (voir annexe B).
La première partie de ce chapitre est consacrée à une brève revue des expériences et interprétations du bruit de vortex dans la littérature. Des considérations bibliographiques préliminaires nous conduiront à détailler avec attention le modèle de bruit dû à B. Plaçais [23, 50]. Basé sur la théorie MS, le modèle de bruit de Plaçais (MBP) s’applique au ux-ow dans les supraconducteurs soft , et ore une interprétation de l’origine du bruit en termes d’ancrage de surface. Cette modélisation repose essentiellement sur l’expérience de mesure du bruit de second son [54] qui localise clairement les sources de bruit en surface. Un mécanisme d’instabilités est ensuite introduit pour interpréter le bruit basses fréquences. Même s’il n’a été vérié par son auteur que dans un alliage métallique à basse température critique, le MBP a vocation de généralité pour le bruit de ux-ow. En complément de notre interprétation du MBP, nous y apporterons une contribution originale concernant l’extension spatiale des uctuations.
Littérature du bruit de vortex
Nature du signal de mesure
Un supraconducteur dans l’état mixte constitue un système complexe, dont la compréhension de toutes les propriétés dynamiques ne fait toujours pas l’objet d’un consensus. Ces propriétés sont parfois contre-intuitives et peuvent conduire à des considérations erronées. Le propos de cette partie est de préciser la nature du signal de tension que l’on observe en laboratoire à l’aide d’arguments d’ordre général. Nous discuterons des grandeurs auxquelles donne accès une mesure de bruit de tension en nous appuyant sur les travaux de Clem [25] et Plaçais [23] qui sont les deux principales contributions à ce sujet. La mesure est non locale La contribution de J. R. Clem [25] est en matière de bruit de ux-ow, une référence incontournable. Ses travaux ont visé à l’établissement d’une théorie uniant l’ensemble des résultats expérimentaux.
Dans ce but, il a utilisé une approche générale, basée sur une description cinématique du phénomène. Clem adopte une approche individuelle, c’est-à-dire que le bruit de tension est vu comme la superposition des contributions de chacun des vortex présents dans l’échantillon. La somme est ensuite traitée comme un processus aléatoire déni pas une loi donnée. L’inconvénient de cette représentation, réside dans la nécessité d’introduire les interactions entre vortex a posteriori, pour rendre compte du comportement collectif des vortex en mouvement. Nous entendons par là que le comportement collectif interviendra caché dans la loi de distribution des évènements élémentaires, ce qui rend dicile l’identication du mécanisme impliqué dans l’apparition de uctuations. Du reste, Clem ne propose pas de descriptions microscopiques de ce mécanisme mais plutôt des lois statistiques permettant d’inférer indirectement de la nature du mécanisme. En outre, l’approche individuelle rend nécessaire une approximation de London dont nous discuterons les limites.
Le bruit de vortex comme sonde des centres de piègeage en volume
Depuis les années 60, de nombreuses équipes se sont interrogées sur l’origine du bruit de ux-ow. Historiquement elles se sont inspirées du bruit de grenaille (ou shot noise ) dans les semi-conducteurs où a été étudié dans le détail la part des uctuations de densité des porteurs par rapport à celle de leur mobilité. Par analogie, la problématique s’est articulée autour des questions suivantes : tout d’abord, le bruit résulte-t-il du ot régulier d’un réseau rigide mais naturellement inhomogène dans l’espace, se muant à vitesse constante (ot plastique) ? Est-il la conséquence des interactions locales des vortex avec les centres de piègeage ? Et si tel est le cas, s’agit-il de uctuations de densité de vortex ou de uctuations de leur vitesse, voire des deux ? Par ailleurs observe-t-on une somme de contributions élémentaires ou au contraire une contribution globale instantanée ?
Shot noise et bundles
La première décennie de mesures de bruit, initiées par Von Ooijen et Van Gurp [19], fut entièrement interprétée par un modèle issu des semiconducteurs, le shot noise . Des groupes corrélés de vortex (ou bundles ) aléatoirement distribués créent des inhomogénérités de densité de ux magnétique dans l’échantillon qui uent de façon rigide à vitesse constante, générant ainsi de grandes uctuations de densité dans l’échantillon. La distribution des bundles est déterminée par le temps caractéristique que dénissent les spectres de bruit et la puissance totale de bruit dépend quant à elle des conditions de polarisation de l’échantillon : la température, le champ magnétique appliqué, le courant de transport, l’espèce, la géométrie de l’échantillon apparaissent dans la tension moyenne V et la densité de vortex n = Φ/Φ0.
