BookTube, vers une communauté de lecture idéale pour les 15-24 ans ?
BookTube, la version numérique du club de lecture Comme évoqué précédemment, la lecture est aujourd’hui délaissée de plus en plus par un public jeune et amateur de nouveaux modes de consommation culturelle, dont les nouvelles technologies. Cependant, l’on assiste à l’émergence, pour l’instant timides, de communautés autour des BookTubeuses, ces YouTubeuses passionnées de littérature. Pour comprendre cette évolution, il faut revenir aux origines de la prescription littéraire et s’attarder notamment sur les révolutions provoquées par Internet, dans leur capacité à créer des communautés. Nous débuterons notre réflexion en démontrant que la lecture et la prescription littéraire sont des activités, favorisant l’élaboration de groupes dédiés, animés par des passionnés. En s’adonnant à la pratique de la lecture, chacun glisse en réalité vers le souhait d’une pratique éminemment sociale et communautaire. Nous étudierons l’élaboration de clubs de lectures physiques qui permettent une articulation de communautés autour de la lecture. Nous poursuivrons en mettant en évidence qu’Internet a également permis l’avènement d’un grand nombre de communautés, abolissant les frontières et l’espacetemps. Ces communautés virtuelles, oscillant entre réseaux sociaux et blogs, ont ainsi permis de faire émerger de réelles communautés littéraires. Enfin, nous nous intéresserons à l’arrivée de YouTube, véritable révolution médiatique de par sa forme et sa proposition de contenu. Nous étudierons plus spécifiquement comment ce support médiatique permet l’émergence de BookTube, une communauté idéale.
- De la prescription littéraire aux clubs de lecture
- On ne lit pas seul mais accompagné
Nous, les lecteurs, conservons le souvenir précis, à chaque fois que nous nous adonnions à la lecture, d’une remarque: “tu es égoïste à lire ainsi, tu ne nous parles pas, tu n’interagis pas avec nous. Ton activité n’inclut que toi même et ton livre”. Nous finissions par reposer, avec tristesse, le roman ou la nouvelle ou encore le magazine pour ne pas laisser ainsi de côté cet entourage insistant et légèrement culpabilisateur. En effet, lors de la pratique de la lecture, nous sommes plongés dans un ouvrage et n’interagissons pas avec notre entourage. A première vue, la lecture pourrait passer pour une activité solitaire. Aujourd’hui, nous pourrions répondre à ces troubleurs de tranquillité ces deux phrases afin de contrer leurs arguments désagréables et, du point de vue du lecteur passionné, infondés : “La lecture n’est pas un simple outil technique, c’est un vecteur fondamental du développement de l’individu dans la culture et la société. Culturelle, la lecture ouvre à la richesse des écrits ; sociale, elle se construit dans l’interaction avec l’entourage (…).”30 . Ainsi, la lecture ne se contente pas d’être une pratique indispensable pour évoluer dans notre monde mais bel et bien un réel facteur de socialisation et d’épanouissement personnel. Lorsque l’on parle ici d’interaction avec l’entourage, cela sous-entend l’idée certes d’un échange mais cela implique alors l’idée d’une communauté qui réagit autour de la lecture. Une des forces de la lecture se trouve être dans son aspect communautaire : on échange avec sa famille ou ses amis sur notre ressenti par rapport à telle ou telle lecture, on se recommande des ouvrages susceptibles de plaire à autrui car ils nous ont plu personnellement… Information confirmée par Martine Poulain : “C’est bien dans l’échange, même minimal, même proche de l’invisible et non revendiqué, que prend sens la lecture. On lit seul. Mais on sait qu’on partage avec d’autres du sens, des émotions, des refus, des plaisirs.”31 Ainsi, on ne lit pas seul, on lit accompagné, même si l’on refuse par la suite de s’épandre sur ce sujet : au moment de lire, nous pouvons très bien imaginer que ces émotions ressenties l’ont été également par d’autres, membres de notre entourage ou inconnus. Chaque lecture peut amener une discussion en amont ou en aval. Il s’agit en réalité d’une réelle pratique sociale, où chacun peut par la suite échanger, créant d’emblée une communauté, soudée par cet intérêt commun. De plus, la lecture et de facto la recommandation de livres permettent une plongée dans l’intime. En se conseillant des ouvrages, en évoquant ses lectures et en se lançant dans un débat autour de ces thématiques, le lecteur se dévoile également via ses émotions, se met à nu indirectement. En évoquant un livre, on évoque son ressenti, son passé et ses attentes envers les relations humaines. Les lecteurs voient ainsi leurs liens entre eux se renforcer suite à ce dévoilement implicite, échangent sur leurs émotions et rentrent dans l’intime des uns et des autres, tout en pouvant voir leur avis sur des œuvres évoluer grâce à l’avis de leurs pairs. Comme le rappelle Anne Grand D’Esnon « ce sont les sociabilités qui construisent la pratique de la lecture (…) Le conseil est alors primordial : les livres conseillés par un proche passent avant tout le reste. La dimension affective et les échanges vont déterminer la pratique. » 32 Le partage de ces lectures, à valeur de prescription, est donc une pratique régulière et souhaitée par les lecteurs : ces échanges permettent aussi bien de faire état d’un avis que de recommander à ses proches tel ou tel ouvrage lorsque ceux-ci sont indécis dans le choix de leur future lecture. L’entourage personnel est ici un facteur important, proposant une médiation culturelle de qualité et éventuellement proche des goûts de chacun. Mais si son entourage n’appartient pas à la communauté des lecteurs ou ne partage pas les mêmes goûts que lui, vers qui donc le lecteur à la recherche de nouvelles lectures peut-il se tourner ? Ou même partager ses derniers coups de cœur littéraires ?
Une communauté autour de la lecture : les clubs de lecture
L’histoire des clubs de lecture en France est bien plus difficile à retracer que celle de ceux à l’étranger. Nous pouvons noter une étude anglo-saxonne sur « les communautés de lecture : des salons au cyberespace », permettant de remonter le temps33 . En France, rien de toute cela mais nous pouvons évoquer rapidement les ancêtres des clubs de lecture que sont les salons littéraires, les cafés littéraires, les cabinets de lecture ou encore les clubs de lecture de Peuple et Culture. Ces différentes manifestations avaient comme objectif d’offrir des lieux de discussion où écrivains, dans un premier temps, puis politiciens, lecteurs pouvaient échanger sur une thématique donnée, faire émerger ainsi de véritables communautés. Selon un compte-rendu publié par Voix au chapitre en avril 201734, club de lecture créé en 1986, on nous rappelle que trois domaines de cette pratique existent aujourd’hui :- Les bibliothèques avec la tradition du « comité de lecture » professionnel ouverte au public désormais dans les bibliothèques – Les écoles primaires, collèges, lycées avec un objectif pédagogique. – Des clubs d’initiatives privées amicales ou associatives. Le club de lecture en tant que tel comporte de nombreux avantages et pourrait être un choix de qualité pour toutes les personnes à la recherche de conseils ou d’interaction directes avec des passionnés, à leur image. Ainsi, selon Geneviève Caceres, « Le club de lecture est la connaissance d’un livre, un début de réflexion commune sur ce qu’il contient, sur les problèmes qu’il évoque. C’est une conversation, un dialogue… c’est aussi une fête de la sensibilité, un parlement au petit pied où chacun apprend à mieux discuter, à mieux réfléchir, à trouver de nouvelles raisons d’agir et d’agir plus efficacement. » Le club de lecture avait d’emblée pour intérêt le conseil de paire à paire, où chacun pouvait échanger, dévoiler son intimité en verbalisant ses goûts en matière de littérature. La création de clubs de lecture est motivée pour deux raisons : d’un côté un mélange de fonctionnalités incluant de guider ses choix de lecture, approfondir ces dernières et de l’autre un aspect non-fonctionnel pour “ ‘échanger des propos à seule fin de passer “un moment agréable en bonne compagnie” (…)”.36 Le terme de bonne compagnie est intéressant : le club de lecture n’a donc pas ici un unique aspect “littéraire” mais bel et bien humain, basé sur d’hypothétiques rencontres, jugées d’emblée de qualité. Nous pouvons envisager que cette qualité de rencontre peut se corréler à la qualité des recommandations. Plus encore, nous pouvons certainement observer que l’échange verbal, du fait du club, peut tendre peu à peu à des relations plus intimes et personnelles entres les individus. Le club de lecture permet alors l’émergence d’un groupe, voire d’une communauté, s’articulant autour de la prescription