Bruit de tension et courant critique : étude du Niobium massif
Ce chapitre est consacré à l’étude de l’ancrage du réseau de vortex dans des lames de Niobium. Le choix de ce matériau tient au grand nombre d’investigations dont il fait l’objet dans la littérature, et qui inscrivent nos travaux dans un cadre clair et bien déni.
En vertu du lien entre le courant critique et le bruit de ux-ow que met en évidence le MBP, nous avons construit notre analyse autour d’une question simple : comment le bruit répercute-t-il des changements dans le courant critique ? Pour y répondre, nous avons modié le courant critique tout en conservant des conditions thermodynamiques identiques : nous avons mesuré le courant critique et le bruit de tension d’une part dans des échantillons de tailles diérentes (à résistivité constante). Par ailleurs, la théorie MS, soutenue par de nombreuses expériences, confère à la surface des échantillons une place prédominante dans le courant critique. Pour autant, aucune étude expérimentale n’apporte de description précise de l’inuence de ce paramètre sur le bruit de ux-ow. Nous avons traité ce problème en modiant la rugosité de surface de nos échantillons : le courant critique s’en est trouvé accru, sans que la résistivité ne soit altérée. Une quantication de l’eet produit par l’élévation de la rugosité s’appuyant sur des travaux antérieurs sera de plus proposée. Nous avons ainsi pu comparer le bruit de tension dans deux échantillons ayant des propriétés supraconductrices et des dimensions identiques, mais des courants critiques diérents.
Pour commencer, seront exposés les travaux menés sur l’eet de la taille et de l’état de la surface sur l’ancrage du réseau de vortex. Nous soulignerons pourquoi un phénomène bruyant en général peut en subir des influences particulières. Après avoir détaillé l’aspect expérimental de l’étude (caractérisation et préparation des échantillons), nous présenterons les résultats obtenus, séparés en deux grandes parties : l’une traitera de l’eet de la taille de l’échantillon à état de surface équivalente, et l’autre, celui de la rugosité, à taille égale. Chaque expérience se compose d’une mesure du courant critique que nous qualierons d’ancrage statique . Nous les associons à des mesures de bruit de tensions dans les mêmes conditions, destinées, elles, à sonder les propriétés de l’ancrage dynamique du réseau en mouvement.
Influence de l’état de surface sur le courant critique
Premières expériences
L’effet de l’état de surface sur le courant critique fait l’objet d’une littérature particulièrement dense à la n des années 1960. Un grand nombre de travaux de cette époque rapportent la présence d’un courant sous-critique localisé à la surface et dont les propriétés sont corrélées avec l’état de la surface [62, 63, 64, 65]. Aaiblie par l’absence d’une théorie expliquant intégralement le phénomène, cette idée s’est diluée dans la concurrence des modèles de piégeage en volume qui domina le courant de pensée des décennies qui suivirent. Les eorts des expérimentateurs se sont donc détournés de l’étude de l’inuence de l’état de la surface, reléguée à un rôle contingent. Pourtant, des modications spectaculaires du courant critique ont été observées, après de simples traitements de surface, sans altération des propriétés supraconductrices. Une des premières mise en évidence de tels eets est due à H. R. Jones et A. C. Rose-Innes [66] : en rendant plus rugueux deux côtés opposés d’un cylindre supraconducteur plongé dans un champ perpendiculaire à l’axe du cylindre, ils ont fait apparaître un maximum de courant critique quand le champ est appliqué perpendiculairement aux côtés rugueux du cylindre. Les conditions de raccordement à la surface, déterminées par la rugosité, jouent ainsi un rôle central dans la quantité de courant sous-critique pouvant traverser un supraconducteur dans l’état mixte.
Un résultat identique est obtenu par D.G. Schweitzer et B. Bertman [67] dans un échantillon de Niobium. Les auteurs montrent de surcroît que les propriétés hystérétiques peuvent être aaiblies par la présence d’une couche de métal normal, d’épaisseur quelconque, et recouvrant la surface. La rugosité de surface qui intervient dans la condition limite est alors lissée par la gaine conductrice qui entoure le supraconducteur, et le courant critique est diminué. Cela se traduit par une réduction des propriétés hystérétiques, comme le montre les courbes d’aimantation reproduites à la figure IV.1.