littéraire. La hiérarchisation du conseil n’existe pas, seuls sont présents les amateurs au sens premier du terme, soit celui qui aime. Cependant, les contraintes propres au club de lecture sont les suivantes : il peut être payant (bien qu’à faible coût), demander une présence physique à un rythme trop régulier ou justement trop peu fréquent pour certains lecteurs, ayant un emploi du temps plus flexible. Majoritairement, le club de lecture se réunit une fois par mois dans un lieu physique sur un créneau d’une heure et demie. Nous pouvons également citer un nombre précis de livres à lire, pouvant susciter l’angoisse et un sentiment d’oppression des membres du club de lecture.38 Il arrive que certains genres, comme la bande dessinée, le fantastique ou le théâtre ne soient pas considérés comme des variétés à part entière mais bel et bien des sous genres. La liberté de lecture et de soit de parole, d’intervention, serait limitée alors que l’objectif recherché par tout lecteur est justement de pouvoir s’exprimer sans crainte. Le club de lecture répondrait à une demande d’échange entre passionnés mais resterait source de contraintes pour ses adhérents. Aujourd’hui, il est difficile de préciser l’importance des clubs de lecture en France car peu d’études recensent le sujet. Ils ne sont notamment pas répertoriés dans les pratiques culturelles, bien que de grandes enquêtes nationales soient effectuées.39 Ainsi, le site du ministère de la Culture ne propose pas dans son dernier questionnaire40 disponible une question concernant la participation à un groupe, dans le cadre de la lecture. Nous ne pouvons donc pas nous avancer en précisant le nombre d’abonnés présents et le succès de la démarche en France… Ni si celle-ci est appréciée et désirée, comme peuvent l’être les clubs de lecture anglo-saxons où La Reading Agency41 catalogue les groupes de lecture dans leur totalité. De plus, notre angle d’étude étant les 15-24 ans, sont-ils à la recherche d’un club de lecture ? Y participent-ils déjà ? L’absence de recherche et d’étude à ce En conclusion, comment les lecteurs se sont ainsi peu à peu orientés vers d’autres clubs de lecture, plus adaptés à leurs besoins et envies ?
Internet ou l’émergence de clubs de lecture numériques
Nous nous sommes attardées sur la lecture et son aspect communautaire ainsi que sur les clubs de lecture. Cependant, il est important ici de citer et de développer Internet, média permettant de développer les communautés virtuelles et la force de l’amateur. Auparavant, les amateurs pouvaient détailler leurs avis et prises de position via des fanzines, des radios libres ou encore des télévisions communautaires. Mais aujourd’hui, toutes ces productions ne sont plus marginales : elles sont même au cœur du dispositif de communication.42 A. Internet et la force des communautés virtuelles Internet, lors de sa conception, a été influencé par des origines à la fois militaire, scientifique mais surtout libertaire. Au départ commande du Pentagone, son évolution en architecture décentralisée, avec des protocoles distribués et modifiables, a permis l’ouverture du réseau et de l’auto-transformation permanente d’Internet ainsi que de la croissance du nombre de réseaux interconnectés. Travaux réalisés par des chercheurs informaticiens, ce sont ensuite des étudiants qui ont pris la suite en considérant Internet comme un “instrument de communication libre et (…) de libération qui, avec l’ordinateur personnel, donnerait aux individus le pouvoir de l’information pour les affranchir à la fois des Etats et des grandes entreprises ». 43 Le pouvoir de l’information détaillé ici nous renvoie aussi bien au fait d’émettre l’information que de la recevoir, de paire à paire : chacun peut à son tour s’improviser émetteur ou récepteur dans les communautés virtuelles. Les communautés virtuelles, un des principaux piliers d’Internet, fonctionnent sur la base de deux grands traits culturels communs. Dans un premier temps, selon Manuel Castells, Internet devient la valorisation de la libre communication horizontale, incarnant “la liberté d’expression planétaire à une époque dominée par le gigantisme des médias et la censure des Etats”.44 S’affranchissant d’une société horizontale hiérarchique, l’une des valeurs dominantes d’Internet n’est avant tout que cette liberté d’expression de multitude à multitude.
Avant-propos : définitions |