Table des matières
I Généralités
I.1 La théorie de Ginzburg-Landau
I.1.1 Les équations de Ginzburg-Landau
I.1.2 Longueur de cohérence et profondeur de pénétration du champ
I.2 Le réseau de vortex
I.2.1 Le réseau d’Abrikosov
I.2.2 La supraconductivité de surface
I.2.3 Aimantation
I.3 Dynamique du réseau de vortex
I.3.1 Le Flux-ow
I.3.2 Ancrage du réseau de vortex
I.3.3 Ancrage en volume
I.3.4 Ancrage de surface
II Le bruit de vortex
II.1 Littérature du bruit de vortex
II.1.1 Nature du signal de mesure
II.1.2 Le bruit de vortex comme sonde des centres de piègeage en volume
II.1.3 Le bruit comme sonde de l’ordre du réseau
II.2 Modèle de bruit de ux-ow
II.2.1 Sur la dissipation
II.2.2 Nature des uctuations
II.2.3 Bruit et dissipation
II.2.4 Extension spatiale des uctuations
II.2.5 Sur le bruit basses fréquences
II.2.6 Échange surface-volume
II.2.7 Modélisation statistique
III Montage expérimental
III.1 Stabilité des sources et régulation de température
III.1.1 Sources de courant
III.1.2 Régulation de température
III.1.3 Champ magnétique
III.2 Chaîne de mesure faible bruit
III.2.1 Porte-échantillon et cannes de mesure
III.2.2 Bruit électronique
III.2.3 Analyse des spectres
IV Bruit de tension et courant critique : étude du Niobium massif
IV.1 Effets de taille, état de surface, et courant critique
IV.1.1 Bruits et dimension
IV.1.2 Influence de l’état de surface sur le courant critique
IV.2 Présentation de l’expérience
IV.2.1 Caractérisation de nos échantillons de Niobium
IV.2.2 Préparation des échantillons
IV.2.3 Réalisation des contacts électriques
IV.2.4 Limitation expérimentale
IV.3 Effets géométriques
IV.3.1 Sur le courant critique
IV.3.2 Sur le bruit
IV.4 Influence de l’état de surface
IV.4.1 Sur le courant critique
IV.4.2 Sur le bruit
V Bruit de tension en supraconductivité de surface
V.1 Vortex et ancrage
V.1.1 Caractérisation de la supraconductivité de surface
V.1.2 Supraconductivité de surface en champ perpendiculaire
V.1.3 Sur l’existence des vortex de Kulik
V.2 Comparaison avec le bruit dans l’état mixte
V.3 Sur le piégeage à longue portée
VI Allure des spectres de bruit 128
VI.1 Allure des spectres de la littérature
VI.1.1 Pertinence du critère
VI.1.2 Variété des résultats
VI.2 Enveloppes spectrales
VI.2.1 Cas de surfaces homogènes
VI.2.2 Cas d’une rugosité forte à grande échelle
VI.3 Bruit sur bande étroite (NBN)
VII Bruit de tension dans un micro-pont
VII.1 Expérience dans un micro-pont
VII.1.1 Réalisation des échantillons
VII.1.2 Champ magnétique induit par un courant traversant le micro-pont
VII.1.3 Mesures de transport dans un micro-pont
VII.1.4 Caractérisation des échantillons
VII.2 Courant critique et ancrage dans un micro-pont sur couche mince
VII.2.1 Eet de la vitesse
VII.2.2 Eet des bords
VII.3 Bruit de ux-ow dans un micro-pont
VII.3.1 Préambule : caractérisation du micro-pont gravé
VII.3.2 Étude en puissance du bruit de ux-ow
VII.3.3 Statistique du bruit de ux-ow
VII.3.4 Statistiques au depiégeage
A Bruit longitudinal et transverse d’un réseau de vortex en mouvement i
B Outils statistiques
B.1 Signaux aléatoires
B.1.1 Généralités
B.1.2 Echantillonnage d’un signal aléatoire
B.2 Statistiques du premier ordre
B.3 Statistiques d’ordres supérieurs
B.3.1 Stationnarité
B.3.2 Histogrammes
B.3.3 Second spectre
C Polissages chimiques
D Notations